En prélude à sa nouvelle tournée sur le continent, précisément en Afrique centrale (Gabon, Angola, Congo, République démocratique du Congo), le président français Emmanuel Macron a délivré lundi 27 février un discours dans lequel il réaffirme sa volonté de refonder les relations entre l’ancienne puissance coloniale et le continent. Voici les grands axes et le sens de ce nouveau partenariat qu’il inaugure.
Mesdames, Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs les parlementaires,
Monsieur le chef d’Etat-Major,
Mesdames, Messieurs les directeurs,
Mesdames et Messieurs, en vos grades et qualités,
Merci beaucoup d’être là, aujourd’hui, dans une formation qui, si je puis dire, assez originale. Puisqu’il y a, tout à la fois des journalistes, à Paris, à Libreville, et dans l’ensemble des capitales de la tournée africaine qui commencera dès mercredi ; mais il y a ici, à l’Elysée, les actrices et acteurs de notre action collective sur le continent africain.
Et j’assume pleinement de m’exprimer avant cette tournée depuis Paris, à vos côtés, pour essayer de donner le sens de ce que nous sommes en train d’essayer de faire depuis maintenant un peu plus de cinq ans. Et essayer de dire avec qui ? pourquoi ? et comment ? Et l’objectif que nous devons poursuivre est d’avoir une politique plus simple, plus lisible, en faisant mieux travailler l’ensemble des administrations de l’Etat de ces partenaires, mais avoir aussi une politique qui associe pleinement les entrepreneuses et entrepreneurs, les innovateurs, les sportifs, les artistes, les scientifiques, dans cette politique qui a vocation à ne pas être simplement de gouvernement à gouvernement, mais qui doit pleinement assumer de traiter avec la société civile des différents pays d’Afrique. Et sont là réunis bon nombre d’acteurs de notre politique avec l’Afrique qui, pour une bonne partie d’entre eux, vont avoir à m’accompagner dans ce déplacement à venir à partir de mercredi, ou qui ont pu m’accompagner dans des voyages précédents.
Alors, il y a un peu moins de six ans, en novembre 2017, dans un amphithéâtre de l’université Joseph Ki-Zerbo à Ouagadougou, j’avais débuté mon discours en citant les mots de Thomas Sankara et en annonçant qu’il n’y avait plus de politique africaine de la France. Ces mots sont toujours d’actualité. Mais ils ne sont certainement plus suffisants face aux bouleversements et aux transformations profondes que nous avons vécu ces dernières années.
Le temps passé sur le continent africain est irremplaçable. J’y ai effectué dix-sept déplacements, été accueilli dans vingt-et-un pays. Du Shrine de Lagos aux églises de Lalibela, sans compter les multiples entretiens menés avec nos partenaires africains à Paris et à travers le monde. Je n’en retirerai aucune considération générale, car une réalité unique africaine n’existe que dans bon nombre de schémas simplificateurs. J’en retirerai une seule exigence, celle de faire preuve d’une profonde humilité face à ce qui se joue sur le continent africain.
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Une situation sans précédent dans l’histoire : traiter en même temps, et dans l’urgence, une somme de défis vertigineux. Défis sécuritaire, climatique, aux défis démographiques avec la jeunesse qui arrive et à laquelle il faut offrir, proposer, un avenir pour chacun des États africains. Consolider des Etats et des administrations, investir massivement dans l’éducation, la santé, l’emploi, la formation, la transition énergétique. Tout cela donc en étant confronté davantage que d’autres à la pression du changement climatique et de ses effets, à l’offensive du terrorisme, aux chocs économiques, sanitaires et géopolitiques. Je crois pouvoir dire qu’aucune région au monde n’a été soumise à cette obligation de résultat en l’espace d’une à deux générations comme le continent africain l’est aujourd’hui.
C’est pour cette raison qu’à quelques jours de ce déplacement, à nouveau sur le continent africain, j’ai jugé que la priorité n’était pas de faire un nouveau discours sur le sol africain mais d’essayer, de la manière la plus claire, de défendre ce que nous y faisons et la cohérence de notre action et de renforcer aussi cette envie d’Afrique en France.
C’est pourquoi beaucoup de chefs d’entreprises, de scientifiques, d’artistes et de sportifs sont aussi présents aujourd’hui. Nous devons en effet collectivement prendre la mesure des défis qui sont si proches de nous, non pas pour nous projeter dans des prédictions apocalyptiques ou dans des paniques anxiogènes.
J’ai pu parfois le constater à chacun de mes déplacements, la terre africaine est tout sauf une terre d’angoisse et de résignation. Elle est une terre d’optimisme et de volontarisme.
