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Citation fallacieuse : Le cas d’Emmanuel Mounier 

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
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[CONTRIBUTION] « Le Dahomey est le Quartier latin de l’Afrique. Mais cet intellectualisme fait de… » Cette phrase attribuée à Emmanuel Mounier (1905-1950), vous l’avez entendue autant de fois. Le philosophe français l’a-t-elle vraiment écrite dans son ouvrage ‘’L’éveil de l’Afrique noire’’ (1948) ? Plusieurs intellectuels ont repris cette citation, pourtant, elle est fausse. Ce que démontre le professeur Augustin Aïnamon, directeur scientifique du Laboratoire du Groupe de recherche sur l’Afrique et la diaspora (Grad/Uac) et coordonnateur de la formation doctorale des Études anglophones.

La première observation qu’il fait : ces genres de citation erronée, fallacieuse ou trompeuse –que les Anglo-saxons qualifient de « spurious quotation » ou de « mis-quotation »- existent souvent en plusieurs variantes. Il déconstruit une autre attribuée à un ancien président américain. Lire sa contribution : 

Arrêtons de travestir L’éveil de l’Afrique noire d’Emmanuel Mounier

 

L’objet de cette petite mise au point est de clarifier deux inexactitudes concernant des fragments de phrases attribués, à tort, à Emmanuel Mounier sur sa prétendue déclaration sur « Le Dahomey, quartier latin de l’Afrique… » mais avec une interrogation si cette intelligence malicieuse ne serait pas un frein à tout développement. Le second groupe de phrases serait attribué à Thomas Jefferson, un de pères fondateurs des États-Unis, auteur de la déclaration de l’indépendance américaine du 4 juillet 1776 et 3ème président du pays après Georges Washington et John Adams, sur les banques privées comme danger potentiel pour tout pays qui voudrait émerger

À propos de ce dernier cas de ce que les Anglo-saxons qualifient de « spurious quotation » ou de « mis-quotation » à tout le moins (citation erronée, citation fallacieuse ou citation trompeuse), je suis tombé il y a quelque temps sur des publications très critiques sur la réforme du franc Cfa dont une lettre ouverte d’un prêtre sénégalais, le Père Hartman Ntcho datant du 28 janvier 2020, adressée au président ivoirien M. Alassane Ouattara, grand défenseur du système en place depuis le 25 décembre 1945 pour servir les intérêts de l’ancienne puissance coloniale et qui a survécu à l’accession des colonies françaises à une indépendance purement formelle. Pour sauver les apparences, le franc des colonies françaises d’Afrique, franc Cfa, s’est mué en franc de la communauté franco-africaine puis de la communauté financière d’Afrique pour les 8 pays de l’Afrique de l’ouest, (regroupés en Union monétaire ouest-africaine ; Umoa, puis en Union économique hétérogène, donc sans le moindre souci d’intégration, Uemoa), de franc de la Coopération financière en Afrique dans les 6 pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale, Cemac, et enfin le franc comorien pour les Comores, avec des Banques centrales, la Bceao, la Beac et la Banque centrale des Comores dont la gestion échappe totalement aux États concernés regroupés ainsi en zones monétaires fictives.

 

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Les pays du franc Cfa sont issus de l’évolution et des transformations de l’ancien empire colonial français, ainsi que des États qui n’étaient pas des colonies françaises, comme le Cameroun et le Togo (d’abord colonies allemandes, puis placés sous mandat franco-britannique, la Guinée Equatoriale (espagnole) et la Guinée-Bissau (portugaise). Le franc Cfa est une contre-valeur à parité fixe avec l’euro, dont la valeur est garantie par le Trésor français.

Mais ce n’est pas ce qui me préoccupe dans cette publication mais le rapprochement que le père Hartman Ntcho a fait avec la situation des anciennes colonies britanniques d’Amérique du Nord qui allaient devenir les États-Unis d’Amérique et surtout en recourant à une citation attribuée à Thomas Jefferson, après avoir rappelé que dans la constitution américaine, section 8 de l’article 1 que « Le Congrès aura le pouvoir de battre monnaie, d’en déterminer la valeur et celle de la monnaie étrangère, et de fixer l’étalon des poids et mesures, d’assurer la répression de la contrefaçon des effets et de la monnaie ayant cours aux États-Unis » selon laquelle [« Une banque centrale privée qui émet la monnaie publique du peuple est une menace plus grave pour sa liberté qu’une armée dressée. »]. Jefferson aurait aussi déclaré, en 1791 selon le prêtre sénégalais (d’autres sources mentionnent 1802 dans une lettre au secrétaire au Trésor Albert Gallatin et/ou publiée plus tard en 1809 dans The Debate Over the Recharter of the Bank Bill) : « Si les colonies américaines permettent d‘aventure aux banques privées de contrôler l‘émission de la monnaie, alors ces banques passeront par l’inflation puis la déflation pour priver le peuple de ses biens. Jusqu’à ce qu’un matin, leurs enfants se réveillent en ayant perdu leur maison et les terres que leurs pères avaient exploitées. »]

