Lorsqu’il succédait craintivement à son père au trône du Vodoun Sakpata le 12 février 1959 à Sèhouè (commune de Toffo), Gbégan Lanninfô ne pensait pas témoigner d’un règne fructueux 60 ans plus tard. Il a donc tenu à exprimer, du 12 au 17 février, ses reconnaissances à Dieu pour ce long règne.
Par Sêmèvo B. AGBON
A 2h du matin ce mardi 12 février, le retentissement de tam-tams, de gongs et l’exécution de chants sacrés Sakpata parvinrent aux populations de Sèhouè. Elles savent du coup qu’un événement majeur s’annonce : c’est la célébration des 60 ans d’intronisation de Baba Lanninfô. Pour ce dernier, cette commémoration s’impose au regard des circonstances dans lesquelles il a été choisi comme Chef suprême du Vodoun Sakpata. En février 1959, se souvient-il, soit avant les indépendances du Dahomey, il avait 14 ans lorsque son père Adoninmè lui attribuait sa succession. S’estimant trop jeune et craignant d’être tué, l’adolescent prit la nouvelle en horreur puis… il s’enfuit. Mais une nuit, dans son milieu d’asile, un inconnu croisera son chemin et lui conseillera de retourner dans son Sèhouè natal pour assumer le trône, sinon… il mourra. Le jeune obéi. Cette année 2019, soit 60 ans après il ne regrette pas d’avoir accepté succéder à son père. « Je ne suis pas né adepte du Vodoun Sakpata. C’est mon père qui m’a légué son trône. Et depuis que j’ai accepté le sacre il y a 60 ans, ni la maladie ni la mort ne m’ont tourmenté ; j’ai eu une progéniture prospère. Je ne m’y attendais pas », témoigne-t-il aujourd’hui, fièrement.

Les deux Hounnon consacrés entourés des adeptes nouvellement enrôlés
En organisant donc les festivités de cette soixantième anniversaire, Baba Lanninfô voudrait simplement exprimer sa « reconnaissance au Trône pour cette grâce ». Des dignitaires et adeptes du Vodoun Sakpata de la commune de Toffo se sont joints à lui une parfaite réussite. Toute la semaine, ils ont parcouru plusieurs temples pour offrir liqueurs, adresser des prières et immoler des moutons au dieu Sakpata. Les festivités ont également servi de moment de sacre pour deux Hounnon (dignitaires religieux). Six nouveaux adeptes ont été également enrôlés et internés. La population de Sèhouè massivement sortie, a aussi nourri ses yeux de belles prestations des adeptes Sakpata dont les ornements et surtout, les danses esthétiques au son du rythme sacré Agbochébou n’ont laissé personne indifférent. « La grande mobilisation des populations de Sèhouè m’a fortement réjoui. C’est une grande bénédiction pour moi », s’est réjoui Baba Lanninfô.
Ô Nounglitin Xôsou !
Un fait majeur qui rendra inoubliable cette 60ème anniversaire du dignitaire, c’est l’inauguration du temple rénové du Vodoun Nounglitin Xôsou. Ce dernier, situé juste à l’entrée du marché de Sèhouè en quittant Cotonou est le Vodoun tutélaire et génésiaque du village de Sèhouè ; il a échappé à deux tentatives de délocalisation. Baba Lanninfô qui en est le prêtre, explique les faits : « Le vodoun Nounglitin Xôsou a échappé à deux tentatives de délocalisation. La dernière remonte à la construction de la route Akassato-Bohicon. Il m’a été demandé avec insistance, promesse financière à l’appui, de le déplacer. Or sur ce vodoun érigé avant l’accession au trône du roi Akaba, est fondé le village de Sèhouè. Aujourd’hui, nous ignorons les rituels entrant dans son érection. Sans cela, il n’est donc pas possible de le déplacer convenablement. Ainsi, le casser ou le déplacer c’est détruire tout Sèhouè puisque c’est son vodoun génésiaque et tutélaire. D’où nous nous étions opposés à le toucher. Les autorités qui ont cru que nous étions dans l’hypocrisie nous ont convoqué. Une réunion a été tenue à cet effet au Palais de la Marina avec le président Boni Yayi, les ministres de l’Intérieur, de la Décentralisation et des Transports, les maires de Toffo, d’Allada, de Sèmè, de Zogbodomè et de Bohicon et le préfet de l’Atlantique. A l’occasion, j’ai indiqué catégoriquement qu’on ne saurait déplacer ce Vodoun, mais si eux ils le peuvent, qu’ils s’y aventurent en étant disposés à accueillir toutes les conséquences possibles. Cette intransigeance les a amenés à renoncer. C’est ainsi que les Vodoun d’Allada, de Zogbodomè et de Bohicon menacés par les travaux de construction de la voie Akassato-Bohicon ont été laissés à leurs places ». Il s’avère donc nécessaire, pense-t-il, qu’après les travaux de la voie, le temple délabré de ce Vodoun soit rénové. « J’ai fait coïncider l’inauguration du temple rénové avec la célébration de mes 60 ans d’intronisation », a conclu Baba Lanninfô.

Temple rénové de Nounglitin, Vodoun tutélaire et génésiaque du village de Sèhouè
Après 60 ans de règne, Baba Lanninfô rassure que le Vodoun Sakpata est un dieu généreux. Du Fongbé ‘’Sè wa ta’’, ‘’Sakpata’’ est une injonction signifiant ‘’que tout ce qui respire vienne se prosterner à la terre’’. « Les immolations de moutons, a-t-il souligné, sont destinées à assouvir la soif de sang de la terre. Cela est gage de paix, de bonheur. Cela éloigne la guerre ». La morale que Baba Lanninfô tient à adresser aux Béninois, c’est de servir leur foi avec honnêteté et dévouement, éviter les collusions, les hypocrisies…, qui sont des attitudes que Dieu a en horreur.