Le professeur émérite René Derlin Zinsou est décédé à Cotonou, le 4 février 2023. Augustin Ainamon, lui aussi professeur à la retraite, garde de bons souvenirs de lui. Le défunt était Membre d’honneur de l’Académie Nationale Française de Chirurgie, président d’honneur et chancelier pressenti du projet d’implantation de l’Université internationale Barack Obama au Bénin en 2008, Légion d’honneur de France, Officier des Palmes Académiques de France et Grand officier de l’Ordre National du Sénégal.
Professeur René Zinsou, l’homme aux multiples dimensions, l’homme de conviction, le battant et le combattant
Le professeur émérite René Derlin Zinsou-Bodé nous a fait un faux bond le 4 février alors que nous avions encore tant de projets scientifiques d’envergure à mener à bon port.
J’ai eu l’honneur de faire partie du cercle restreint du professeur René Derlin Zinsou depuis les années 1970 à l’Université Nationale du Gabon où il était déjà quelques années avant mon arrivée. Nous avons maintenu de bons rapports depuis ce temps, malgré mon départ du Gabon après un court séjour pour l’Université Nationale de Côte d’Ivoire (Université d’Abidjan, Ecole Normale Supérieure d’Abidjan) avant mon retour définitif au Bénin en 1982.
Je rappellerai à présent deux épisodes où le professeur René Zinsou nous est apparu comme une caution morale et scientifique de la jeune génération intellectuelle du Bénin.
Je me suis toujours senti membre de la famille Zinsou Bodé dont les éminents membres, à commencer par le président Emile Derlin Zinsou, s’est toujours réclamé de Savalou-Koutago. J’ai eu à rappeler au président Emile Derlin Zinsou, comme au professeur René Zinsou, un échange amusant que mon feu grand frère, allié à la famille Zinsou restée à Savalou-Koutago, lors de la tournée de sensibilisation que le président a tenu à effectuer pour un référendum de confirmation du 18 juillet 1968 (participation 73%, 74% de oui), avant d’accepter la charge à lui confiée :
« Monsieur le président, votre tournée ressemble à une vodunsi qui, avant son initiation et acceptation au couvent, s’est déjà montrée en grand apparat au public. Que ferait-elle si son initiation et son intégration au couvent n’étaient pas confirmées ? Le président a répondu que c’était pour lui un défi personnel et qu’il n’avait pas nommé le moindre planton ou chargé de mission avant le résultat positif de ce référendum. ».
Le président a confirmé cet épisode des années plus tard quand je suis revenu là-dessus en marge d’une concertation avec les cadres de Savalou dans sa résidence de La Patte d’Oie à Cotonou.
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Je rappellerai à présent deux épisodes où le professeur René Derlin Zinsou nous est apparu comme une caution morale et scientifique de la jeune génération intellectuelle du Bénin.
==En 2008, à l’occasion de l’élection de Barack Obama, le premier Africain à la tête de la première puissance de la planète, le Professeur René Zinsou à la tête d’un comité de soutien bénino-kényan qui est allé même jusqu’à Chicago, la ville d’où est originaire le président Barack Obama et dont il a été sénateur avant son élection à la maison blanche.
A son retour au Bénin après l’entrée triomphale de Barack Obama dans l’histoire le comité que j’ai rejoint seulement après l’élection a initié un projet ambitieux et inattendu de conception et d’organisation d’une Université internationale Barack Obama au Bénin. Un domaine a même été acquis à Sègbohouè dans la commune de Kpomassè où une première pierre a été posée en grande pompe en présence de Mme Grâce Lawani, alors conseillère technique spéciale du président de la Rpublique Boni Yayi, une délégation de la mairie de Chicago et une forte délégation kényane.
Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique sollicité pour donner son agrément au projet nous a fait observer que sur le plan diplomatique, il était difficile d’envisager d’honorer un chef d’Etat étranger qui venait juste d’entrer en fonction et que même si son élection faisait date dans l’histoire qu’il fallait attendre qu’il rentre dans l’histoire avant d’envisager de donner corps à un tel projet.