Ce sont ces fragments de phrases qu’on a retrouvés en plusieurs variantes dans d’autres documents qui m’ont incité à en rechercher l’authenticité aussi bien en anglais qu’en traduction française. De nombreuses recherches ont abouti à des conclusions d’amalgames, de phases tronquées ou de citation au moins partiellement inexactes.

Le travail de clarification du côté de Jefferson étant abondamment documenté, j’ai alors entrepris de faire le même travail sur deux phases que des documents parfois très sérieux ont utilisées et qu’ils attribuent à tort à Emmanuel Mounier pour qualifier le Dahomey en 1948 de quartier latin, mais…

« Le Dahomey quartier latin de l’Afrique » qui continuerait par l’interrogation « mais cette intelligence faite de méchanceté pourrait-elle favoriser le développement ? »

Autre variante (il y en a beaucoup) : « Le Dahomey est le Quartier latin de l’Afrique. Mais cet intellectualisme fait de mesquineries et de méchanceté est de nature à enterrer définitivement le développement de ce pays »

Charly Hessoun par exemple, dans « Les Béninois et la sagesse de la fourmi », publié dans le quotidien « La Nouvelle Tribune » du 16-02-2013 a cru devoir écrire « Le Dahomey est le quartier latin de l’Afrique. Mais cet intellectualisme fait de méchanceté et de mesquinerie est de nature à retarder le développement du pays ».

Ebénézer Korê Sedegan et Olivier Djidénou Allochémè, dans la présentation de leur livre Histoire des coups d’État au Dahomey (1963-1972) ont écrit :

« L’instabilité politique au lendemain de l’indépendance est tributaire des aléas générés par la main mise constante des puissances étrangères. Mais, le mal n’est souvent pas le fait de l’étranger : il croît, s’enracine, se développe par le fait de notre propre apathie, de nos complicités, voire de nos ambitions individuelles et de notre malignité. Ce phénomène a été une des conclusions de l’analyse du philosophe français Emmanuel Mounier qui disait en substance : « Le Dahomey est le Quartier latin de l’Afrique. Mais cet intellectualisme fait de mesquineries et de méchanceté est de nature à enterrer définitivement le développement de ce pays ». On constate malheureusement que bon nombre de lettrés béninois, sans avoir lu la citation entièrement, mettent un zèle à ne citer que le premier segment de cette flatterie. Et ceux qui l’ont lu oublient de tenir compte de la restriction notée par l’auteur et que développe cet ouvrage. »

Roger Gbégnonvi aussi, qui accuse le Dahomey-Bénin et les Béninois de tous les péchés d’Afrique et d’ailleurs et qui s’est mué depuis quelque temps en chantre bien inspiré des bienfaits de la Rupture qui a apporté une sorte de bombance « sons et lumières au peuple béninois » (dans sa chronique publiée le 27 février 2021 par Venance Tonongbé sur sa page Facebook), a recouru aux deux fameuses phrases attribuées à Emmanuel Mounier pour convaincre qui veut l’entendre de la justesse de ses positions d’équilibriste dans une chronique intitulée « Mounier a vu le vrai Bénin » publiée le 1er octobre 2015, Il a fait dire à Mounier (en 1958 au lieu de 1948) : « Le Dahomey est le quartier latin de l’Afrique. Mais cet intellectualisme teinté de méchanceté et de mesquinerie est de nature à retarder le développement du pays ». Et il ajoute pour terminer sa philippique contre le Bénin et les Béninois : « Non pas retarder mais interdire. Mounier a vu le vrai Bénin : fonctionnariat avachi conjugué avec la mafia inventive. Mounier a vu le Bénin interdit de développement. Mais ne le dites pas. On est bien comme on est. Rompez les rangs ! »

