Docteur Raymond Assogba parle du dialogue interreligieux au Bénin. 28 ans après le premier dialogue interreligieux au Bénin conduit par le pape Jean-Paul II le 3 février 1993, l’état des lieux n’est pas reluisant‚ constate-t-il Globalement, « Le dialogue interreligieux n’existe que de mot » regrette Docteur Raymond Assogba ‚ anthropologue, maître de conférences des universités du Cames et responsable de l’unité d’enseignement de Boologie à l’Université d’Abomey-Calavi (Uac). Interview !
Propos recueillis par Arnauld KASSOUIN (Coll.)
Bénin Intelligent : Quelle importance revêt le dialogue interreligieux aujourd’hui ?
Docteur Raymond Assogba : Je pense qu’aujourd’hui, le dialogue interreligieux n’existe que de mot. Aussi comme un argument lorsque les religieux et politiciens parlent. Et sur cela, il faut réellement questionner ces derniers pour savoir de quoi ils parlent quand ils évoquent le dialogue interreligieux. Sinon, quand on invite les animateurs Vodùn au dialogue interreligieux, ils y vont. Mais les relations entre animateurs Vodùn et chrétiens n’ont jamais été fraternelles. En résumé, on peut dire, du dialogue interreligieux que c’est un évènement politique. Il ne devrait même pas exister si les chrétiens savent respecter la limite de leur liberté. Parce qu’un dialogue ne se décrète pas, il se vit dans le partage et dans l’échange.
À des moments déterminés, vous verrez qu’un dialogue s’il a lieu d’être, se fait sans provoquer une rencontre. Les Vodùnnon vont à l’église le jour mais les prêtres viennent dans les cénacles de Vodùn la nuit. Ils se cachent. Ils sont plus hypocrites.
Les religions Vodun et chrétiennes sont souvent vues dans des creusets ou rencontres œcuméniques. Les discussions et accolades ne sont-elles pas sincères ?
Tout d’abord, nous devons procéder à une certaine explication. Vodùn n’est pas une religion. Ce sont les missionnaires qui ont appelé le Vodùn, religion. Pour nous-mêmes, intellectuels du pays Vodùn, Vodùn est une connaissance. La religion quant à elle, est une croyance. Et vous allez découvrir à travers l’histoire européenne que toutes les guerres qui ont lieu, ont été des guerres religieuses. On peut en déduire donc que la religion est un instrument de guerre et, de combat. Le Vodùn n’est pas plus qu’une religion qu’un instrument de guerre.
Au Bénin, la première rencontre interreligieuse a eu lieu en présence du pape Jean-Paul II, le 3 février 1993, juste après que le président Nicéphore Soglo a déclaré le « 10 Janvier » comme fête nationale des religions traditionnelles.
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À contextualiser cette rencontre, on peut en conclure qu’elle ne s’inscrit pas dans une démarche sereine. Parce que, ce que la religion chrétienne catholique excluait comme Vodùn est revenu officiellement. Pour eux qui pensaient que Saint-Michel a déjà tué le diable, voilà le mort qui est ressuscité. La question qu’il faudra se poser, c’est de savoir à qui le Pape s’adressait-il ? La réponse à cette question est très simple. Il s’adressait à l’église béninoise, pour lui dire qu’au lieu de vous faire la guerre, n’oubliez pas que vous êtes fils du même terroir. Et vous devez dialoguer. Donc, le dialogue ne s’adressait pas aux animateurs de Vodùn. Puisque ce sont ces derniers qui les avaient acceptés quand ils sont venus au temps de la colonisation. Rassurez-vous quand-même que les rencontres interreligieuses ne sont pas sincères.
Le Bénin passe pour un pays où les religions coexistent pacifiquement. On l’illustre même avec la basilique de Ouidah qui fait face au Temple des Pythons. Êtes-vous de ceux pour qui tout va bien ?
D’autant que chacun est libre de choisir en toute liberté une obédience religieuse, tout va bien au Bénin. Vous ne verrez jamais un chrétien détruire un “Hunpkamè”. C’est pareil du côté d’un Hunnon qui ne peut détruire un temple chrétien. Quand même, il faut faire recours à l’histoire de la rencontre entre l’Occident et le Bénin pour mieux comprendre ce dont il s’agit. Après que les missionnaires ont débarqué au Bénin, pays Vodùn, compte tenu de notre hospitalité, un bout de terre leur avait été donné pour s’installer convenablement. Ceux-ci, pour s’installer, ont commencé par ériger une église. Je parle bien de la basilique de Ouidah.
Dans notre culture, chez les animateurs et utilisateurs du Vodùn, la fraternité et l’amour est une devise. Alors, les animateurs Vodùn se sont rapprochés des missionnaires pour les aider. Le Vodùn est la connaissance. Et il n’est interdit à aucun animateur Vodùn d’aller dans une Église. Aussi, dire du mal de telle personne ou de telle religion est une aberration du côté des animateurs Vodùn. Parce qu’il lui faut confronter les connaissances qu’il a à sa disposition, et de choisir librement ce qui lui convient. Ce qu’il faut rappeler est que les missionnaires n’ont pas débarqué que pour évangéliser comme ils le prétendaient. D’abord, ce n’est qu’après le discours du roi Belge qu’ils sont venus. De plus, ils avaient été envoyés pour servir les intérêts de l’Occident. Ils étaient envoyés en quelque sorte avec des armes pour une mission donnée.
Donc, comprenez pourquoi le Vodùn est considéré comme Satan et injurié. Mais vous savez, nous, ça ne nous dit rien. D’ailleurs c’est pourquoi, nous pouvons nous rendre chez eux, célébrer avec eux, leur culte. J’oubliais même de vous dire qu’après avoir construit des églises, les missionnaires étaient les seuls à célébrer leur culte. Et c’est de là, que les animateurs Vodùn ont convoyé quelques adeptes Vodùn pour les assister. Là, comprenez que chez nous, on cultive la solidarité.
La basilique de Ouidah, face au Temple des Pythons, traduit une dualité reconnue par les missionnaires. C’est l’échec de l’œuvre des missionnaires, tout simplement, si on devrait interpréter la situation géographique des deux lieux de culte qui se font face. L’église et le Temple se font face, cela dénote d’une dualité.
Docteur Raymond Assogba que faut-il faire pour changer le regard un peu indisposant des chrétiens envers les animateurs et utilisateurs Vodùn ?
Tous les animateurs du Vodùn savent que ce sont ses utilisateurs qui le diabolisent en public. Y compris les prêtres, les Messeigneurs et autres. Alors, leur discours est un discours d’autosatisfaction. Si tant est que cela ne menace pas la vie ou l’ordre social, je pense qu’ils sont libres de penser. Toutefois, il revient aux autorités publiques de prendre des mesures pour que chacun puisse profiter de ses choix. Le Bénin est après tout un pays laïc. Sinon, je ne vois pas en quoi le fait que l’autre ne soit pas dans le même mouvement religieux que moi, puisse m’amener à lui jeter toutes les invectives possibles.