Cette proximité, cette énergie, doivent nous inspirer et nous inciter à réaliser la force de notre atout d’être les voisins de l’Afrique et de compter encore parmi les pays qui ont un lien unique, humain, existentiel avec ce continent, ce qui est une chance. Nous avons un destin lié avec le continent africain.
Notre croissance économique aussi, et nous Européens, nos échanges, nos emplois vont dépendre, de plus en plus, de l’Afrique. Ce n’est ni une bonne, ni une mauvaise nouvelle, c’est un fait. Et tout dépendra de ce que nous en faisons.
Si nous savons saisir cette chance, nous avons l’opportunité de nous arrimer au continent qui, progressivement, sera aussi l’un des marchés économiques les plus jeunes et dynamiques du monde et qui sera l’un des grands foyers de la croissance mondiale dans les décennies qui viennent. Mais aussi parce que notre jeunesse écoute aujourd’hui une musique congolaise, nigériane, ivoirienne, créée et produite sur le continent africain. Et parce que ce n’est que la préfiguration d’une puissance culturelle, économique, scientifique, politique, africaine, qui va continuer de se déployer.
Notre croissance économique aussi, et nous Européens, nos échanges, nos emplois vont dépendre, de plus en plus, de l’Afrique. Ce n’est ni une bonne, ni une mauvaise nouvelle, c’est un fait. Et tout dépendra de ce que nous en faisons.
C’est pourquoi je suis convaincu que le moment est venu de faire un choix et de savoir quel rapport nous voulons entretenir avec les pays africains. Et au fond, quand j’essaie de suivre l’actualité, ce qui m’arrive, et de lire la qualification du moment que nous sommes en train de vivre, qui est très clairement un entre deux parce que nous héritons de beaucoup de difficultés historiques et nous sommes dans un moment de transition sans avoir pleinement réalisé, je vais y revenir, le début de la transition commencée.
Au fond, beaucoup voudraient nous inciter à rentrer dans une compétition, c’est la première voie. Une compétition que je considère pour ma part anachronique. C’est le piège qui consisterait à répondre à l’injonction de puissance ou à l’appel de démonstrations de force. Regardez, certains arrivent avec leur armée ou leurs mercenaires ici et là. Plongez-y, vous Français, c’est là que vous êtes attendus, c’est le rôle qui est le vôtre. Allez faire la compétition avec eux, vous êtes attendus là.
Je ne le crois pas. C’est le confort des grilles de lecture du passé, mesurant notre influence au nombre de nos opérations militaires ; ou nous satisfaire de liens privilégiés et exclusifs avec des dirigeants ou considérer que des marchés économiques nous reviennent de droit parce que nous étions là avant ; ou jouer des coudes pour nous placer seul au centre du jeu. Ce temps-là a vécu.
Ma conviction, c’est que cette voie est désormais une impasse. Ceux qui la prônent sont plutôt les tenants d’une nostalgie et c’est précisément celle avec laquelle nous avons voulu rompre dès 2017, mais sans avoir encore tous les moyens d’en solder le passif. C’est la chronique de notre dernière décennie d’engagement au Mali, au prix du sacrifice ultime.
Nos soldats y ont, aux côtés des militaires maliens et des armées africaines, remporté des victoires contre les groupes terroristes. Et je veux ici rendre hommage à la mémoire de nos soldats, de nos blessés, comme de ceux qui sont tombés là-bas. Cela a été et restera une immense fierté partagée avec les Alliés qui nous ont rejoint. Mais ce n’était pas le rôle de nos soldats. Ce n’était pas le rôle de la France d’apporter seule des réponses politiques qui devaient prendre le relais de la réponse militaire.
Nous avons pourtant, malgré nous, assumé une responsabilité exorbitante. Cela nous vaut aujourd’hui d’être l’objet par amalgame du rejet qui frappe une classe politique malienne qui a échoué à redresser son pays et c’est ce piège qui pourrait, si nous n’y prenons pas garde, se reproduire ailleurs.
C’est pourquoi en aucun cas je ne laisserai le sacrifice de nos militaires être à nouveau entaché du même amalgame et en aucun cas, je ne laisserai se reproduire cette situation où par un engrenage de déresponsabilisation et de substitution, la France devient le bouc émissaire idéal.
Pour éviter la répétition de l’histoire, il existe une autre voie que nous poursuivons désormais depuis six ans. Une autre voie qui consiste à ne pas réduire l’Afrique à un terrain de compétition ou de rente et à considérer les pays africains comme des partenaires avec qui nous avons des intérêts et des responsabilités partagées. Et, au fond, de bâtir une nouvelle relation, équilibrée, réciproque et responsable.