Tout ce fiel, que dis-je, toute cette rage et tout ce venin déversés contre le pays qu’il continue de considérer comme le sien dans la chronique du 1er octobre 2015, n’ont pas empêché Roger Gbégnonvi de proclamer dans la chronique « Démocratie et honnêteté politique » du 27 février 2021 l’arrivée de messies dont « le bilan matériel du Bénin transfiguré en cinq ans de labeur porte en filigrane un bilan immatériel à l’importance indépassable : la confiance retrouvée en soi Béninois, l’assurance que, loin d’être nuls, les Béninois sont capables de s’organiser ensemble pour le progrès de l’homme ici et maintenant. Reconnaître et saluer ce bilan immatériel reflété par le bilan matériel de la Rupture ne saurait signifier allégeance à X ou Y, capitulation, renonciation à son idéologie politique si on a une. »

 

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On peut toujours se demander si Roger Gbégnonvi a une idéologie politique. Mais je reviendrai dans une prochaine analyse à son avant-dernière chronique « Refermer les plaies béninoises des guerres dahoméennes », en conférence de presse à Ouidah le 12 avril 2022 (publiée le 16 avril 2022 par Venance Tonongbé) où il se lamentait devant l’état de déconfiture qu’a atteint la société béninoise, et à la suite de laquelle je déplore qu’il ne nous indique pas la bonne voie pour refermer les plaies béantes qui se sont amplifiées ces dernières années, la bonne voie pour nous éviter des traitements de chocs impliquant des dégâts humains encore plus importants que nous ne connaissons déjà

Voyons maintenant ce que renferme ce petit ouvrage de 126 pages, L’éveil de l’Afrique Noire, (Paris : Presses de la Renaissance, 2007, 219 pp. Collection Petite renaissance. Première édition : Paris, Les Éditions du Seuil, 1948) où nous ne pouvons trouver trace de ces deux phrases citées à tort et à travers :

À la page 13 où il est question d’intelligence, d’intelligentzia et d’intellectuels, on peut lire « Un ami noir me conduit chez quelques camarades. Cela existe, en Afrique, six intellectuels noirs, qui cohabitent en camarades, parlent un français impeccable, pétillant, nuancé, et sont voués cependant à l’avenir de leur pays, joyeusement, sans airs [54] farouches, sans haine, résolus comme un jeune garçon qui part le matin pour une longue promenade. Ils s’apprêtent à éditer la première revue littéraire noire, Présence Africaine. Il leur semble que l’histoire commence un peu avec elle. Autour du punch, ils essayent de m’expliquer l’âme noire. « La clé du Noir, me dit l’un d’eux, c’est son absence totale d’individualisme. » [L’expérience, par la suite, m’apprendra que cet individualisme est en même temps, par des voies qui me sont encore peu claires, la plus grande attention de l’« évolué. »] Il ne se sent jamais comme un moi seul devant les autres, seul devant soi. C’est à la fois sa supériorité et son infériorité. L’intimité, l’intériorité ne lui sont pas connues. [Cela me semble plus vrai du Sénégalais que d’autres races.] »

P. 45
Toutes les capitales du Sud se déplacent de l’intérieur vers la côte. Bingerville est ainsi détrônée. Elle reste cependant encore le centre intellectuel.

Page 56 – Lundi, 31 mars. Douala-Cotonou.

Après une nuit de tornade, nous décollons sous un ciel de plomb. Grains. Le vieux junker frémît à peine. À nouveau les bouches désœuvrées du Niger, et bientôt le Dahomey, ses plages fines, ses jardins de cocotiers. Cotonou.

[117] Un hasard heureux me rapproche tout de suite, à la table d’hôtel, d’un des meilleurs connaisseurs du Dahomey et des plus courageux amis du Noir : l’ethnographe Thomasset. Avec le conseiller Pinto, il me présente ce pays de l’intelligence noire, que menace l’envers de ses qualités : un climat d’individualisme farouche, des rivalités mesquines de ville à ville. Sur cette côte à l’abord facile, les indigènes ont depuis des siècles des contacts nombreux, des croisements même, avec les étrangers : Espagnols, Brésiliens, Portugais, Français. Ils s’y sont affinés — d’autant que, dans cette coupure de la forêt, la race est plus belle. Pour employer la terminologie Frobénius : oasis hamitique dans une zone massivement éthiopienne. Les « évolués » sont ici beaucoup plus naturels et spontanément égaux, les rapports des Blancs et des Noirs sont de cinquante ans en avance sur le reste de l’Afrique. Certains sont ici normaux qui feraient scandale ailleurs.

