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Interview-portrait : Thibaut Adotanou, dix ans de magie

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
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Thibaut le Magicien (Thibaut Adotanou, à l’état civil), boucle cette année dix ans de carrière en tant que magicien. La magie, un « métier » qui, révèle-t-il, s’apprend et est tout aussi noble que la comptabilité, la médecine, le journalisme. De 2012 à 2022, ‘’Thibaut le magicien’’ aura parcouru presque tous les continents pour « tromper la vigilance » des publics. Mais cette profession compte aussi bien des admirateurs que des contempteurs. Dans cet entretien-bilan des dix ans de pratique, il revient sur ses débuts, son futur objectif et développe la portée pédagogique de la magie.

Bénin Intelligent : Comment votre carrière de magicien a-t-elle débuté ?

Thibaut le Magicien : En réalité ma carrière ne date pas de dix ans. Mais il y a dix ans que j’en ai fait une carrière. Nous avons la faiblesse chez nous de considérer comme métier un travail même s’il ne nous nourrit plus. Erreur ! un travail ne dévient métier que lorsqu’il nourrit et on ne fait plus autre chose que cela. C’est cela on appelle un métier, une carrière. Si tu es un maçon et tu y associes la musique, cette dernière n’est pas ton métier. Si un couturier associe à la couture la musique, la musique n’est pas son métier ; dans ce cas la musique devient un job et la couture sa profession.
Depuis 2012 moi je n’ai plus exercé autre chose que la magie, je suis exclusivement un trompeur de vigilance. Comment cela a-t-il commencé ?

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Depuis 2009, j’ai créé une association qui récupère les enfants de la rue, de Zongo, Cadjèhoun, et tout enfant qui dort dans la rue que j’initie à l’acrobatie, la jonglerie, etc. De 2009 à 2010 j’ai décidé d’ajouter la magie comme une compétence de plus pour ces enfants. Pour leur encadrement, je faisais venir des experts d’Occident. C’est ainsi que j’ai été mis en contact d’un magicien italien que j’ai fait descendre à Cotonou en 2010.
Un soir, pendant notre dîner, il a multiplié la banane qui était sur la table. J’étais intrigué. Donc je me suis transformé en apprenti aux côtés des enfants de rue.
Avec les séances de magie, les enfants parvenaient quand même à faire quelques tours merveilleuses mais pas à la taille de l’encadreur italien. Alors j’ai vraiment décidé de me faire former sérieusement moi aussi.
En 2011 j’ai à nouveau invité le magicien italien. Je lui ai organisé un spectacle grandiose à l’Institut français de Cotonou et me suis fait son assistant. Nous avions fait une grande communication autour. Le spectacle est donc passé sur les chaînes de télévision, radio et dans la presse. Au départ du magicien italien, dès 2012, c’est moi l’assistant qu’on invite. Alors j’ai tout laissé, y compris la discipline tennis que j’enseignais également, pour me consacrer à la magie.
A l’époque, cela m’a rapporté beaucoup d’argent, jusqu’à trois cents mille francs le temps d’un weekend pouvait être engrangés, lors d’anniversaire et autres rencontres. Mais je n’ai pas investi cet argent dans l’achat d’une parcelle ou autre chose, je les réinvestissais dans la formation en ligne. Je m’étais inscrit dans des écoles de magie en Europe et je recevais les cours et étudiais à distance.

J’envoyais de l’argent et les matériels de travail m’étaient achetés depuis l’Europe. Il y en a d’autres que je m’emploie à fabriquer localement. Ça peut réussir comme non.
J’ai effectué aussi des voyages à l’étranger et à chaque fois je profitais pour renforcer mes capacités dans la discipline magie. J’ai fait l’école de Turin, j’en ai appris également à Paris. A chaque fois que je faisais la connaissance d’un magicien, j’allais à son école. Ainsi de suite jusqu’à aujourd’hui.

Donc la magie est une discipline qui s’apprend comme le journalisme, la maçonnerie, la médecine, l’informatique ?

Bien sûr. La plus ancienne école de magie au monde s’appelle « Saloto di magia », sise à Turin en Italie. Mon maître s’appelle Docteur Leonardo Brunetti, qui a appris la magie auprès de Robert Oudin. Ce sont les cours de ce dernier qu’il lisait. Oudin, si on le menottait, l’enfermait dans une bouteille et le jetait dans la mer, on le retrouvait en surface, libre, sans menotte. Parfois, les menottes que le policier lui mettait se retrouvaient aux poignets du policier lui-même.

Vous nous dites là que toutes ces prouesses, ces tours de magie s’apprennent rien que dans des livres ? Comment y croire ? N’associez-vous pas aux cours théoriques des forces spirituelles, mystiques, voire une alliance avec des esprits ?

Pour être honnête, on ne se limite pas qu’aux cours. Certes, je ne pourrais tout dévoiler dans votre presse, mais il y a un aspect initiatique qui s’ajoute. Aussi, un magicien ne maîtrise jamais tout lui seul. Il y a toujours des choses, des aspects qu’il aura besoin d’apprendre d’un autre collègue, pareil pour ce dernier aussi. C’est pourquoi nous participons encore à des formations à chaque fois.

