Haut-Dahomey -Le juriste, docteur en Histoire contemporaine, Mensan Moïse Mètodjo publie un premier extrait de sa thèse de doctorat soutenue à l’Université de Lille en décembre 2019 sous le titre « L’appropriation territoriale et la délimitation des frontières du Haut-Dahomey (1894-1913) ». L’ouvrage, lancé vendredi 16 septembre à Cotonou, pose deux problématiques, celle de la délimitation des frontières dont certaines continuent encore aujourd’hui d’être portées devant les instances judiciaires internationales et le vivre-ensemble au sein de communautés qui ont été réunies de force.
Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
« Beaucoup m’ont reproché d’écrire un ouvrage qui ne s’intéresse pas aux vraies problématiques de l’avenir. Je pense qu’ils ont tort ». Mensan Moïse Metodjo reste convaincu de la pertinence, l’utilité de son œuvre dans un contexte où l’environnement, la mondialisation… semblent être les problématiques les plus accrocheuses.
Pourtant, revisiter l’histoire de l’appropriation territoriale notamment du Haut-Dahomey, croit-il, permettra de construire le vivre-ensemble harmonieux, l’unité nationale.
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« L’appropriation territoriale et la délimitation des frontières du Haut-Dahomey (1894-1913) » est un essai de 226 pages publié cette année aux éditions ‘’Les Trois Colonnes’’, à Paris. L’ouvrage aide les générations actuelles à comprendre l’histoire de la colonisation afin de travailler au vivre-ensemble impérieux de nos jours.
« Quand on parle du Haut-Dahomey, on s’intéresse à la portion du territoire comprise entre les 9ème et 14ème parallèles, schématiquement entre les communes actuelles de Tchaourou et de Malanville », précise Dr Olivier Allochemè, présentateur de l’ouvrage.
« Si l’ouvrage a pris pour repère temporel initial l’année 1894, c’est parce qu’il se situe en effet au lendemain de la conférence de Berlin (novembre 1884 à février 1885), conférence qui a décidé des règles du partage de l’Afrique entre les puissances coloniales désireuses de s’approprier le continent africain. Il se situe surtout au lendemain de la prise du royaume du Danxomè par la France en 1894. En 1913, nous sommes bien à la veille de la première guerre mondiale (1914-1918) à laquelle les territoires sous occupations seront appelés à participer », a-t-il ajouté.
S’agissant de « l’appropriation territoriale » présisément du Haut-Dahomey, l’auteur montre que la méthode des colonisateurs français, anglais et allemands « fut alors de signer des traités de protectorat avec [les] entités dont les rois cherchaient à se protéger contre les razzias des royaumes ennemis comme le Danxomè et Nikki. »
Il s’agissait en réalité d’un marché de dupe. « On peut même parler de fiction légale, selon Allochemè, d’autant que comme l’affirme l’auteur « aucun d’eux n’était conscient de la dévolution de leur souveraineté et de la portée de leur paraphe, à l’exception du Dahomey et des Ashanti » (p. 53).
« L’appropriation territoriale du Haut-Dahomey montre qu’au départ nos souverains ont été simplement bernés. On leur faisait croire que la France voulait signer des traités de protectorat avec eux pour les protéger contre d’autres royaumes rivaux, par exemple le cas avec Toffa contre Abomey.
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Mais derrière les Français ont une autre idée. Ils savent très bien qu’ils vont transformer ces traités de protectorat en acte de propriété. Les souverains n’étaient pas au courant de cela. Pour eux, il s’agissait juste d’avoir la protection d’un plus fort contre le royaume d’Abomey qui terrorisait énormément les petits royaumes qui l’entouraient. Dans le nord, c’est plutôt les Bariba, les forts », décrypte Mensan Moïse Metodjo.
Autrement, les occidentaux « signaient et respectaient ces conventions au gré de leurs intérêts », (page 58). Dans sa démonstration, l’auteur montre également l’occupation effective des territoires colonisés avec l’aide des tirailleurs sénégalais et haoussa surnommés « les dogues noirs de l’empire ».