P. 58
Je rentre à Cotonou. À midi, Thomasset me parle longuement du Dieu unique en Afrique. On le trouve partout, derrière les fétiches. Il est un peu lointain, il n’a pas d’action dans la vie de chacun, on n’entre pas en relation directe avec lui ; autant d’essais, semble-t-il, pour exprimer sa transcendance. Au Dahomey, c’est Mahou (le Mawa de la Nigeria). Son fils, Lissa, dont on ne désigne jamais la mère, est à la fois le caméléon et l’aurore. Dès qu’on parle de Mahou, le ton et les visages changent. On ne lui fait pas de sacrifices, mais il doit donner l’autorisation que l’on fasse des sacrifices aux fétiches. Le malheur est qu’il faudrait observer cette croyance avec scrupule et intelligence. Or, les uns veulent à tout prix y démontrer les traces de la révélation primitive, les autres la contestent pour ne pas apporter de l’eau au moulin de la Mission.

P. 82 dans un chapitre qui commence par une question « L’Afrique devient-elle majeure ? (p. 81)

Toutes ces questions, certes, les peuples noirs les posent avec moins d’urgence que des peuples plus anciennement civilisés et nationalisés. Mais elles commencent à poindre, et tout va très vite aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, il n’y a plus à reculer, Il n’est pas interdit de continuer avec intelligence, ce qui exige que l’on dise des vérités dures aux blancs comme aux noirs.

Pp 93-95

Le passage mythique qui a peut-être pu justifier tous les verbiages : Le Dahomey, quartier latin de l’A.O.F

Quand on vient, de Freetown à Lomé, de survoler quelque douze cents kilomètres de forêt équatoriale, sans un repos pour l’œil, si ce n’est quelques marécages trop verts ou trop bruns, plus inquiétants encore que la toison serrée — ou les embouchures démesurées de quelques grands fleuves solitaires que poussent à la mer les griffes blanches des palétuviers, quand, au comble de l’oppression, on voit ce paysage de préhistoire s’arrêter subitement devant une légère aquarelle de sables roses, de cocotiers fusant comme d’innombrables jets d’eau, on a soudain le sentiment de sauter vingt siècles d’histoire. À ce moment, l’Européen respire : il a retrouvé les hommes, l’intervalle entre les [172] choses, la limite, la liberté, la joie de vivre peut-être sa patrie. (Note de l’éditeur de 2007 : Le Dahomey deviendra, le 39 novembre 1975, la république populaire du Bénin). Ce contraste, c’est le secret du Dahomey et du Togo. Cette coupure dans une toison qui s’étend sans autre interruption de Freetown au cœur du Congo, j’en ai dix fois demandé vainement la raison. Est-elle primitive et explique-t-elle l’évolution des Populations du couloir ? Ou est-ce la valeur de ces populations, peut-être venues du Nord, qui explique le défrichage de la forêt ? Quoi qu’il en soit, ces populations du Dahomey et du Togo, surtout vers la côte, sont celles où dès maintenant fleurit la plus fine intelligence africaine. Voici ce politique si peu politique, M. Azango, conseiller général du Dahomey. Il anime « l’Union progressiste dahoméenne » (U.P.D.), où sa grande intelligence et sa souplesse compréhensive maintiennent ensemble le plus fidèle enfant des Missions Africaines et le député communiste Apithy (que l’on voit, au derrière des Africaines, en médaillon symétrique du Père Auplais, sur le dernier pagne à la mode). Peu d’Africains donnent comme lui l’impression d’avoir dominé tous les complexes de l’émancipation, d’avoir atteint une paix et un équilibre si rares dans cette génération de transition. Sortant de chez lui, traversez Cotonou, et en pleine ville indigène, dans une rue de sable fin, parmi les paillottes et leurs enceintes de bambous [173] tressés, grises de vieillesse et de poussière, vous rejoindrez une modeste maison de banlieue parisienne, moellons et tuiles rouges, qui paraît puissante au milieu de ces cases légères. L’écrivain Hazoumé l’a sans doute construite sur l’emplacement de la case familiale, pour marquer la continuité de sa race. Un détour de préau, et vous le voyez devant sa table garnie de papiers et sa machine à écrire. Timide, empressé, presque trop timide, trop empressé, il n’est pas loin de s’excuser d’avoir écrit un roman historique dahoméen, et de préparer fiévreusement le prochain congrès de l’U.P.D. Poussez jusqu’à Porto-Novo. Vous trouverez le jeune Serpos Tidjani. La plupart des intellectuels dahoméens sont catholiques, même quand ils sont d’extrême-gauche. « Serpos », lui, est musulman. Mais il est aussi secrétaire de la C.F.T.C. 8, et il a écrit un éloge des missions