Ce cap, c’est l’agenda fixé à Ouagadougou en 2017 et nous l’avons tenu. Nous avons tenu nos engagements en regardant notre passé en face, au Rwanda, en Algérie, au Cameroun, avec une commission franco-camerounaise qui va débuter ses travaux. Nous les avons obtenus en réformant le franc CFA, en nous retirant de la gouvernance de la zone UMOA et en faisant la démonstration que cette monnaie est bien une monnaie africaine qui pourra, si les gouvernements de la CEDEAO le souhaitent, préfigurer une monnaie unique qui prendra un autre nom. Nous y sommes prêts.
Nous les avons tenus en soutenant, face à la pandémie du Covid-19, l’excellence scientifique africaine : celle du Centre de crise africain, celle de l’Institut Pasteur de Dakar et celle de l’Institut national de recherche biologique du professeur MUYEMBE, auquel j’aurai le privilège de rendre visite dans quelques jours, mais en développant aussi des centres de production de vaccins, comme nous l’avons lancé en Afrique du Sud et dans plusieurs autres pays.
Nous avons tenu nos engagements en matière sportive en bâtissant des partenariats nouveaux pour déployer, former des sportifs sur le continent africain et déployer des infrastructures sportives. Et nous allons continuer de le faire et de l’accélérer du football au judo en passant par le basket et tant d’autres sports.
Nous avons tenu nos engagements en accélérant grâce à la ténacité N’Goné FALL et à la saison Africa 2020, le changement de regard de la France sur le continent africain y compris dans nos écoles et nos manuels scolaires. Nous allons poursuivre ce mouvement de reconnexion avec la création contemporaine africaine dans toutes ses composantes. En France, ce sera la mission de la future maison des mondes africains qui organisera à l’automne prochain un forum sur les industries culturelles et créatives africaines.
Sur le continent africain, ce sera le rôle de nos instituts culturels, de notre réseau de coopération, de nos alliances françaises, de redevenir le creuset de cette intimité franco-africaine et de ce changement de regard.
Nos instituts doivent-être les lieux où tout le monde vient et où l’on prend tous les risques. Ce sont d’ailleurs les lieux où commence le rayonnement d’un Fela KUTI ou, puisque nous serons à Kinshasa dans quelques jours, d’un Papa WEMBA ou encore d’un peintre MOKÉ, qui ont connu leur premier succès et leur première reconnaissance. C’est la force de ce réseau et c’est celle que nous voulons continuer d’avoir.
Nous avons aussi tenu les engagements de Ouagadougou en procédant, grâce à l’éclairage intellectuel de Bénédicte SAVOY et Felwine SARR et au travail des équipes du Quai-Branly, à la restitution au Bénin des œuvres du trésor d’Abomey. Nous irons plus loin puisqu’une loi-cadre sera proposée dans les prochaines semaines par la ministre de la Culture à notre Parlement. À partir des préconisations du travail réalisé par Jean-Luc MARTINEZ, que je remercie, cette loi-cadre permettra de fixer avec notre représentation nationale la méthodologie et les critères pour procéder à de nouvelles restitutions au profit des pays africains qui le demandent et reposant sur un partenariat culturel scientifique pour accueillir et conserver ces œuvres.
La Côte d’Ivoire l’a déjà fait. Je souhaite que cette démarche puisse s’inscrire dans une dynamique plus large et européenne, à l’image du fonds franco-allemand que nous avons lancé pour développer les recherches de provenance sur les œuvres africaines entrées dans nos collections.
Nous avons aussi, durant ces années, soutenu l’entrepreneuriat africain en y consacrant plus de 3 milliards d’euros entre 2019 et 2022 au travers de l’initiative Choose Africa. Nous allons amplifier cet effort en ciblant davantage les entrepreneurs français et africains qui sont confrontés au risque et qui n’arrivent pas à accéder au crédit ou au capital de quelques centaines de milliers d’euros qui débloqueraient leur situation.
C’est précisément l’objectif de MEET Africa 2 – je sais que plusieurs qui ont été sélectionnés sont ici présents – qui permet d’accompagner celles et ceux qui ont des projets plus risqués. Et ce sera le rôle aussi de notre Banque Publique d’Investissement et de l’Agence Française de Développement de porter ensemble un nouveau programme, Choose Africa 2, qui sera dédié à cet effort et qui, en particulier en matière de culture, de sport, d’agriculture et de digital, reprenant tout ce que nous avons fait avec Digital Africa ces dernières années, démultipliera les opportunités.