Cette cérémonie a été suivie par un accueil haut en couleurs des délégations étrangères à la Chambre de commerce et d’industrie du Bénin, la CCIB et suivie quelques jours plus tard par la présentation d’une maquette impressionnante du complexe architectural de l’Université par le cabinet de l’architecte Nontondji Innocent Capo-Chichi. Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique sollicité pour donner son agrément au projet nous a fait observer que sur le plan diplomatique, il était difficile d’envisager d’honorer un chef d’Etat étranger qui venait juste d’entrer en fonction et que même si son élection faisait date dans l’histoire qu’il fallait attendre qu’il rentre dans l’histoire avant d’envisager de donner corps à un tel projet.
Ce n’était d’ailleurs pas l’élection de Barack Obama qui aurait pu apparaître comme un accident en 2008 qui était une révolution mais sa réélection en 2012. Néanmoins l’obligation de réserve invoquée par notre ministère de tutelle a comme mis un bémol à l’enthousiasme suscité par l’élection d’un fils d’Afrique comme président des Etats-Unis puis adopté et revendiqué par le monde entier.
Devons-nous dire maintenant que le passage de Barack Obama à la tête des Etats-Unis n’a pas comblé les attentes des pays africains ? A cette question récurrente plusieurs années après l’abandon apparent du projet du fait de la disparition des principaux initiateurs et de l’architecte, le professeur René Derlin Zinsou nous a fait observer que le président Barack Obama a été élu pour apporter des solutions aux problèmes de ses concitoyens américains et qu’il fallait que les Africains se prennent en charge comme des grands et évitent de faire dans l’émotion et de se laisser aller à des compromis ou combinaisons médiocres par-dessus la tête de nos concitoyens.
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==Le deuxième épisode que je peux évoquer est à propos des manifestations scientifiques organisées par le Laboratoire du Groupe de recherche sur l’Afrique et la Diaspora, GRAD, de l’Université d’Abomey-Calavi que j’avais l’honneur de diriger, pour commémorer les 300 ans de la disparition du Roi Ahossou-Soha Gbaguidi-Zamou, fondateur du Royaume de Savalou-Honhoungo-Agbogbomè.
Nous avions alors sollicité le professeur René Zinsou pour prononcer la conférence inaugurale du colloque que nous avons organisé à cette occasion. Le thème choisi était « Etude des mouvements migratoires : Savalou face aux défis du développement du Bénin, d’hier à demain » et le professeur René Zinsou avait choisi d’axer sa conférence sur le titre « Migration et solidarité humaine, le cas de Savalou ».
le professeur René Zinsou nous a fait observer que le président Barack Obama a été élu pour apporter des solutions aux problèmes de ses concitoyens américains et qu’il fallait que les Africains se prennent en charge comme des grands et évitent de faire dans l’émotion et de se laisser aller à des compromis ou combinaisons médiocres par-dessus la tête de nos concitoyens.
L’objectif de son intervention magistrale était de montrer que l’histoire de Savalou donne justement l’exemple d’un peuple dont l’itinéraire migratoire a contribué non seulement à arrêter l’érosion et la déperdition des repères identitaires et des valeurs nationales qu’il faut remettre en selle mais il a montré un peuple qui a essaimé partout sur le territoire de l’actuelle République du Bénin, couvrant jusqu’à 8 des 12 départements que comporte le pays actuellement, en partant du Mono-Couffo, en passant par l’Atlantique-Littoral, la Vallée de l’Ouémé, par Kétou et le futur plateau d’Abomey (Cana, Houawé, pays agonlin) pour converger vers les collines de Dassa, Savè- Ouèssè-Wogoudo et même dans les confins du Borgou actuel (Tchaourou) et de l’Atacora-Donga (Manigri, Bassila) et débordant sur certaines parties du territoire togolais actuel (région d’Atakpamé).
Parfois les mouvements migratoires se sont fait aussi du nord vers le sud, d’est en ouest et vice-versa, comme la montré l’exemple de la propre famille du professeur René Derlin Zinsou qui est partie de Savalou-Kouago et d’Aklampa pour se retrouver à Gléxwé-Ouidah où selon ses dires et les statistiques récentes, les populations se réclamant de souche mahi comptent jusqu’au-delà de la moitié des effectifs de la population urbaine de cette commune.
Il a montré que les initiateurs de cet événement ont eu raison de mettre en exergue le rôle central des fondateurs de Savalou et du peuple mahi dans son ensemble, qui étaient parmi les populations qualifiées de « pré-Alladaxonu » ou « pré-agasuvi », dans la consolidation de l’unité et de la solidarité entre les populations de l’actuelle République du Bénin.
