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[Tribune] Victor Topanou : « Le Bénin n’est pas une dictature »

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
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Depuis quelques longues semaines maintenant, une partie de la classe politique béninoise de l’opposition a choisi comme cri de ralliement « nous ne sommes plus en démocratie au Bénin » ou encore « il faut restaurer la démocratie béninoise ». Ce cri de ralliement est relayé à l’international par quelques organismes privés, sans doute entretenus par des groupes de lobby démarchés à cet effet.

Si de façon objective cette question de la « dérive dictatoriale du régime Talon » pouvait se poser en début de quinquennat, elle doit se poser, à la fin du mandat, en termes de bilan, à savoir est-ce que oui ou non le Bénin d’aujourd’hui est une dictature et pour répondre à cette question, il suffit de s’entendre sur ce que c’est qu’une dictature.

Selon l’Encyclopaedia Universalis, qui en donne certainement la définition la plus consensuelle, « la dictature est un régime autoritaire, établi et maintenu par la violence, à caractère exceptionnel et illégitime. Elle surgit dans des crises sociales très graves, où elle sert soit à précipiter l’évolution en cours (dictatures révolutionnaires), soit à l’empêcher ou à la freiner (dictatures conservatrices). Il s’agit en général d’un régime très personnel ; mais l’armée ou le parti unique peuvent servir de base à des dictatures institutionnelles ».

On a beau tourner et retourner cette définition dans tous les sens, on ne voit pas en quoi et comment elle décrit la situation du Bénin. Non, définitivement le Bénin n’est pas une dictature, ou pour faire plaisir à tous ceux qui soutiennent subjectivement le contraire, le Bénin n’est pas encore une dictature.

Ce qui s’y déroule actuellement est nolens volens un conflit idéologique entre, d’une part, des conservateurs, en mal de légitimité intérieure qui ne veulent rien voir changer quand bien même ils ont conscience de la nécessité de faire les réformes (I) et, d’autre part, des réformateurs qui pensent qu’il faut absolument faire évoluer les choses, quoiqu’il en coûte (II).

I / De la nécessité des réformes

La nécessité de réformer l’Etat dans ses différents compartiments s’est imposée à tous les acteurs depuis au moins quinze ans. Le Président Boni Yayi prônait déjà le « Changement » durant son premier mandat puis la « Refondation » durant son second mandat. C’est lui qui le premier introduisit le débat sur la « dictature du développement » dans la vie politique béninoise. Sauf qu’il ne sera pas parvenu à opérer durant ses deux mandats ni le « Changement » encore moins la « Refondation ». Kérékou avant lui, en appelait en vain à la construction d’un « Bénin du Futur » et dénonçait « les intellectuels tarés » qui selon lui « travaillent au Bénin comme des étrangers, des mercenaires » pendant que Adrien Houngbédji parlait de « Rectification » ; 2016 fut l’année du « Nouveau départ » et de la « Rupture ».

Cette nécessité de réformer l’Etat s’est imposée à tous pour au moins trois raisons : la première, c’est la faiblesse chronique et structurelle de notre système partisan qui fait que depuis 1991, d’une part, aucun parti politique n’a jamais réussi à avoir une dimension nationale et à remporter une élection présidentielle et, d’autre part, que le fonctionnement de l’opposition a toujours été insatisfaisant puisqu’un peu trop personnalisée, voire un peu trop individualisée, injurieuse et intolérante.

Il est à noter au passif de l’opposition béninoise que depuis 1991 aucune élection, ni présidentielle, ni législative et encore moins communale ou locale n’a été remportée sur la base d’un programme, de sorte que l’exigence du travail programmatique dans les partis n’a quasiment jamais prévalu dans nos partis politiques béninois. Quatre déterminants permettaient de gagner une élection, à savoir l’argent qui permet de tout acheter, la fraude, l’ethnie et l’irrationnel.

La deuxième raison, c’est la conception de l’Etat-gâteau qu’ont développée et mise en œuvre les acteurs politiques.

Pour eux, l’Etat est un immense gâteau à parts multiples et infinies auquel il faut absolument accéder au moins une fois dans sa vie pour prendre sa part. Ce faisant, le détournement des deniers publics, la corruption et le pillage de l’économie nationale sont devenus, dans la conscience collective, non seulement les moyens les plus efficaces de redistribution équitable de la richesse nationale mais aussi les fondements de la légitimité de l’Etat.

Dès lors, l’argent est devenu l’alpha et l’oméga de la vie politique béninoise et au-delà de l’accomplissement social personnel.

Inutile de rappeler que cette conception de l’Etat-gâteau impacte négativement aussi bien la gouvernance économique que politique du pays : le scandale qui symbolise le mieux cette conception de l’Etat-gâteau est le siège inachevé de l’Assemblée nationale, le lieu où théoriquement devrait battre le cœur de la démocratie béninoise : il est situé à la descente du pont à Porto-Novo, la capitale.