Encourager le vivre-ensemble
4La deuxième partie de l’ouvrage traite de la délimitation desdits territoires occupés. Le premier constat en cette matière est que, « Si les traités de protectorat ont été signés avec les rois et chefs locaux, la délimitation des frontières s’est réalisée essentiellement sans la présence de ceux-ci », observe Olivier Allochemè.
Seules les puissances colonisatrices vont se concerter pour s’octroyer les territoires. « C’est pour cela que l’auteur affirme que ces négociations « n’ont débouché que sur des choix dénués de toutes considérations endogènes, sans égard aucun pour les réalités naturelles, et opérés par des acteurs déconnectés du terrain » (p. 87), cite le présentateur.
L’autre constat, est que le rapport des forces a parlé en faveur des Anglais. « C’est pourquoi l’auteur affirme : « Lorsqu’on compare la carte du Dahomey avec ses acquisitions ou prétentions territoriales à la veille des négociations et à la fin de celles-ci, l’évidence du rétrécissement est saisissante. Le Dahomey a perdu une superficie importante. » (p. 118).
Et d’ajouter : « Sa forme actuelle aurait été différente si les diplomates français n’avaient pas accepté d’abandonner ces royaumes à l’Angleterre. » (p. 119). Les royaumes en question sont ceux de Shaki Godeberi, Kitchi, Kaiama, Illo, Kayoma, Boussa tous situés aujourd’hui en territoire nigérian, cite Olivier Allochemè.
Ces délimitations réalisées au mépris des réalités socio-anthropologiques, expliquent le fait par exemple qu’une partie des Bariba se retrouve au Nigeria et une partie au Bénin ; de même que les Yoruba et bien d’autres peuples. Mais l’auteur n’est pas alarmiste.
Il observe que ces délimitations arbitraires n’ont pas induit une « rupture culturelle ». En ce sens que « Les populations ainsi séparées ont continué à entretenir des relations séculaires qui résistent à toute intervention coloniale ou administrative », appuie Olivuer Allochemè.
« L’idée qu’elles se font de cette barrière que constitue la frontière est aux antipodes de ce que visent les autorités coloniales à travers cette institution juridique. » (p. 159). « Ceux qui étaient habitués à vivre ensemble ont été séparés et ceux qui passaient le plus clair de leur temps à se faire la guerre ont été mis ensemble ».
Si l’artificialité des frontières est une évidence, il ne s’agit pas toutefois d’une spécificité africaine. « Les frontières artificielles, elles sont partout, ce n’est pas seulement en Afrique », tempère Mensan Moïse Metodjo.
Dans la plupart des pays du monde, les découpages territoriaux, dit-il, réunissent généralement des populations aux cultures et à l’histoire différentes, soutient l’auteur. D’ailleurs, chercher à redéfinir les frontières héritées de la colonisation entrainerait une vraie pagaille. Ce qui a conduit, rappelle-t-il, les chefs d’État africains à adopter à Addis-Abeba le principe de l’intangibilité des frontières.
« Au lieu de se focaliser sur l’artificialité des frontières, il faut travailler au vivre-ensemble. En la matière beaucoup de choses se font. De sorte que les populations qui sont séparées et qui sont de la même culture, de part et d’autre des frontières, il y a une interaction et ces populations se retrouvent et ignorent en quelque sorte la ligne artificielle qui est créée. Je crois qu’il faut encourager les initiatives du genre pour que le vivre-ensemble soit une réalité », recommande-t-il.
Mensan Moïse Mètodjo enseigne actuellement en France. « Si les décideurs politiques décident de la vulgarisation de ce travail, ce sera pour le bien de tout le monde », souhaite-t-il.
L’ouvrage est certes destiné à un public universitaire et aux amoureux de l’histoire, mais « on peut faire une version simplifiée à l’intention du public, voire une version illustrée » afin d’amener les jeunes à connaître leur histoire, plaide-t-il.
Un 2e extrait toujours de sa thèse est en cours de rédaction et se penchera cette fois-ci sur la partie méridionale, le sud de l’ex-Dahomey. L’auteur « aimerais bien revenir au pays et apporter ma petite pierre à l’édifice nationale ».