Home Actualité Forêt sacrée de Soyihoué : Habitat de Vodun, rare refuge de vie

Forêt sacrée de Soyihoué : Habitat de Vodun, rare refuge de vie

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
0 Commentaire

Les réserves forestières se font rares du fait de l’urbanisation sauvage et les pressions anthropiques. A Lobogo, un village de la commune de Bopa dans le département du Mono, une forêt résiste, grâce à ses Vodun à qui elle sert d’habitat naturel depuis des lustres et une famille jalouse qui défend cet héritage.

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON

L’air est frais, l’atmosphère calme. Des arbres presque centenaires fourmillent. Leur hauteur et grosseur ajoutées aux denses branchages, attendrissent tout visiteur. Ces papillons inexistants en ville se posent ici de feuilles en feuilles. Les cris mélodieux d’oiseaux se font entendre au-dessus des têtes. La forêt sacrée de Soyihoué est un endroit de rêve. Un recensement de 2013 retient quarante-huit espèces végétales réparties en trente-trois familles et vingt-sept espèces animales regroupées dans douze familles : le baobab, iroko, neem, teck, acacia, fagara et le singe, écureuil, des serpents, l’aulacode, le francolin. Quelque peu rognée par les populations environnantes, la forêt occupe un domaine de plus d’un hectare. L’homme y vit sans la détruire, dans des cases en terre éparpillées à l’ombre des végétaux.
Cette particularité lui a été imprimée aux origines par celui qui l’a mis en place, Têko Gannongbé Soyibonon. La réserve a été gérée successivement par les régents Tingo Baba, Têko Gannongbé Tchékessi, Têko Gannongbé Mèhinto Sognibonon, Têko Gannongbé Sognibonon Houèdossi. L’actuel a nom : Gannongbé Hounnou assisté de son frère Gannongbé Sognibonon et entouré d’un collège de prêtres et prêtresses. « Cette forêt remonte au temps de notre arrière-grand-père, bien avant la colonisation », situe-t-il. Sa fonction première est de servir de couvent. « Jusqu’à 300 personnes étaient internées ici. Notre arrière-grand-père-là ne pouvait les abandonner seuls. Il était aussi en même temps un grand médecin. Il recevait des malades qu’il guérissait. Les adeptes enceintes accouchaient ici aisément. Le temps a eu raison de sa case ; il n’en reste que des vestiges de murs. Il habitait là et n’avait d’autres occupations que de s’occuper de la vie du couvent et des adeptes », explique Gannongbé Sognibonon. Les internements, en ces temps-là, n’étaient pas question de mois. « Ils duraient quinze ans, dix ans d’éducation vodun avant la sortie des adeptes. Ce n’est pas aujourd’hui où l’Etat et le vent de la christianisation ont pris par-là et on sort au bout de trois jours. Cela nous embête énormément », plaint-il.
Aujourd’hui encore, les descendants de la sixième génération perpétuent les deux traditions au sein de la forêt, à savoir le Vodun et la médecine endogène, la phytothérapie. « Cela demeure jusqu’à nos jours, seulement l’Etat nous met de plus en plus la pression d’aller à l’hôpital », critique Gannongbé Hounnou. Quelles feuilles ou écorces contre le paludisme, la fièvre typhoïde, la stérilité, la dentition des enfants…c’est un secret de polichinelle pour les deux Gannongbé et les vieilles dames de ce couvent forestier.
Deux magnifiques dessins de part et d’autre de l’entrée souhaitent la bienvenue. A droite, le Vodun Hèviosso porté dans son ascension par Dan, son « conducteur », selon le mot de Gannongbé Hounnou. A gauche, un géant Klwitô (revenant) et le chapelet divinatoire. « Ce lieu sacré possède une multitude de fonctions sociales : tribunal pour le règlement des conflits entre membres de la communauté, site de recueillement des religieux du culte vodun, pharmacie à ciel ouvert. Il offre aux populations, à travers ses divinités et ses plantes médicinales, les solutions idoines et pratiques pour la paix, le bien-être et la santé. Grâce à l’assistance du régent en charge de la forêt, ce personnage d’intercession entre le monde des humains et celui des esprits incarnant sagesse et vertus, les communautés de Lobogo s’identifient à ce site et lui reconnaissent tous ses attributs », confirme Pacôme Comlan Alomapké, gestionnaire du patrimoine culturel.

Maîtres des lieux

Même sans clôture apparente, la réserve est sous la protection des dieux. Et, ils sont nombreux à y habiter. Entre autres, les divinités Loko, Agboué, Avlékété, Hwènou, Sakpata, Zogbé, Lissa, Dan, Xèviosso, Dangbé, Ogou, Lègba, Toxossou…Autrefois, pour y ramasser des escargots ou chercher du fagot, « il faut en aviser d’abord le fondateur », apprend Sognibonon. « Sinon, c’est en courant que celui qui tente de le faire à notre insu ressortira. Certes tu ne mourras pas, mais les maîtres de la forêt te pourchasseront jusqu’en dehors de leur refuge », renchérit son grand frère Hounnou. « Cette forêt n’est pas à vendre ». Les petits-fils se l’entendent répéter fréquemment.
Une question saute à l’esprit : pourquoi le fondateur a-t-il fait ainsi habiter ensemble une kyrielle de Vodun ? Ses descendants sont honnêtes : ils ne le savent pas avec précision. « Nous ignorons pourquoi il a réuni autant de déités en une même forêt. Les Fon venaient lui dire que normalement une seule divinité devrait être ici. Dans la région, à l’époque, beaucoup ne maîtrisaient pas les pratiques Vodun. Seul notre ‘’Daagbo’’ était le seul grand prêtre Vodun dans la région jusqu’à Lalo, Kplogodomè, voire jusqu’à chez les Houéda », avance Hounnou.
La forêt sacrée de Soyihoué est inscrite dans le circuit touristique du Mono. En attendant l’affluence des curieux, les Vodun font leur toilette. Grâce au projet Cirtoum du Groupement intercommunal du Mono (Gi-Mono) sur financement de l’Union européenne. Leurs cases sont refaites, agrandies et relevées. Des cases modernes à bases de briques de terre, maintenant ainsi la couleur ocre par souci d’authenticité.
Les dépositaires formulent deux doléances. D’abord, qu’une clôture en file barbelée soit réalisée autour de la réserve. Ensuite, et surtout, que la voie qui passe au milieu de la forêt soit fermée. « Le bruit des motos est une menace pour la faune », alerte Gannongbé Hounnou.

Lire aussi

0 Commentaire

Lobogo-Lobogo décembre 7, 2021 - 10:47 pm

Comment peut-on qualifier Lobogo d’un village ? En tant que journaliste nous devons savoir faire une enquête avant d’écrire sur le net.

Repondre
Dansou Jules Stanislas août 16, 2023 - 11:34 am

J’ai trop beaucoup aimé votre rédaction. Cela m’a aidé à mieux comprendre de maintes choses sur la forêt sacrée de soyihoué.

Repondre

Laisser un commentaire

A propos de nous

Bénin Intelligent, média au service d’une Afrique unie et rayonnante. Nous mettons la lumière sur les succès, défis et opportunités du continent.

À la une

Les plus lus

Newsletter

Abonnez-vous à notre newsletter pour être notifié de nos nouveaux articles. Restons informés!