La troisième raison, c’est cette espèce d’irresponsabilité pénale du politique qu’organisent de fait, les acteurs politiques.

En effet, les Béninois ont fini par penser que les acteurs politiques se pardonnent tout entre eux et que les rares fois où l’un d’entre eux est déféré devant les tribunaux, c’est pour se régler les comptes ou pour affaiblir l’adversaire ; jamais personne ne cherche à connaître le fond de ce qui leur est reproché.

La conscience collective a fini par croire que le Droit au Bénin ne s’applique qu’aux citoyens et pas aux acteurs politiques et qu’à vouloir le faire, on est taxé de dictateur qui renvoie ses adversaires en exil. Mais quand Sarkozy et avant lui Jacques Chirac, pour ne citer que ces deux cas emblématiques, sont poursuivis par la justice française ils ne la fuient pas en allant en exil en Belgique ou en Suisse ; ils l’affrontent et s’assument.

II / Les réformes mises en œuvre

De toutes les réformes mises en œuvre par le Président Talon, ce sont les réformes du système partisan qui sont les plus décriées non seulement parce qu’elles ont pour finalité d’inverser la culture politique et démocratique développée ces trente dernières années par les acteurs politiques béninois mais aussi parce qu’elles favorisent le renouvellement de la classe politique. Et pourtant, elles sont de nature à consolider leurs capacités et à renforcer le rôle dans le fonctionnement de la démocratie béninoise.

Ces réformes sont au nombre de six (06) à savoir le financement public de la vie politique, le renforcement des conditions de création des partis politiques, l’obligation pour les partis de réunir au moins 10% des suffrages exprimés sur le plan national pour être éligibles au partage des sièges aussi bien aux élections législatives qu’aux élections communales, le parrainage pour l’élection présidentielle assuré par au moins 10% de collège constitué par les députés et les Maires, l’institutionnalisation des élections générales tous les cinq ans et enfin le renforcement du statut de l’opposition. Comme on le voit, il n’y a rien dans ces réformes qui relève de la dictature.

C’est le lieu de rappeler qu’en revanche, il y a quelque chose de choquant, d’indécent, voire de révoltant à voir des députés français, d’une part, signer une pétition et animer des émissions télévisées pour stigmatiser le Bénin qu’ils ne connaissent que trop peu ou pas du tout et, d’autre part, interpeler le Président de la République du Bénin pour le sommer d’interrompre un processus électoral en cours en vue de l’organisation d’une élection présidentielle. Qu’ils interpellent le Président de la République française sur la politique béninoise de la France relève de leurs prérogatives et nul ne peut le leur contester mais qu’ils s’ingèrent ainsi qu’ils le font dans la politique intérieure du Bénin relève tout simplement de l’outrecuidance.

Et ce, d’autant qu’ils le font sur des fondements douteux (les décisions juridiquement mal fondées, contestable et contestées de la Cour africaine des droits de l’homme et non respectées par plusieurs pays dont le Bénin) et hasardeux (comparaison entre le report des élections régionales en France pour cause de Covid-19 et le report de l’élection présidentielle pour cause de réformes opérées depuis 2019, soit deux ans).

Soit dit en passant, il ne viendrait jamais à l’esprit d’un député béninois d’intervenir dans la politique intérieure française soit en signant une pétition pour dénoncer le traitement, parfois raciste, des immigrés Noirs par la Police, soit en interpelant directement le Président de la République française pour lui demander d’interrompre un processus électoral en cours ou pour lui demander des comptes sur sa politique immigrationniste.

Quand des avocats sans mandat électif le font, ils sont plus dans leur rôle, mais dans le cas d’espèce, ce qu’il y a de gênant c’est de les savoir empêtrés dans des conflits d’intérêts qui, in fine, les disqualifient et les déshonorent.

Quant aux acteurs politiques béninois qui les sollicitent, ils sont à la recherche d’une « légitimité externe à usage interne » parce qu’en mal de légitimité interne. En effet, soit ils n’ont jamais pris part à une élection, soit ils y ont pris part et n’ont jamais été élus, soit ils sont d’anciens élus nostalgiques et réfractaires à toute réforme qui ne renforce pas leur statut, leurs avantages et leurs privilèges. Et pourtant, ce sont eux qui parlent au nom du Peuple en violation de l’article 4 de la Constitution qui dispose que « le Peuple exerce sa souveraineté par ses représentants élus et par voie de référendum… ».

Que ces réformes soient imparfaites, on peut le concéder, qu’elles soient contestables et contestées dans le fonds comme dans la forme, assurément et qu’elles aient été parfois dures dans leur application, sans doute ! Mais de là à interrompre le processus électoral en cours pour les remettre en cause ainsi que le demandent le député Nadot et ses amis, certainement pas !

Par Topanou Prudent Victor, Maître de conférences de Sciences politiques

Faculté de Droit et de Science politique, Université d’Abomey-Calavi

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