Léonard Rachex‚ artiste visuel Français entend créer à l’arrivée trois œuvres en une seule. Un travail inédit qui lui fait recourir au savoir-faire de deux autres artisans, un teinturier et un tisserand du palais royal d’Abomey. Dans l’un des ateliers de l’espace culturel Le Centre de Lobozounkpa, la concrétisation des croquis de ce projet retenu dans le cadre du programme ‘’Passages’’ avance. Le résultat, ce sera un « tissu » destiné à camoufler d’autres œuvres. Une fonction sujette à débat !
Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
Un tissu rectangulaire de fond violet, parsemé de « tâches » empruntés aux motifs militaires de camouflage. Tâches variées peintes au rouge, rose et un jaune très vifs. La surface plane du tissu étalé sur des nattes à même le sol, porte une « bosse ». Il s’agit, en réalité, d’une autre œuvre en dessous qui se laisse deviner, mais avec imprécision.
Peinture ? Sculpture ? ou installation ? Pas aisé de catégoriser cette œuvre en gestation de l’artiste Français Léonard Rachex en collaboration avec Fiacre Accalogoun, teinturier et un autre tisserand. Lui-même l’avoue. « La forme va changer suivant la nature de l’objet en dessous ».
Dans le local les croquis sur papier exposés çà et là donnent un aperçu de ce qui est en cours de matérialisation. « Je la vois à la fois comme un tableau et une sculpture mouvante.
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Cette nature de l’œuvre attire, des visiteurs reçus mercredi 28 septembre s’y intéressent. Comment peut-on l’acquérir par exemple ? « Souvent ce sont des pièces muséales. Et non des pièces achetées par un collectionneur qui va les mettre chez lui. Le propos c’est pour un public plus large », explique un collègue en appui à Léonard Rachex.
« Quelqu’un me demandait si c’était une installation ou pas. C’est vrai que factuellement il y a deux éléments mis dans l’espace, c’est aussi une installation. Il y a quelque chose entre eux, entre la peinture et la sculpture et l’installation. Je la vois comme telle », indique Rachex.
Dans cette œuvre protéiforme, malléable à volonté le tissu est « central ». Sa fonction unique : recouvrir. « La finalité, ce sera ce tissu là et dans l’idée, c’est qu’à chaque exposition cette pièce recouvre une autre pièce. Donc la pièce la plus importante ici c’est le tissu. C’est une pièce qui amène à épouser une autre. Ce qui est en sous peut varier. Sa fonction c’est de cacher, de recouvrir ».
En recouvrant une autre pièce, une magie s’opère. Les deux œuvres vont fusionner comme dans un accouplement passionnel pour générer, enfin, une nouvelles. Alors, d’une tissu, l’artiste compte arriver à « trois œuvres en une : ma pièce de tissu, la pièce en dessous et la forme que les deux vont avoir ensemble. Le mariage des deux va créer une troisième pièce ».
Questionnements
Recouvrir une œuvre d’un autre artiste ! La fonction de camouflage que Léonard Rachex attribue à son tissu, divise. Méchanceté ou jalousie envers ses collègues ? Il s’en défend à deux niveaux.
Première observation pertinente, la démarche de Rachex est de « bousculer un peu les choses ». Dans cette iconoclastie, l’œuvre ‘’tissu’’ « cache de la vue mais ne porte jamais atteinte vraiment à l’intégrité de la pièce » dissimulée.
Cependant, tout artiste n’aspire-t-il pas à de la visibilité ? Ce qui sauve voire « innocente » Léonard Rachex dans une certaine mesure : ce n’est pas lui qui désigne quelle pièce « sera » ou « mérite » d’être dissimulée. Seconde observation.
L’inutilité d’une œuvre est ici laissée à l’appréciation/appréhension du public. L’artiste Français lui se contente de soulever la problématique, de lancer le débat.
« L’idée c’est de poser des questions : quelle est la limite d’une œuvre artistique ? qu’est-ce qui fait œuvre ? Est-ce l’œuvre en dessous ou les trois l’une sur l’autre ? Je voudrais que le spectateur soit amené à se poser des questions. Est-ce qu’il y a des pièces qu’il n’a plus envie de voir ? Pourquoi ?
Nous sommes à un moment où il faut réfléchir à un positionnement sur la séparation, ou, de l’œuvre et de l’artiste ou pas par exemple. Je pense qu’il faut se poser les questions : est-ce qu’il y a des pièces qu’on devrait recouvrir ou pas ?» aligne-t-il.
« Et puis je n’ai pas envie de recouvrir certaines pièces parce que j’ai envie qu’on voit plutôt noir ou que son auteur m’ait vexé et je veux recouvrir sa pièce. Non ! »
Léonard Rachex refuse d’afficher une réponse. Même si on découvre bien qu’il croit en lui-même que des œuvres méritent d’être camouflées de nos jours. Sa position sur la question transparait en filigrane dans son argumentation et illustration. « Par exemple Picasso [1881-1973] qu’on voit beaucoup dans les musées », cite-t-il.
Ce peintre, dessinateur, sculpteur et graveur espagnol, Rachex critique « qu’il a été très abusif avec les femmes ». Par conséquent « est-ce qu’on doit encore le voir aujourd’hui ? Je ne donne pas de réponse. Mais je pose de question avec cette pièce parce que ce n’est pas moi qui vais aller recouvrir les pièces de Picasso dans les musées », se défend-il.
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Léonard évoque aussi la question des œuvres patrimoniales africaines pillées pendant la colonisation. « Est-ce que ce sont des pièces qui ne devraient pas être en France ? » Dans le cas du Bénin, certaines parmi elles font en effet l’objet de discorde, soit parce qu’elles ont été pillées elles-mêmes par les rois du Danxomè chez des peuples limitrophes soumis. Ou parce qu’elles suscitent à l’instar des trônes royaux, des intrigues parfois mortifères.
En attendant le dévoilement de l’œuvre à un public plus large, Léonard Rachex fait une belle expérience de travail collectif, collaboratif dans le cadre de cette résidence.
« Ça apporte de nouveau regard sur la pièce que je n’aurais pas eu tout seul ». Fiacre Accalogoun, artisan teinturier au musée historique d’Abomey l’appuie. « C’est bon de travailler en équipe. C’est bon en tant que artiste de s’associer pour échanger des idées ».
Ce modèle en cours dans la musique, Rachex souhaite qu’il entre aussi dans l’habitude de ses collègues. « Dans la musique il y a un manager, un preneur de son, un instrumentiste, et bien d’autres rôles. C’est un travail d’équipe. Je me pose la question si dans les arts visuels on ne pourrait pas aller vers un travail d’équipe. Vu qu’on n’y est pas habitué, à ça raison pour laquelle pour la pose de ces tâches je n’ai pas maitrisé, j’ai observé un lâcher-prise et je pense que c’est nécessaire ».