Nous dérisquerons davantage les investissements français en Afrique avec ces mécanismes et nous accélérerons la croissance des petites entreprises africaines qui sont à la frontière entre l’économie formelle et informelle. Et sur le modèle de ce que le Sénégal a réussi, et comme nous avons commencé à le faire dans plusieurs pays africains, cette initiative sera également un levier pour appuyer une véritable politique d’innovation avec tous les pays volontaires.
Enfin, nous avons ces dernières années, posé les bases d’un axe euro-africain qui s’est incarné lors du sommet de Bruxelles en février 2022, sous Présidence française. Et c’est en nous appuyant sur cet axe euro-africain que nous avons obtenu à Paris en mai 2021, dans le Sommet sur le financement des économies africaines de Paris, le déblocage et le redéploiement des droits de tirage spéciaux au bénéfice de l’Afrique.
Nous avons également lancé la production de vaccins aussi sur le continent africain, avec l’Afrique du Sud notamment, comme je l’évoquais tout à l’heure.
C’est aussi pour ça que je me réjouis de pouvoir compter sur l’engagement du commissaire Thierry BRETON et de la commissaire européenne Jutta URPILAINEN présents à nos côtés dans quelques jours en RDC. C’est une véritable équipe européenne que nous souhaitons mettre en place.
Vous le voyez, en brossant ce tableau général, si je puis dire, je veux ici dire combien nous avons bousculé des choses qui paraissaient des tabous complets ces dernières années. Quand j’étais dans cette même université à Ouagadougou, tous les étudiants m’interrogeaient, me parlaient du franc CFA, de la restitution des œuvres d’art, de notre incapacité à accompagner l’entreprenariat africain.
Il intervient au moment où nous clôturons un cycle de notre Histoire en Afrique et un cycle qui a été marqué, à mes yeux, par deux choses que nous allons bousculer. Premièrement marqué par la centralité de la question sécuritaire et militaire et la prééminence du sécuritaire comme cadre.
Tout cela, nous l’avons mis en place ces dernières années avec force et engagement. Malgré tout, il nous faut être lucide, nous ne sommes aujourd’hui qu’au milieu du gué. C’est une situation très inconfortable où nous continuons à être, en quelque sorte, comptables du passé, avec une politique qui a décidé très clairement de changer et qui a parfois perdu des soutiens qui étaient bien utiles, parce que nous voulions changer de méthode sans que nous ayons pleinement les résultats de la politique que nous avions lancé.
Et donc nous sommes en effet comptables du passé sans avoir encore totalement convaincu sur les contours de notre avenir commun. C’est pour cette raison que le déplacement que nous allons entreprendre ensemble dans quelques jours est si important. Il intervient au moment où nous clôturons un cycle de notre Histoire en Afrique et un cycle qui a été marqué, à mes yeux, par deux choses que nous allons bousculer.
Premièrement, marqué par la centralité de la question sécuritaire et militaire et la prééminence du sécuritaire comme cadre. Cette prééminence, le rôle qu’elle a continué d’avoir, a été une ombre portée encore une fois ces dernières années ou un prétexte utilisé par beaucoup de nos opposants ou de celles et ceux qui voulaient pousser leur propre propagande pour dire : « La France est là et n’a qu’un agenda sécuritaire ».
L’objectif de cette nouvelle phase dans laquelle nous rentrons, de cette nouvelle ère, est de déployer sous forme partenariale notre présence sécuritaire pour qu’elle s’insère dans ce nouveau partenariat. Je remercie le ministre des Armées et le chef d’état-major des armées pour le travail fait ces derniers mois pour véritablement penser et préparer ce nouveau partenariat sécuritaire. Je vais y revenir.
Le deuxième grand changement que nous allons faire, c’est passer d’une logique d’aide à une logique d’investissement solidaire et partenariale. Je crois que c’est à cette condition, en continuant et en amplifiant l’action qui a déjà été lancée, que nous pourrons conjurer cette opposition qui est en train de s’installer entre un Nord supposément occidental et un Sud global qui n’auraient plus de logiciel commun. Je crois profondément que c’est faux et nous devons démontrer le contraire. Nous l’avons démontré par une méthode nouvelle que nous avons là aussi commencée. Le G7 de Biarritz a été préparé avec les pays africains que j’avais invité. Comme on l’a fait aussi au G20 de Bali, où on a réuni l’ensemble des pays africains avant le début des travaux pour œuvrer ensemble par une conversation en quelque sorte permanente.