Ce côté initiatique, n’explique-t-il pas le fait que la magie compte beaucoup de détracteurs, à commencer par les pasteurs/prêtres qui vous évangélisent certainement ?

Effectivement ! L’an dernier dans un supermarché de la place où je m’étais rendu pour faire des achats, la directrice est sortie me dire que sa structure est « une demeure de Dieu », que je ne peux pas y mettre pied. Sur ce elle m’a mis dehors. Dans des pharmacies, on a déposé de chapelet sur mon reliquat avant de me le remettre. J’ai été renvoyé d’une banque au Bénin ici, on a craint que je fasse disparaitre leur argent.
Toutes ces réactions relèvent juste de l’ignorance et de la peur. Ce qui me réjouit, de nos jours l’internet a démystifié la magie. Il présente des ressources qui expliquent plusieurs de nos tours.

Je souhaite bien ouvrir une école de magie au Bénin ou en Afrique. C’est une idée qui me fascine depuis. Je suis le plus grand magicien d’Afrique. Il y en n’a pas qui ait mon niveau actuellement. Sur 54 pays africains. Ce qui n’est pas bien. Il ne faut pas que ce soit moi seul, il faut d’autres figures de la magie sur le continent de sorte que naisse une émulation entre nous, qui ne fera qu’avancer la magie. J’ai des apprenants qui font leur preuve aussi, et ça me réjouit. Certains occupent le terrain en mon absence ; d’autres sont entre deux avions avec moi. Un seul arbre ne forme pas une forêt. Sans concurrent je ne peux pas avancer.

Est-on fier de s’appeler magicien ? L’avez-vous inscrit sur votre carte de visite comme profession ?

Si, moi je l’ai fait ; juste qu’on est craint, fui des autres. Mais aucun homme ne pourrait évoluer s’il redoute la peur des autres. L’Église a inculqué la peur des valeurs endogènes à plus d’un en Afrique, mais les garants desdites valeurs ne les craignent pas. Eux, ne dénigrent pas les magiciens.

C’est pourquoi vous utilisez souvent des formules du Fa lors de vos prestations ?

Non, pas du tout. C’est une culture personnelle. Lorsque je voyage chez les autres, en Europe, ils me parlent d’Abraham, de l’évangile selon Jacques. Ils disent que Jacob est de chez eux, leur aïeul ; que Jésus est Nazaréen. Alors, quant à moi qui vient d’Afrique, du Bénin, où est mon Abraham, mon Jacques ? Si eux ils sont fiers de me parler des prouesses de leurs ancêtres, de leurs origines, il faut bien que moi aussi, je leur montre que je ne suis pas sans origine, sans histoire, sans richesses culturelles. D’où je prends du plaisir à promouvoir le côté culturel, poétique et surtout pédagogique du Fa par exemple. Dans le Fa il y a des enseignements qui se retrouvent aussi bien dans la Bible que dans le coran.
Les messages du Fa sont universels. Donc je me cultive là-dessus, je me renseigne. Je ne mélange pas l’aspect culturel au côté rituel, sacré.

Thibaut, est-il chrétien, va-t-il à l’église ?

Je l’étais. J’ai failli même aller séminaire.

En dix ans de carrière dans la magie, qu’est-ce que vous avez obtenu, gagné ?

J’ai beaucoup voyagé. Je parcours au moins deux pays dans un an, pas sur fonds propre. Je n’ai plus jamais sorti de l’argent moi-même pour payer un billet d’avion mais j’en prends au moins quatre fois dans une année. Des personnes me sollicitent me paient le déplacement.
Ce que je garde comme souvenir, c’est aussi ma participation à la compétition « L’Afrique a un incroyable talent », à l’issue de laquelle j’ai été sacré le plus grand magicien au plan africain.
Mais je ne suis pas encore parvenu au niveau que je vise ; j’ai encore du parcours. Je continue d’apprendre.

Vous visez quel niveau ?

Mon prochain objectif : marcher sur le lac Nokoué, le traverser à pied. Si les pouvoirs publics m’en donnent l’autorisation, je le ferai. Ce n’est pas difficile à réaliser.

Avez-vous besoin d’une autorisation ?

Ah oui, il ne faut pas se retrouver en prison après avoir accompli cette magie. Certes, je peux disparaître d’une prison (sourire) mais je ne voudrais pas défier les autorités du pays. Donc mon prochain objectif, c’est de marcher sur le Nokoué.

Sur l’un des numéros de l’émission « Le Grand Canal » (Télévision Canal 3 Bénin), vous avez découpé une jeune fille en deux. Quelle leçon, quelle morale les enfants, jeunes, les populations peuvent tirer de telle scène et qui peut calmer les critiques contre la magie ?

Le premier enseignement, c’est que, aucun vivant n’est omniscient. Nous ne pouvons pas tout connaître, tout comprendre. Dans la vie, il existe des mystères ; des choses qui paraissent à première vue mystérieuse mais qui ne le sont pas en réalité. Donc à travers nos démonstrations, nous invitons le public à prendre garde, à ne pas se laisser berner. Si un vendeur d’illusion vous promet de vous multiplier 10.000F en dix millions, ne tombez pas dans le piège.