Je devrais encore parler du vibrant et disert maître Pinto, conseiller de la République, et de plus d’un que ne consacre aucun titre officiel. Maître Pinto habite Cotonou, comme tout le monde, mais il a son cœur à Porto-Novo. Comme tout le monde, il sait et ne veut pas s’avouer que Cotonou est la capitale infailliblement désignée par sa situation [174] sur la côte, que les jours de Porto-Novo, la vieille ville aux séductions provinciales, sont comptés. Cotonou, entre la mer et les cocotiers, est le Quartier Latin de l’intelligence dahoméenne. C’est de là, sans doute, que partira le plus vif éclair de l’esprit dans l’Afrique de demain. Cette intelligence dahoméenne est étrangement proche du génie français : rationnelle, analytique, agile, dégagée des lourdeurs mystiques de l’âme noire. Sans doute est-ce pourquoi elle a fait la jonction la première. À moins que ce ne soit, comme on le dit ici avec un reflet de malice, parce que le Dahomey est situé sur le méridien de Paris… Comme la nôtre, elle a son revers : un individualisme accusé, qui parfois laisse à redouter les pires divisions. D’homme à homme, de ville à ville, de pays à pays, ce petit pays heureux est prêt à se déchirer. Saurons-nous, sur les ruines des vieilles croyances qu’il a rejetées plus tôt que d’autres, lui apporter une nouvelle force de cohésion ? [C’est moi qui souligne]

p. 96-
Non, s’il y a un jour des menaces sur le Dahomey, elles ne viendront pas d’un excès d’imagination historique. Elles viendront de l’oubli. Le Dahomey est la plus extrême de nos colonies de l’A.O.F. Il se cache derrière d’énormes colonies étrangères. Le sang qui circule depuis Dakar ne l’atteint qu’anémié par la distance. Les voyageurs y vont peu, les crédits lui sont mesurés. Les projets qui en partent se perdent entre la forêt et les sables — la forêt de la procédure, les sables de l’indifférence pour celui qui est loin et ne peut que crier. Si le Dahomey continue à produire les plus intelligents des Africains, son délaissement risque de produire un jour le plus grave des conflits.

Conclusion

Voilà donc la substance de ce merveilleux ouvrage d’Emmanuel Mounier, qui conseille aux Africains comme aux Européens de faire la jonction avant de faire la synthèse de leurs deux univers pour créer de nouveaux possibles, au-delà du vieux modèle colonial qui est déjà contesté et condamné à terme. Tout ce qu’il a redouté pour le Dahomey, c’est qu’on ne puisse pas lui apporter une nouvelle force de cohésion après qu’il s’est montré prêt, plus tôt que d’autres, à rejeter les vieilles croyances. Il déplore le délaissement dont il a été victime selon lui, surtout par rapport à un pays comme le Sénégal. La production des Africains les plus intelligents, couplée à ce délaissement, pourrait conduire un jour, selon Mounier, aux plus graves conflits. Rien qui pourrait justifier la propension à l’auto-flagellation, à l’autodénigrement et même à l’autodestruction des Béninois, auxquels nous avons assisté depuis trop longtemps.

Enfin, à l’image de leur avion qui s’ensable dans les environs de Saint Louis du Sénégal, Mounier a eu des mots justes : « Ainsi s’ensable l’Europe dans sa colonisation. Elle y fit de grandes choses. De moins grandes aussi. Mais l’histoire a tourné. Il faut changer d’appareil. » (p. 80). Cet homme visionnaire, contrairement aux nostalgiques de la Françafrique qui pointaient déjà à l’horizon à cette époque et qui regardaient d’un œil inquiet les « évolués » (terme affreux que Mounier détestait), a perçu que la confrontation de l’Europe et de l’Afrique allait se faire « à une vitesse accélérée, trop vite peut-être, plus vite que les problèmes et les hommes n’ont le temps de mûrir »

Il y a donc déjà près de 75 ans Mounier percevait la fin de l’ère féodale des conquêtes et des empires et que la nouvelle conquête de l’Afrique qui se présentait était la conquête de l’amitié et de l’humanité, non pas celle de la ruse et de la rage

Fait à Cotonou le 5 mai 2022

 

Note
Quotation :”If the American people ever allow private banks to control the issue of their currency, first by inflation, then by deflation, the banks and corporations that will grow up around them will deprive the people of all property until their children wake up homeless on the continent their Fathers conquered…. I believe that banking institutions are more dangerous to our liberties than standing armies…. The issuing power should be taken from the banks and restored to the people, to whom it properly belongs.”
Variations:

“If the American people ever allow private banks to control the issue of their currency, first by inflation, then by deflation, the banks and corporations that will grow up around them will deprive the people of all property until their children wake up homeless on the continent their Fathers conquered.” (citations jugées fantaisistes)

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