C’est exactement la même chose que nous avons fait, quand nous avons lancé l’initiative ACT-A, conçue avec le bureau de l’Union africaine, dans un dialogue, là aussi inédit. Et c’est la même chose que nous allons faire.
Pour moi, lors du sommet que nous allons organiser le 23 juin à Paris, nous allons consolider ce passage de la logique d’aide à celle d’investissement solidaire. Sur le nouveau partenariat Sud-Nord précisément parce que c’est avec l’Afrique, mais aussi avec l’Inde, la Barbade, que nous pourrons inventer un nouveau pacte pour dessiner une nouvelle architecture financière internationale permettant de lutter contre les inégalités, de financer la transition climatique.
Et donc, pour moi, le moment que nous sommes en train d’inaugurer consiste à aller au bout du changement, d’être exigeants avec nous-mêmes et d’accepter de nous débarrasser pour de bon de réflexes, d’habitudes et d’un langage qui sont aujourd’hui en quelque sorte notre handicap.
D’adopter une posture résolument plus claire de modestie, d’écoute et d’ambition.
Au fond, de dire très clairement dans tous ces domaines que l’Afrique n’est pas un pré carré et encore moins un continent auquel les Européens et les Français pourraient dicter un cadre de développement, mais que c’est un continent où nous devons bâtir des relations respectueuses, équilibrées, responsables pour lutter ensemble sur des causes communes telles que le climat. Et c’est pour moi les termes mêmes de ce partenariat renouvelé que nous souhaitons, qui est l’inverse des logiques de prédation, qu’elles soient militaires et sécuritaires ou qu’elles soient financières, poussées aujourd’hui par d’autres pays.
Alors, pour réussir ce modèle de partenariat, il nous faut d’abord bâtir un nouveau modèle de partenariat militaire. C’est tout le travail que nous avons conduit ces derniers mois d’abord en le concevant, puis en le discutant et le travaillant avec nos partenaires africains. J’ai reçu ici même, ces dernières semaines, l’ensemble des dirigeants concernés. Le ministre et le CEMA ont commencé des échanges. Une tournée va se poursuivre. Au fond, la logique, c’est que notre modèle ne doit plus être celui de bases militaires telles qu’elles existent aujourd’hui. Demain, notre présence s’inscrira au sein de bases, d’écoles, d’académies qui seront cogérées, fonctionnant avec des effectifs français qui demeureront, mais à des niveaux moindres et des effectifs africains qui pourront aussi accueillir, si nos partenaires africains le souhaitent et à leurs conditions, d’autres partenaires.
Conformément aux échanges que j’ai eus ces dernières semaines avec mes homologues, cette transformation débutera dans les prochains mois sur le principe même de la co-construction, avec une diminution visible de nos effectifs et, de manière concomitante, une montée en puissance de la présence dans ces bases de nos partenaires africains.
Elle suppose que nos partenaires africains formulent très clairement leur besoin militaire et sécuritaire, qu’ensuite nous accroissions notre offre de formation, d’accompagnement, d’équipement au meilleur niveau. Et ce partenariat nous permettra ainsi de bâtir de nouveau modèle d’intimité et d’imbrication entre nos armées qui se traduira par un effort accru de la France en matière, comme je le disais, de formation et d’équipement.
Deuxièmement, ce nouveau partenariat, cette transformation suppose de changer notre manière de faire et de communiquer sur ce que nous déployons, d’abord en étant plus réactif, plus visible et par conséquent plus lisible. Il faut là-dessus assumer nos échecs, mais il faut aussi assumer mieux notre succès. Et force est de constater que nous avons sans doute un défaut. Nous, Français, nous sommes trop divisés. Et la logique de boutique l’emporte trop souvent sur la logique d’équipe de France. Nous devons agir tous ensemble pour que ce soit visible et pour que la France, quelle que soit l’entité, qu’elle soit administrative ou l’entreprise, apporte des solutions concrètes qui permettent dans un pays, de répondre à un besoin de la jeunesse pour mieux éduquer, pour répondre à des problèmes énergétiques ou de transition climatique, pour répondre à des besoins sportifs, il est clair que ce soit l’équipe de France, qu’il l’ait mise en place.
Nous sommes divisés, nous sommes donc trop peu lisibles, pas assez concrets sans doute. Et donc il nous faut dans les prochains temps changer notre méthode, déployer des projets plus concrets, tangibles et surtout là où nos partenaires nous attendent.