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Donc nous le faisons pour éduquer les citoyens. Nous trompons la vigilance, il ne faut pas y croire, y succomber. Il faut rester éveiller. Un jour j’ai reçu une visite. La personne est venue avec 7 millions de de francs et m’a prié de les lui multiplier en treize millions. Je l’ai dévisagé, puis je l’ai plutôt exhorté à investir ses 7 millions dans un projet ou une activité, ainsi avant le terme de l’année, il se serait déjà fait autant d’économie qu’il désire.
J’ai été sincère avec lui, en lui avouant que si je prenais son argent, il n’aura pas satisfaction ; je vais juste le décevoir et disparaître. Mes mots l’ont touché, alors il m’avoue avoir été abusé par quelqu’un qui a fini par lui arracher sa femme. Constatez que malgré cette mauvaise expérience, il n’a pas pris conscience. Donc si j’étais du même acabit que l’autre, je pourrai lui prendre ses 7 millions.
Donc nos tours de magie, ce n’est pas de la sorcellerie ni du ‘’bo’’, ce sont des illusions que nous créons. Ce n’est pas un don, ni un héritage. Moi j’ai appris à le faire.

Vous avez parlé tout à l’heure d’instrument de travail. Donc pour faire de la magie, on a besoin de certains instruments ?

Bien sûr. J’en achète comme j’en fabrique moi-même certains. Il y a tout un corps de métiers qui m’accompagne. J’ai un menuisier, un soudeur, un vitrier, un graphiste, couturier…qui m’accompagnent. Moi je peux demander qu’on me couse par exemple un ‘’bohunba’’ particulier. Mon couturier ne peut le faire en présence d’autres clients. Parce que cette commande demanderait certaines spécificités qui relève du secret. Avant que je ne marche sur le lac Nokoué par exemple, d’autres personnes, d’autres artisans vont travailler bien avant.

Quelques-uns exemples : des Bokonon, spiritualistes… ?

Non, aucun de ceux-là. Je ne peux pas dévoiler.

Donc le magicien a aussi besoin d’autres artisans.

Oui, quand vous me voyez sur le podium, vous n’imaginez pas le nombre d’artisans qui ont travaillé avant que je ne monte sur scène. Et pendant que je suis devant le public sur scène, vous n’imaginez pas aussi le nombre qui travaille derrière moi et que vous ne soupçonnez ni ne voyez.

Ces artisans vous assistent-ils en esprit, mystiquement parlant, ou le font-ils physiquement ?

Ils peuvent être aussi bien dans la salle que vous, tout comme ils peuvent ne pas y être. Nous ne pouvons pas révéler ce secret. Ceux que nous découpons n’en sont pas conscients. Seul le public regarde ce qui se passe et fond en acclamations et cris.

Quels sont les types de magies ?

Il y en a plusieurs. Les hypnotiseurs (faire dormir une personne par exemple), les mentalistes (faire faire au sujet ce que le magicien pense ou désire), les illusionnistes (découper, par exemple ; faire disparaître une personne d’un point à un autre, soulever une personne à distance).
Moi je fais un peu de tout.
Il y a aussi les prestidigitateurs ; ceux qui font de la close-up (transformer une pièce de 25F en 100F par exemple) ; il y aussi la carto magie ; ceux qui font du transformisme (faire changer différents habits à une personne en quelques secondes et sans qu’elle n’entre dans sa chambre). Tout ça c’est de la magie.

Qu’est-ce qui est prévu pour marquer le dixième anniversaire de votre carrière de magicien ?

Il y a une tournée que j’ai entamée depuis un moment et qui m’a amené à des spectacles à Paris, Lens. Je me prépare à aller au Burkina Faso puis en Côte d’Ivoire où j’aurai une série de sortie médiatique pour faire le point de mon parcours.
Je ne suis pas magicien sans le Burkina Faso encore moins la Côte d’Ivoire. Le premier pays où j’ai animé un spectacle en tant que magicien c’est le Burkina Faso tandis que le pays dans lequel j’ai été révélé à l’Afrique et au monde, c’est la Côte d’Ivoire, Abidjan. Donc je ne saurais célébrer dix ans de carrière en excluant ces pays.

Quel message phare avez-vous à laisser aux citoyens en ce dixième anniversaire ?

N’ayez pas peur d’accomplir votre destin, d’exercer le métier qui vous passionne. Que rien ne vous effraie. N’attendez pas aussi d’avoir de l’argent ou d’obtenir tel soutien avant de démarrer un projet, de travailler à la concrétisation d’un rêve. Commencez d’abord, l’argent ou le soutien adviendra. Attendre ces deux éléments, c’est ne jamais avancer. En tout cas, je n’ai pas démarré cette carrière dans l’abondance ni avec le soutien de quelqu’un. Aujourd’hui, j’ai des soutiens, des admirateurs partout, sans oublier l’argent que je gagne désormais.
N’ayez pas peur !

Merci.

Magie, Thibaut le Magicien
Thibaut le Magicien

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