Il était prêt à prononcer cette conférence lui-même au sujet de laquelle il s’est déplacé jusqu’à mon domicile à Agla-Figaro alors qu’il aurait pu nous inviter à son domicile de la Patte d’Oie avec notre équipe de tournage du documentaire que nous préparions, qui surprise par sa visite n’a pas été en mesure de solliciter de lui une interview en bonne et due forme.
la migration est le propre des hommes modernes dont les brassages et rebrassages interdisent tout repli sur soi et toute haine inter-ethnique qui ne sont que la manifestation de l’obscurantisme et la régression sur le chemin tortueux de l’humanisation du singe nu
La date du colloque ayant été repoussée jusqu’au début de l’année 2019, le professeur n’a plus été en mesure d’honorer de sa présence l’événement, étant invité à Paris dans la même période pour recevoir la distinction de membre d’honneur de l’Académie française de chirurgie. Mais il s’est fait valablement remplacer par M. Fernand Azonnanon, un spécialiste des questions de migration qui s’est honorablement acquitté de la mission de nous éclairer sur les rapports entre mouvements migratoires et solidarité humaine et comment la migration est le propre des hommes modernes dont les brassages et rebrassages interdisent tout repli sur soi et toute haine inter-ethnique qui ne sont que la manifestation de l’obscurantisme et la régression sur le chemin tortueux de l’humanisation du singe nu, comme la fait remarquer dans son ouvrage monumental, ‘’De La Biologie à la Culture’’ Jacques Ruffié, professeur d’anthropologie hématologique qui a su combiner intelligemment et de façon prémonitoire trois disciplines, l’hématologie, la génétique et l’anthropologie pour développer une discipline nouvelle qu’il a appelée « hémotypologie »
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Ainsi m’est apparu le Professeur René Zinsou, l’homme aux multiples dimensions, l’homme de conviction, le battant et le combattant qui était pourtant resté très éloigné des combinaisons nauséabondes et des compromissions qui peuvent parfois caractériser un monde politique mal assumé et mal compris. C’est en tout cas ce qu’on peut déduire d’une confidence qu’il nous a faite à propos d’une observation qu’il a faite à son ami et compagnon de promotion de l’Ecole Normale William de Gorée, Me Abdoulaye Wade, avant que leurs chemins ne se séparent, lui pour la médecine et le président Wade pour le droit et les sciences économiques.
Voilà l’homme dont nous pleurons le départ inattendu, l’homme qui nous a laissé de vastes chantiers inachevés et des défis redoutables à affronter. Sur le plan personnel il nous a promis de demander à la jeune génération de sa famille de se rapprocher de sa souche mahi, cette immense population qu’il a qualifiée de de mosaïque et de diversité non conflictuelle telle qu’il la fait ressortir dans le texte de sa conférence comme étant le modèle à suivre et un cercle vertueux pour notre nation et bien d’autres pays africains.
Ainsi m’est apparu le Professeur René Zinsou, l’homme aux multiples dimensions, l’homme de conviction, le battant et le combattant qui était pourtant resté très éloigné des combinaisons nauséabondes et des compromissions qui peuvent parfois caractériser un monde politique mal assumé et mal compris.
Le professeur René Derlin Zinsou avait encore beaucoup à offrir à l’Afrique et au monde. C’est pourquoi nous aimerions finir cette adresse en forme d’hommage par deux citations de Luc de Clapiers, marquis de Vauvenargues, écrivain français, moraliste et essayiste (1715-1747) : d’une part « La probité, qui empêche les esprits médiocres de parvenir à leurs fins, est un moyen de plus de réussir pour les habiles » et d’une autre part par une expression qu’il affectionnait aussi : « pour exécuter de grandes choses, il faut vivre comme si on ne devait jamais mourir. »
Nous inspirer de cet exemple éminent pour continuer le seul combat qui vaille la peine d’être mené, le combat pour l’excellence, la dignité et la solidarité entre les hommes, nous apparaît alors comme un impératif catégorique. C’est pourquoi je serai presque tenté d’évoquer dans le cas qui nous concerne ces quelques mots inscrits en français au fronton du mausolée de Marie Stuart, Reine d’Ecosse (en anglais Mary, Queen of Scots) : « Ici la fin est aussi un commencement ».
Professeur Augustin AINAMON
Coordonnateur de la Formation doctorale des Etudes anglophones,
Directeur scientifique du Laboratoire du Groupe de Recherche sur l’Afrique et la Diaspora, GRAD