L’éducation, mais pas simplement en bâtissant des murs, en accroissant notre offre de formation des enseignants et de qualité des enseignants, en bâtissant une offre accrue dans la formation professionnelle, demandes de beaucoup de pays, y compris nombre d’entre eux chez qui nous étions peu présents. Formation professionnelle, santé, climat, égalité femme-homme, soutien à l’entreprenariat, la culture, le numérique.
Par cette nouvelle méthode, nous devons simplifier notre offre et être beaucoup plus concret à l’écoute, travailler davantage avec la société civile et apporter une offre qui soit de la meilleure qualité possible, et le faire, avec au fond, deux réflexes nouveaux : descendre dans l’arène, comme nous l’avons fait lors du sommet de Montpellier en revendiquant d’écouter la jeunesse et la société civile africaine, comme la ministre déléguée l’a fait dans ses différentes tournées ces derniers mois, et je l’en remercie. Et ensuite d’embarquer à nos côtés les autres et de jouer à chaque fois que c’est utile en européen ou même en international, ce qui est exactement ce que nous ferons à Libreville dans quelques jours, avec une posture collective.
Dès cette année, un premier fonds de 40 millions d’euros sera mis à disposition de nos ambassades dans les pays d’Afrique francophone pour faire la démonstration que nous pouvons faire cette transformation. Et c’est la mission que je donne à nos ambassadrices et ambassadeurs : démontrer que notre partenariat est concret et piloter une communication offensive, au fond, décomplexée mais sans arrogance.
Nous devons aussi aller au bout de cette transformation parce que nous avons des intérêts à défendre. Et je pense que quand on parle d’Afrique, il faut le dire clairement parce que ça va beaucoup mieux en le disant. On ne va pas faire le bien commun. On a des défis communs. Le changement climatique est un défi commun. Essayer que la jeunesse africaine trouve un avenir, est un défi commun, parce que ce sera aussi notre problème si on n’y arrive pas.
Mais on va défendre des intérêts et c’est ça un partenariat réciproque et équilibré. On ne prend pas les gens pour des imbéciles. On ne se dit pas « on arrive chez vous parce qu’on va faire le bien chez vous à votre place car vous n’êtes pas capable de savoir ce qui est bon pour vous, de le penser ou de le faire ». Non. On vient défendre nos intérêts et on le fait de manière respectueuse avec les intérêts des pays africains où on se déploie. C’est la logique dans laquelle, d’ailleurs, depuis le début, le Conseil présidentiel pour l’Afrique à chaque fois a déployé ses conseils, proposé des mesures et je remercie tous ces membres depuis 2017 pour leur engagement.
Notre intérêt, c’est d’abord la démocratie. La France est un pays qui soutient, en Afrique comme ailleurs, la démocratie et la liberté. Un pays qui parle à tout le monde, y compris aux opposants politiques. Un pays qui préfère les institutions solides aux hommes providentiels. Un pays qui considère que les putschs militaires ne seront jamais des alternances démocratiques.
Et, comme le rappellent nombre d’intellectuels africains, la démocratie a également une genèse africaine. Aussi, notre rôle n’est pas d’imposer nos valeurs ou de les proclamer, mais de contribuer à ce que des réseaux d’intellectuels et d’acteurs civiques la fassent vivre en s’inspirant des pratiques démocratiques de leur société.
Ce sera le rôle de la Fondation sur l’innovation et la démocratie qui a été créée en fin d’année dernière à Johannesburg et qui rayonnera sur tout le continent et je veux, une fois encore, remercier le professeur Achille MBEMBÉ pour son travail, son engagement, ses propositions et tout ce qu’il a d’ores et déjà bâti avec ses équipes, ce qu’il va continuer de faire. Mais c’est exactement cet esprit-là que nous devons poursuivre. Ne pas abandonner ce qui est, pour moi, un intérêt de la France, la démocratie.
Mais le faire de manière respectueuse avec ce qu’est l’histoire du continent et surtout les acteurs qui doivent le porter.
Notre intérêt, c’est évidemment aussi de nous donner une nouvelle ambition économique sur le continent africain. Notre partenariat économique avec le continent africain est, certes, solide, mais je le dis ici avec force et en saluant la présence nombreuse d’une délégation économique de grande qualité et je remercie l’ensemble des présidents, présidentes, directrices et directeurs généraux de grands groupes français de leur présence aujourd’hui, mais nous avons besoin d’être lucides sur notre présence économique sur le continent africain et la manière dont elle est vue.
Mais indépendamment de ça, je le dis parce que je l’ai vu, nous avons aujourd’hui encore trop de nos entreprises qui ne produisent pas les travaux de meilleure qualité parce que c’est l’Afrique. Ça ne marchera plus.
