Au Bénin, pas toujours facile de se servir des pièces de 5f et de 10f. Aux yeux des populations elles sont considérées comme des ingrédients rituels malgré le rappel à l’ordre du ministre de l’Économie et des finances. Des spiritualistes y voient une mystification gratuite et rassurent du caractère inoffensif desdites pièces.
Par Bénédicte KOUKPODE et Rosine SETCHO (Stagiaires)
« Je n’accepte pas les pièces de 5f et de 10f ». Julia A., étudiante est catégorique. Elle a pris cette décision suite à une mauvaise expérience. « J’ai commencé par refuser les pièces de 5f et 10f lorsqu’une vendeuse m’a dit qu’on ne les prend plus ».
Maman Houefa, vendeuse de glace confirme ces propos. « Moi je n’accepte pas ces pièces de monnaie. J’en ai plein là que je manque de jeter; on me les a refusées aussi sous prétexte que ce sont des pièces de sacrifice ».
La question du rejet des pièces de monnaie de la part des populations n’a aucune base légale, fait constater Fayçal Mama Memako, socio-économiste. La Banque centrale des États de l’Afrique de l’ouest (Bceao), rappelle-t-il, « n’a publié aucun communiqué interdisant l’utilisation de ces pièces dans les échanges ».
Il reconnaît que, effectivement « les sacrifices faits majoritairement à base de ces pièces sur les espaces publics », contribuent à la méfiance voire la réticence des populations. « Le refus de ces pièces suivant mes analyses est dû à des raisons socio-culturelles, religieuses et économiques », justifie-t-il.
« Entre autres raisons, il y a l’extrémité des doctrines religieuses, l’ignorance des textes, l’inculture des populations, …le poids encombrant et insignifiant de ces pièces dans les portefeuilles puis la rareté des produits disponibles pour ces pièces sur le marché », énumère-t-il.
Un changement de comportement au niveau des populations passe par la revalorisation de ces pièces de monnaie, estime le socio-économiste Fayçal Mama Memako. Pour y arriver, « Il urge donc, dit-il, que les banques centrales et commerciales mènent une politique de relance desdites pièces dans le circuit économique, puis aux gouvernants de renforcer le pouvoir d’achat des ménages et de revaloriser ces pièces ».
Mystification gratuite
Les dignitaires du Vodun se sentent indexés. Rejeter les pièces de 5F et de 10F pour cause de sacrifices, revient à accuser voire diaboliser le Vodun, estiment-ils. Bokonon Gbemandoyomin conclut à une « mystification gratuite » en ce sens que, insiste-t-il, « La création des pièces n’a pas été faite avec la signature du Vodun et que aucune loi ne stipule que ce sont les vodouïsants qui détiennent les pièces de 5f et de 10f ».
Il fait d’ailleurs constater que ceux qui rejettent ces pièces sont forcément d’obédience chrétienne. « Ceux qui disent qu’ils ne veulent pas des pièces de 5F et de 10F, que ce sont des pièces de sacrifices, quelle est leur appartenance religieuse ? Sont-ils des partisans de la religion endogène, ou des adeptes de la religion importée ou bien ce sont des musulmans ? », interroge-t-il.
Et de répondre : « Si quelqu’un doit mystifier les pièces de 5F et de 10F, je crois que c’est d’abord les partisans de la religion importée. De notre côté, le Vodun est sauveur et a besoin des miettes à titre symbolique pour sauver les usagers, pour venir en aide à ses partisans », rectifie-t-il.
Bokonon Gbemandoyomin dit comprendre que « Dans un pays laïc chacun cherche à tirer les ficelles de son côté. Tout le monde a le droit de choisir sa religion ».
Mais, rassure-t-il, « Le Vodun a atteint un niveau de spiritualité très élevé où la mystification n’est plus permise ». Il appelle alors les populations à se débarrasser de cette mystification. « Encore que sans compter les pièces de 5f et 10f on ne peut pas compter 1 million de franc, 1 milliard, 2 milliards F », persiste-t-il.
Ezekiel Natabou l’a compris. Le tenant d’une salle de photocopie à Godomey-Togoudo, s’offusque même de cette attitude. « Les clients m’embêtent pour ça. Mais moi je prends toutes les pièces parce que mon patron m’a dit de ne jamais refusé l’argent. Ce sont les mauvaises pensées qui les conduisent à refuser», déclare-t-il.
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User d’une pièce de monnaie ayant servi à un rituel porte-t-il malheur ? Le spiritualiste, numérologue et kabbaliste Hermann Dagbemabou Lobotoe répond par la négative. « Même si la pièce jetée après un rituel est ramassée par quelqu’un il n’y aurait pas de soucis car, la nature n’a rien laissé au hasard. Il y a dans l’économie de la nature, des êtres chargés de purifier tout ce qui est souillé par des pratiques occultes. Aucun impact possible même si elles ont été utilisées pour des rituels occultes avant d’être jetées », éclaire-t-il.
Hermann Dagbemabou Lobotoe indique aussi que, ce ne sont pas les pièces de 5F et de 10F seules qui pourraient être utilisées dans un rituel.
« Tout ce qui est numéraire est utilisé pour des rituels. Donc ceux qui refusent les pièces de 5F et de 10F devraient aussi refuser les autres pièces et billets de banque. Les personnes qui commercent et qui refusent ces pièces sous le fallacieux prétexte que les pièces servent aux rituels ont tout faux », retient-il.