Lancé le 19 janvier à l’Uac, le colloque scientifique international ‘’10 janvier : et après ?’’ ayant pour thème « Le Vodun dans un monde en mutation : De la prétention cartésienne à la rationalité mantique », a connu une deuxième journée riche en communications. Le Vodun est-il une religion ? Faut-il traduire les vodun en français par divinités ? Que dire de la réputation d’impitoyable dont il jouit en matière de prescriptions ? Des questions ayant fait l’objet de débats houleux.
Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
« Sakpata et Xêbiosso : deux divinités de fonction judiciaire et éducationnelle en milieu Fon ». Ainsi est intitulée la conférence inaugurale par laquelle la deuxième journée du a démarré. Ce thème développé par le professeur Paulin Hounsounon-Tolin (Uac), a été un riche exposé dont le public a régalé sous la modération du Dr (MC) Azizou Chabi Imorou. En quatre grandes lignes, le philosophe a fourni, d’une part, les « Raisons de la suprématie des divinités Sakpata et Xêbyosso chez l’homme Fon : Sakpata, divinité de la terre et de la variole et Xebyosso, divinité de la foudre, de la pluie et grand justicier des bons et des mauvais » ; et abordé la « Divination et adoration des phénomènes indispensables au monde paysan » dans les cultes Sakpata et Xêbyosso. D’autre part, Pr Paulin Hounsounon-Tolin a démontré le « Parallélisme entre la conception étrusque de la foudre et celle des Fon en matière de morale éducative » ; avant de présenter, enfin, la « Religion comme moyen d’éducation et de législation chez les Romains d’après Nicolas Machiavel, etc. ».
À sa suite, l’émissaire de Dodji Amouzouvi, directeur scientifique du Larred, a présenté au nom de son maître la communication à l’intitulé interrogatif : « Vodun, Dieu ou religion ? ». Si au quotidien on entend les béninois affirmer « la religion Vodun », c’est complètement le contraire qu’il ressort de cet exposé. En ce sens que, a-t-il argumenté, « La religion est une conception du monde, de sa création et de son fonctionnement. Elle contribue à faire l’unité d’un peuple dans le partage d’une expérience et d’une explication de la vie courante ». Or, va-t-il relever, « Le Vodun n’est pas un mythe…Le Vodun n’est pas une religion, c’est une entité. C’est l’entité première, c’est la déité qu’on adore, qu’on vénère. C’est de l’ordre du divin, c’est l’Entité Première. C’est la cause causante. C’est ce qui fait être. » Vu ainsi, « Il [le Vodun, ndlr] a généré une religion qu’on peut appeler’’ le voduïsme’’. Il a généré une culture. Il a généré les arts architecturaux, culinaires, vestimentaires… ». En somme, le Vodun est Dieu, puisque, croit-il, il vient de l’adaptation par le Fon d’un mot yoruba signifiant « dieu ». Par conséquent, Vodun n’est ni culture ni religion ; il est juste Vodun, il est Vodun avant d’être culture et religion. « Il est l’affirmation d’un monde surnaturel, mais aussi l’ensemble des procédures permettant d’entrer en relation avec celui-ci », a-t-il déclaré.
Épistémologie à histoire
Ont été également développées avec le public tout ouï, les thématiques, entre autres, de la « Lutte contre l’impunité au pays des 41 collines ; Orisha Ogou, une déité de justice sociale », présenté par Dr Bathélémy Idossou Babalao (Larred) ; « Pratiques divinatoires : conquête et gestion du pouvoir politique au Dahomey/Benin de 1960 à 2020 », par Korê Ebénézer Sedegan (Uac) ; et « Approche socio-anthropologique de la mutation de la pratique endogène de ‘’sᴐ nu do akɔ̃ nu ɲɔ̃nu’’chez les Fon de Setto centre », par Ulrich Ayeni (Uac). Au total, la dizaine de communications enregistrée lors de cette avant dernière journée du colloque s’inscrivent dans les axes « Les églises, les mosquées, les spiritualités et les vécus dans la pensée mantique », « Les logiques politiques mantiques face à l’évolution des processus démocratiques en Afrique : statut et rôle des chefs traditionnels », « La femme dans les pensées mantiques en Afrique » et « L’éducation dans les pensées mantiques »
Les débats ont été également riche d’une dissension épistémologique. Hormis les riches apports des participants, nombreux sont-ils à relever le caractère péjoratif de certains concepts souvent employés pour ‘’dire’’ le Vodun. Divinités, fétiches et bien d’autres mots issus de la littérature missionnaire sont à bannir, a insisté le doctorant en sociologie Fidèle Ballo Guèdè. En lieu et place, il a suggéré le concept de ‘’déité’’, « moins péjoratif ». L’autre position que ne partage pas l’historien des religions, Pr Jérôme Alladayè c’est de dire que « Vodun n’est pas une religion ». Malgré la communication érudite du représentant du professeur Amouzouvi, il a argumenté que les faits, les composantes et même la vie des populations montrent bien que Vodun peut être considéré comme une religion. « Il y a un minimum sur lequel nous devons nous entendre quelles que soient nos disciplines », a-t-il soutenu.
Avec l’exposé sur « Vodùn et régulation sociale dans le sud-Benin précolonial », le Dr Patrick Joël Adjivessode (Uac) a montré la place du Vodun dans l’observance du code de vie chez les populations du sud-Bénin à l’époque précoloniale. Son étude amène à la conclusion que chez les populations très religieuses, les vodun assurent le respect des interdits. « Lorsqu’un interdit est placé sous la surveillance d’un vodun, l’enfreindre, c’est s’attirer la colère des dieux », a-t-il constaté. Toutefois, il a démonté l’idée répandue selon laquelle le Vodun serait intransigeant, impitoyable quand ses prescriptions sont violées. « Le Vodun ne tue pas l’homme qui a le rameau au cou », autrement, lorsque la faute est reconnue Vodun rachète, pardonne. D’où les cérémonies dites ‘’ousrasra’’ (purification) et les sacrifices.