Nous sommes dans une position qui ne va pas dans la bonne direction. Et c’est pour bonne partie de notre faute parce que nous avons trop souvent eu une logique de rente dans notre rapport au continent africain. On a considéré que parce qu’on était la France, même quand on faisait mal, même quand on était plus cher que les autres, même quand les solutions de financement étaient moins bonnes, on allait continuer d’être pris. C’est une terre de compétition maintenant. Alors, certains font la compétition avec d’autres armes – que je récuse – et on se bat contre quand les financements deviennent eux-mêmes des éléments de fragilité des économies.
C’est pourquoi on s’est battu pour qu’il y ait un cadre dans le G20. Mais indépendamment de ça, je le dis parce que je l’ai vu, nous avons aujourd’hui encore trop de nos entreprises qui ne produisent pas les travaux de meilleure qualité parce que c’est l’Afrique. Ça ne marchera plus. Et je vous le dis en toute sincérité, je ne défendrai plus les entreprises qui ne sont pas prêtes à se battre.
Quand le Président de la République va dans un pays où on reçoit un dirigeant et qu’il a un N-10 à côté de lui, face à un président africain, personne ne peut considérer que c’est une marque de respect. Ce n’est pas pareil quand on va en Allemagne, en Pologne, dans des pays du Golfe, en Chine. L’Afrique est devenue une terre de compétition. Il faut donc qu’on ait un réveil du monde économique français pour se dire « on doit aller s’y battre ».
Ce sont les patrons qui doivent y aller quand il y a un grand contrat et quand on prend un contrat, il doit être délivré en temps, en qualité. Et s’il y a des problèmes, il faut qu’on puisse savoir très clairement d’où vient le problème. Je ne dis pas que tout le monde est parfait et parfois nos partenaires africains ne sont pas non plus au rendez-vous de ce qui nous avait été promis à tel ou tel endroit de l’administration.
C’est une réalité, je sais leur dire. Mais j’ai du mal à leur dire quand nous, on n’est pas au rendez-vous. Et donc là, il faut qu’on ait un réveil collectif sur ce terrain-là parce que d’autres pays qui étaient moins présents pour nous il y a quelques années, qui ne sont pas mieux armés que nous, sont en train de prendre des positions simplement parce qu’ils prennent les pays africains au sérieux.
Je souhaite aussi qu’une nouvelle génération d’entrepreneurs français, africains, franco-africains se projettent dans de nouvelles coopérations et dans une nouvelle philosophie qui doit être celle de la co-industrialisation. C’est le sens même du programme Pass Africa. Je sais qu’il y a plusieurs lauréats qui sont ici présents, qui est un programme à mes yeux très important, qui va nous permettre de développer justement cet entrepreneuriat. Et au fond, c’est cette logique de bâtir aussi d’aider les nouveaux acteurs et de tirer profit dans un sens très pragmatique, du fait que la France est forte de ses diasporas et qu’elle a aussi des réseaux d’entrepreneurs qui ont un pied sur le continent africain, qui le connaissent, qui ont leurs propres connections. On doit simplement les mettre en capacité, les aider à déployer leur activité et leur réussite sur ce continent.
Notre intérêt, c’est aussi de jouer collectif avec nos alliés européens et de positionner l’Europe comme le partenaire de référence sur les grands sujets de défense et de sécurité. C’est le cœur même de ce que nous allons faire au-delà du pivot que j’évoquais tout à l’heure.
C’est la même chose que nous souhaitons faire en matière de financement des infrastructures africaines. C’est seulement avec ce levier que nous pourrons réellement jouer à armes égales dans la compétition avec d’autres acteurs. Plusieurs d’entre vous sont engagés dans ce secteur et je les en remercie avec beaucoup de sérieux. Mais c’est avec ce levier que nous pourrons convaincre nos partenaires africains d’adopter des standards auxquels nos entreprises peuvent travailler et produire des infrastructures de qualité que nous souhaitons promouvoir dans le cadre du G20.
C’est la logique même de ce que l’Union européenne a fait avec le Global Gateway, puis que nous avons porté en G7 avec le Partenariat mondial pour les infrastructures et 600 milliards d’euros qui seront déployés d’ici 2027. Ce sont des leviers de financement massif, mais c’est aussi un cadre qui est celui du G20 que nous déployons qui est un cadre de sérieux, de soutenabilité, du financement public de ces infrastructures. C’est pour cela qu’il faut aussi voyager ensemble, parler ensemble, agir ensemble, et à chaque fois que nous avons mobilisé cet axe euro-africain, nous avons été à la hauteur de nos promesses.
