Salle de cinéma Canal Olympia. Vendredi 13 septembre 2019. Il est environ 20h 30′. Par la magie de la régie, le noir envahit l’enceinte archicomble. Un géant écran s’allume. Et tout commence ainsi, par des images aériennes d’un milieu jusque-là à deviner. Le paysage est beau. Les habitations et voirie fascinent dans leur lotissement méticuleux. On voit des hommes s’affairer. Certains à pied, d’autres sur leur moto. Puis la caméra ramène dans un très gros plan, une très vieille dame, probablement nonagénaire, toute ridée, yeux creux mais lumineux. Un pagne blanc lui ceint la tête : c’est Naagbo Hounon ! Oui vous avez bien lu Naagbo Hounon (avec N) et non Daagbo Hounon (avec D) plus connu comme roi de la capitale spirituelle du Bénin, Ouidah.
Elle est au-devant d’une classe, en face d’un groupe de personnes en train d’animer une séance d’alphabétisation : « a, i, u… » que ses « élèves » répètent après elle. Elle commence de là par décliner ses compétences et responsabilités : l’alphabétisation, l’apprentissage et tout ce qu’il faut dans le processus d’initiation des adeptes Vodoun. Autant de terrains délicats et sensibles sur lesquels elle intervient. « Quand les adeptes sont internés, toute leur initiation me revient », déclare-telle.
Mais comment elle, femme, dans une Afrique célèbre comme phallocratique, patriarcal, traditionnellement austère envers la gent féminine, se retrouve sous un statut si privilégié et sensible ? Elle raconte : « J’étais à Avrankou (je suis madame Houngbédji) avec mon mari quand on lui envoya une commission. On dit qu’il y a un rituel dans sa famille et que je dois apporter ma cotisation. Mon mari s’était proposé d’aller remettre la mienne ; mais ils ont refusé, insistant que je dois le faire personnellement puisque le rituel concernait exclusivement les « Akôtônon » (ceux qui n’appartiennent pas biologiquement à une famille mais y sont rattachés par alliance (mariage). On m’a alors envoyé au village et ainsi j’ai été retenue, gardée ».
Dans la cour Naagbo Hounon est un titre, un grade honorifique. N’y accède pas qui veut. « C’est le Fâ qui désigne », indique-t-elle. Ce choix divinatoire, précise-t-elle, peut passer d’une famille à une autre au sein de la collectivité. Lorsque le dévolu est jeté sur une femme on ne l’en informe pas ouvertement. On procède alors par des subterfuges. « On peut lui mentir. Qu’elle vienne, c’est l’essentiel que recherche la famille », raconte-elle.
Une fois choisie, Naagbo Hounon subit une initiation qui peut durer 5 à 7 mois. Sa ‘’sortie’’ est marquée par une grande cérémonie. Pendant neuf jours, elle fait le tour de ‘’Sato’’, un arbre mythique (dont la tige est nouée d’un pagne blanc) au cœur d’une vaste place publique souvent consacrée à ces genres de rituels sacrés. Ce rituel marque ainsi la fin de la solennité de ‘’sortie’’.
Jamais se chamailler, toujours bénir
La mer est le vodoun qu’elle adore. On lui sacrifie moutons, poulets, liqueurs… Les adeptes croient qu’elle apaise le monde, lui insuffle le bonheur. La hiérarchie de ce culte est incarnée par un homme (en la personne de Daagbo Hounon) et une femme, Naagbo elle-même. Donc deux pouvoirs en un. La dernière a plus d’influence et de responsabilités. « On doit l’écouter, lui obéir. Ce qu’elle dit passe. Si des fois elle est en erreur, on peut le lui faire savoir discrètement », confirme Daagbo Hounon. « Elle et moi codétenons le pouvoir dans cette Maison, même si l’homme doit être au-dessus de la femme. Au couvent, elle détient toutes les responsabilités. C’est son domaine, rien ne m’y concerne. Elle vient juste me faire des points au besoin. Personne n’est au-dessus de Naagbo dans toute la ville de Ouidah. Si tu es Vodounsi (adepte), Naagbo est ton Chef suprême », a-t-il ajouté. Pour illustrer l’étendue de son pouvoir, Daagbo Hounon révéla qu’après la mort de son prédécesseur, Naagbo a même assuré l’intérim (régence) deux ans durant avant une nouvelle intronisation.
Être Naagbo Hounon, c’est aussi avoir un tas d’interdits et d’attitudes à honorer, qui constituent le fil auquel tient sa longévité. Elle en est bien consciente. Elle ne doit jamais acheter à manger au bord de la rue, puisqu’elle ne peut savoir si la vendeuse est en menstrues ou non. C’est ainsi ! Et même à la maison, la fille ou femme proche d’elle qui se met en menstrues doit s’en aller. Aussi, elle ne consomme pas le légume pissenlit (Yan

La réalisatrice, Giovannia Atodjinou-Zinsou
toto, en langue Fon), la viande du buffle (agbo), houngo…Naagbo ne doit pas aussi prononcer une parole blessante, jamais se chamailler, toujours bénir. « Tout cela fait de moi, presqu’un vodoun qu’on vénère ici », reconnait-elle.
Le film-portrait s’achève sur le côté libéral de Naagbo. Elle ne compte imposer sa foi ou tradition à aucun fils ou filles. Elle n’a laissé qu’une exhortation. A savoir : « que personne n’oublie ses origines ».
Une longue suite d’acclamation spontanée du public a salué l’œuvre cinématographique intitulée « Fâ sô » (Le choix du Fâ) sortie en octobre 2018. Un documentaire « pour montrer que les femmes en Afrique ce n’est pas juste celle qui est reléguée au second plan, ce n’est pas toujours la femme soumise. C’est pour montrer également que dans nos cultures il y a de ces femmes qui ont la capacité de s’asseoir et de décider à la table des hommes », a déclaré à la fin la réalisatrice, Giovannia Atodjinou-Zinsou. C’était le film d’ouverture du Festival international des films de femmes de Cotonou (Fiff-Cotonou) du journaliste-cinéaste Cornélia Glèlè, projeté le vendredi 13 septembre 2019.
Par Sêmèvo Bonaventure AGBON