Les stations-services de la Société nationale de commercialisation des produits pétroliers (Sonacop) sont désormais cédées à deux sociétés privées, Oryx Bénin et à Bénin Energie. Ainsi en a décidé le gouvernement en conseil des ministres du 9 juin. Anselme Amoussou, secrétaire général de la Confédération des syndicats autonomes du Bénin (Csa-Bénin) y voit une décision brutale, à la limite une duperie en ce sens qu’une « restructuration avait été entamée ». Tout en réaffirmant la position des syndicats à savoir le maintien de cette société dans le giron de l’Etat, et rappelant le sort des travailleurs au chômage depuis un an suite à leur licenciement collectif par l’administrateur provisoire chargé de la liquidation, il plaide que les nouvelles sociétés aient l’injonction de recruter de façon prioritaire le personnel laissé dans la rue par la Sonacop.
Propos recueillis par Raymond FALADE & Sêmèvo Bonaventure AGBON
Bénin Intelligent : Quel est votre avis par rapport au choix de cession des stations-service de la Sonacop opéré par le gouvernement ?
Sg Anselme Amoussou : Cette cession des stations opérée par le gouvernement était attendue. Nous savions tous que c’est là où le gouvernement semblait aller. C’était un peu le choix qui était déjà annoncé puisqu’on parlait de mauvaise gestion de la Sonacop. On nous a annoncé que la société n’était pas viable et donc en fin de compte il ne restait que cette destination pour la Sonacop ; être rachetée par des entreprises. Moi je ne suis pas étonné. Je suis plutôt étonné du temps que cela a mis pour être pris comme décision.
Nous syndicat avions toujours demandé que le gouvernement puisse faire autrement vu la situation stratégique de la Sonacop pour l’économie nationale, pour le pays mais voilà le choix fait par le gouvernement.
Maintenant ce choix n’est pas si dramatique que ça si justement on tient compte d’un certain nombre de paramètres notamment les travailleurs, le personnel qui a été licencié. Qu’est-ce qu’ils deviennent avec les nouvelles sociétés qui sont des repreneurs des stations de la Sonacop ?
N’aurait-il pas été mieux que le gouvernement maintienne la Sonacop dans le giron de l’Etat ?
Maintenir la Sonacop dans le giron de l’État était l’idéal pour nous syndicalistes, pour les travailleurs. L’idéal pour trois raisons. La première raison c’est que c’est quand même la Sonacop qui détient tout le dispositif de conservation de l’hydrocarbure. C’est elle qui a les installations au port de Cotonou, à l’aéroport. C’est quand même un secteur stratégique, le secteur du pétrole, une denrée très stratégique pour un État. Alors, comment peut-on faire le choix de laisser tout ce secteur stratégique aux entreprises privées, quitte à être dépendant en tant qu’État du bon vouloir d’entrepreneurs privés ? C’est en cela que je suis d’accord avec vous que le gouvernement aurait dû laisser la Sonacop dans le giron de l’État. Cela étant dit nous avons tous convenu que la Sonacop avait des problèmes de gestion. Des années de mauvaise gestion ont fini par couler l’entreprise, par la mettre en difficultés. Les travailleurs l’ont compris et ont toujours dit qu’ils étaient prêts à faire les efforts pour la relever. Ils l’ont montré pendant des mois à travers leur engagement, à travers les actes que le personnel et le Syndicat de la Sonacop ont posé. On a bien vu qu’ils étaient décidés à tenir compte de la nouvelle donne et à faire en sorte que la Sonacop renaisse. Mais pour cela ils avaient besoin d’être accompagnés dans leur détermination par le financement nécessaire. Ce financement ne pouvait être apporté que par l’État, par la garantie de l’État. Même si ce sont les banques privées qui devaient financer la Sonacop, elles avaient besoin d’avoir la caution de l’État. Et c’est cela que les travailleurs n’ont jamais eu, c’est cela qu’ils ont demandé en vain. Donc maintenir une entreprise en difficulté dans le giron de l’État revenait à sauvegarder les emplois. C‘est également le rôle de l’État, de faire en sorte que les emplois soient stabilisés, que les travailleurs ne perdent pas leurs emplois, que le taux de chômage n’augmente pas, que les drames sociaux ne se jouent pas pour des travailleurs qui ont travaillé pendant des années et qui se retrouvent brutalement coupés de leur revenu. Donc cela a été l’aspect social que nous avons soumis au gouvernement. C’est la deuxième raison pour laquelle je pense que le gouvernement pouvait faire les efforts pour maintenir la Sonacop dans le giron de l’État.