Enfin, nous avons des atouts à faire valoir. La force d’innovation de nos PME, notre recherche et notre excellence scientifique, nos universités, notre formation militaire, nos artistes, nos sportifs, nos jeunes qui s’engagent dans le volontariat, et parmi eux, comme je le disais, nos diasporas. Chacun de vous ici se reconnaîtra dans cette liste.
Alors, la bonne nouvelle, c’est qu’au fond, c’est vous davantage que le Président de la République qui êtes attendus en Afrique et c’est le message qui a été très clairement donné au Sommet de Montpellier. C’est aussi le message que j’ai entendu partout en Afrique et encore en juillet dernier en dialoguant avec de jeunes camerounais. Plusieurs d’entre vous ont été à mes côtés.
Tous ont la même interpellation. Où est la jeunesse française dans ce partenariat ? Où sont les écoles et les universités françaises ?
Et si nous assumons le fait que la France n’a plus de pré carré en Afrique, elle a des devoirs, des intérêts, des amitiés qu’elle veut bâtir
Pourquoi les entrepreneurs français n’investissent-ils pas encore davantage ?Pourquoi l’équipe de France de football et les clubs français vont-ils jouer partout dans le monde, sauf en Afrique ? Pourquoi les musées français ne travaillent pas davantage avec nous ? C’est aussi pour ça que vous serez à mes côtés car seul, je n’ai pas les réponses à ces interpellations. Et donc c’est une réponse crédible, effective qu’il faut apporter et dans la durée. Et cette réponse nous l’apporterons et c’est aussi pourquoi je crois que ce que nous poursuivons depuis six ans est très important, pas simplement pour nos intérêts en Afrique et je le crois modestement aussi pour nos réponses à ce que sont les défis du continent africain. Comme ce que nous ferons par exemple à Libreville, on y reviendra sans doute dans les questions, sur la question climatique et biodiversité et les forêts. Mais je crois que c’est important pour la France.
Nous réussirons ce nouveau partenariat si nous assumons la part d’africanité de la France. Le rôle et la place de nos diasporas. Et si nous assumons le fait que la France n’a plus de pré carré en Afrique, elle a des devoirs, des intérêts, des amitiés qu’elle veut bâtir, poursuivre, renforcer pour mener des politiques solides dans chacun des domaines que vous représentez ici.
Voilà le sens de ce déplacement et des efforts que nous allons conduire dans les quatre années à venir : assumer nos intérêts, les promouvoir, mettre en place des liens humains plus forts au cœur de ce partenariat, renforcer le lien avec les sociétés civiles et bâtir ensemble un agenda sur les questions climatiques, d’éducation et de santé qui sont bonnes pour nous tous. Des liens économiques, scientifiques, universitaires, culturels, sportifs.
Je n’ai pour ma part aucune nostalgie vis-à-vis de la Françafrique, mais je ne veux pas laisser une absence ou un vide derrière elle. Autant que moi et surtout au-delà de ma propre contribution, vous serez le cœur de ce partenariat et votre propre engagement donnera tout son sens au choix politique que nous avons fait avec notre Parlement de rehausser et sanctuariser cette politique de partenariat avec, là aussi, des financements inédits. Cette politique n’est pas une politique d’instrument désincarné, c’est une politique de solidarité, c’est une politique aussi pour les Français, c’est une politique qui doit nous permettre de trouver des partenaires, des alliés pour peser sur les équilibres du monde.
Et c’est aussi pour cela, si nous réussissons cette politique, si nous réussissons en juin prochain ce sommet pour le nouveau partenariat entre le Sud et le Nord, que nous arriverons à conjurer ce grand récit qui est en train de s’installer, celui d’un double standard qui existerait entre l’Ukraine et le reste du monde, dont l’Afrique. Celui, au fond, d’une division, comme je le disais, entre l’Occident et le Grand Sud. Si on laisse s’installer ce récit ou en quelque sorte si on le documente, pour un pays comme le nôtre, ce sera terrible. Parce que, comme je le disais au début de mon propos, nous avons des destins liés par ce que nous sommes, par ce qu’est le peuple français, par ce qu’est notre géographie et notre avenir.
Je vous remercie pour votre attention. Je vais maintenant répondre à toutes vos questions. Peut-être d’abord prendre les questions de journaliste et s’il y a des questions de la délégation, j’en prendrai aussi, même si je compte surtout sur votre mobilisation.
Emmanuel Macron