La troisième raison c’est que des engagements avaient été pris. Nous avons rencontré les ministres qui nous ont réaffirmé la volonté de l’État de conserver la Sonacop. Au départ, vous vous souvenez qu’on disait qu’on allait liquider l’entreprise. Ensuite il y a eu la restructuration qui avait été entamé. Tout cela avec l’accompagnement du personnel et du Syndicat de la maison. Alors comment peut-on être dans un tel processus et apprendre brutalement du jour au lendemain que tout devait s’arrêter et qu’il fallait donc liquider l’entreprise et faire partir les personnels ! C’est ce qui est arrivé. Il y a de mon point de vue un engagement qui n’a pas été respecté. Il y a une sorte de duperie que l’on peut dénoncer. Et cela n’est pas très bien pour la réputation d’un gouvernement. C’est pour cela que je pense, et c’est la troisième raison, que le gouvernement aurait pu faire autrement.
Tous les travailleurs de la Sonacop avaient été licenciés en juin 2020. Que sont-ils devenus ? Sont-ils entrés en possession de leurs droits ?
Les travailleurs n’ont pas été traités suivant les textes. Il y a une sorte donc de violation des textes que le gouvernement a entérinée, que le liquidateur de la Sonacop a validée pour la simple raison que la Sonacop a un accord d’établissement, une convention collective interne qui avait défini les conditions dans lesquelles on peut liquider les droits des travailleurs licenciés. Curieusement, le liquidateur a fait le choix de fouler au pied ce texte de régulation interne pour s’accommoder de la loi sur l’embauche et donc aujourd’hui, les travailleurs de la Sonacop ne sont pas entrés dans leurs droits. Ils ont reçu la portion congrue, des montant faméliques qui ne leur permettent pas de rebondir, de se refaire professionnellement. C’est très difficile pour les travailleurs qui avaient un revenu, qui se retrouvent du jour au lendemain à zéro franc parce que pour la plupart, ils avaient des engagements avec les banques. Ces engagements ont fait que le peu qu’on leur a payé dans le processus de liquidation de l’entreprise a été consommé par les engagements vis-à-vis des banques. Finalement, vous avez des pères et des mères de familles qui n’ont reçu un franc et qui se sont retrouvés encore sans emplois. Pour répondre donc à votre question, les travailleurs de la Sonacop licenciés en 2020 ne sont pas encore entrés dans leurs droits. Et le conflit est pendant devant la justice aujourd’hui. Nous avons épuisé toutes les voies de recours finalement et le conflit est aujourd’hui devant la justice pour que la justice puisse dire le droit ; puisse faire en sorte que les travailleurs entrent dans leurs droits parce que j’ai toujours dit et je le répéterai encore, l’aspect social doit être un aspect important dont il faut tenir compte dans ce genre d’opération. Cet aspect social n’a pas été vraiment regardé par le liquidateur et c’est aujourd’hui, toute la demande des travailleurs de la Sonacop, c’est toute la demande des Forces sociales donc des syndicats du Bénin.
La décision de cession des stations-services de la Sonacop aux privés n’est-elle pas la poursuite de la privatisation des sociétés de l’Etat que dénoncent certains depuis l’avènement du gouvernement de la Rupture ?
Moi je suis de ceux qui pensent que la privatisation n’est pas un drame à priori. Elle devient un drame lorsque les aspects sociaux ne sont pas pris en compte. Elle devient un drame lorsque la privatisation contribue à la perte d’emploi du personnel ; parce que, on peut choisir de faire une privatisation en ce sens que cette privatisation peut prendre en compte un certain nombre de droits de travail. C’est très important. Donc, on avait toujours souhaité que la Sonacop ne soit pas privatisée. Le gouvernement avait la réputation d’être un partisan fervent de la privatisation. Mais à un moment donné, nous avons compris qu’il y avait une inflexion dans la politique du gouvernement parce que nous avons eu des exemples où le gouvernement s’est refusé à privatiser et à trouver d’autres formules. Donc, toutes ces formules ont été proposées au liquidateur de la Sonacop pour faire en sorte que le personnel puisse être au cœur du renouveau à la Sonacop. Malheureusement, voilà où nous en sommes. Je pense donc qu’au-delà de dénoncer même la privatisation, ce que nous devons dénoncer c’est la non prise en compte des aspects sociaux notamment vis-à-vis du personnel. Il faut qu’aujourd’hui, et c’est cela que le Conseil des ministres n’a pas dit dans sa décision, les entreprises privées qui reprennent le patrimoine de la Sonacop est-ce qu’elles ont l’obligation de recruter prioritairement le personnel de la Sonacop ? Ce sont des gens qui ont eu l’expérience, qui ont acculé des années d’expérience dans le secteur pétrolier où ne travaille pas qui veut. Donc, aujourd’hui, si nous voulons tenir compte du hautement social préconisé par le chef de l’Etat pour son second mandat, il faut faire injonction, faire obligation à ces entreprises-là dans leur cahier de charges de recruter de façon prioritaire le personnel laissé dans la rue par la Sonacop.