Le pasteur Dossou Simon Kossi se prononce sur la vie de l’Église protestante méthodiste du Bénin (Epmb) vielle de 180 ans (1843-2023) et dont il fut un ancien président. Il n’y a pas un « malaise de façon fondamentale », rassure le professeur d’Ancien Testament dans des institutions théologiques. L’entretien qu’il nous a accordé lors de la session plénière du Synode biennal, tenue jeudi 2 mars 2023 au temple Jérusalem de Yenawa, à Cotonou, revient sur les rumeurs qui font état d’une nouvelle crise au sein de cette communauté chrétienne. Rév. Dr Dossou Simon Kossi parle aussi des défis actuels de l’Epmb, sa situation démographique et spirituelle par rapport aux jeunes dénominations confessionnelles, l’impact de l’implication politique du président Patrice Talon dans la réconciliation et la réunification et la formation des pasteurs en ce XXIe siècle plein de mutations.
Propos recueillis par Sêmèvo Bonaventure AGBON
Bénin Intelligent : Son Éminence, des voix disent tout bas qu’il y a malaise au sein de l’Epmb. Est-ce vrai ?
Dr Dossou Simon Kossi, ancien président de l’Epmb : Je ne dirai pas qu’il y a un malaise de façon fondamentale, il y a tout simplement que les uns et les autres veulent savoir ce qui se passe par rapport à la gestion de l’institution qu’est l’Église.
Beaucoup de gens parlent sans savoir exactement de quoi il s’agit. Il me semble que de façon fondamentale il n’y a pas une crise profonde, parce que, en voulant savoir comment telle ou telle œuvre est gérée, on veut simplement avoir des clarifications. On ne veut pas nécessairement prendre des résolutions en disant : « nous avons appris que telle œuvre est mal gérée, par conséquent vous êtes mauvais ».
C’est après les explications que les uns et les autres se font une idée de ce que cela retourne. Donc on ne peut pas d’une manière brutale et sans ambages dire qu’il y a une crise fondamentale, une crise profonde qui crée des camps qu’on ne peut pas du tout rapprocher les uns des autres.
Le synode biennal de 2023 se tient-il dans la convivialité ?
Il y a quelques malaises, il faut le dire ; mais ce n’est pas de nature à ternir l’image de l’Église en tant que tel. Ces malaises seront progressivement éclairés, épongés parce que quand vous avez suivi les débats toute cette journée, ce sont des débats de personnes civilisées tout simplement.
Donc on ne peut pas d’une manière brutale et sans ambages dire qu’il y a une crise fondamentale, une crise profonde qui crée des camps qu’on ne peut pas du tout rapprocher les uns des autres.
Quand on est civilisé on a le courage de parler, de dire ce qu’on pense mais ça ne veut pas dire que, quand on a parlé et qu’on a dit ce qu’on pense, on est en opposition avec telle personne ou qu’on ne se comprend pas. On veut simplement des clarifications. La convivialité dont vous parlez, oui l’Église reste une Église, l’Église veut rester conviviale et certains veulent des clarifications, c’est tout ! De sorte qu’on reparte de ce synode aguerri, tranquille pour l’œuvre de l’évangélisation.
De l’extérieur, lorsqu’on écoute des personnes qui ne sont pas forcément des méthodistes, on a l’impression que l’Église protestante méthodiste du Bénin après 180 ans d’existence demeure une Église fragile, trop perméable aux crises. On a même entendu des appels à la démission du président Rév. Kponjesu Amos Hounsa avant sa réélection. Il y a aussi cette lettre signée de la famille de Feu Prof. Nicodème Ibiladé Alagbada, ancien président de l’Epmb, dans laquelle elle défend à son successeur de prendre part aux obsèques de leur fils. Malgré ces échos, vous dites qu’il n’y a pas matière à s’inquiéter pour l’Epmb ?
Vous voyez, les réseaux sociaux amplifient énormément les informations. Ainsi, parfois on ne sait plus où se situe la vérité et qui amplifie quoi et pour quelle raison. Donc fondamentalement, moi je ne pense pas que nous soyons à un niveau de rupture de confiance.
Quant au pasteur Alagbada et consort vous savez que malheureusement nous sommes en Afrique, sous les tropiques où on pense que personne ne meurt de sa propre mort. Surtout lorsque la personne a un certain âge assez robuste, on pense toujours qu’il y a des mains obscures derrière. Je ne pense pas que cela vienne d’une information qu’on peut considérer comme crédible.
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Personne ne peut dire de façon péremptoire que ce que nous avons entendu est vrai. Au dernier ressort on dit, on met tout dans les mains de Dieu. Si par hasard des informations complémentaires venaient à clarifier certaines choses, oui, on prendra. Sinon je ne crois pas qu’on puisse s’arrêter à des supputations pour conclure qu’il y a un malaise insurmontable.
De votre position d’ancien dirigeant de l’Epmb, après 180 ans d’existence quel est le défis principal qu’elle doit relever lorsque vous regardez vers l’avenir ?
Après 180 ans nous approchons vers le bicentenaire de l’Église. Nous savons que l’institution Église a fait son chemin. Ça a commencé timidement depuis 180 ans mais ça continue et ça avance. J’ai rappelé opportunément ce matin lors d’une intervention que quand j’ai été pasteur en 1976 et que j’ai assisté à mon premier synode en 1977 comme jeune pasteur, nous étions 33 pasteurs dans la salle.
Mais aujourd’hui nous avons plus de 200 pasteurs qui assistent à ce synode et nous ne sommes qu’à 46 ans de ce qui je disais. Une trentaine d’autres pasteurs sera consacrée à ce synode. Ça veut dire que 180 ans après nous avons une étendue de l’œuvre missionnaire commencée par Thomas Birch Freeman. L’œuvre s’est étendue avec des hauts et des bas.
Dans ce pays des églises ont été brûlées dès le départ. Il y a encore des églises qui cherchent à se trouver une place mais entre-temps, avec l’étendue du territoire et l’arrivée de nouveaux fidèles, il y a eu beaucoup d’églises évangéliques d’origine américaine, asiatique. Ce qui fait que le terrain n’est plus seulement pour l’Église protestante méthodiste du Bénin. Il y a parmi les nouveaux venus certains qui pensent que l’Epmb joue vieux jeux, qu’elle est assez vieille et ne peut pas comprendre ce qui se passe aujourd’hui.
Il faut reconnaître que la crise que l’Epmb a connu ces dernières années, ce n’était pas la première. Ça fait au moins la troisième crise. La première date d’avant 1917 avec la création des Bodawa, la seconde a donné naissance aux Méthodistes Elèdja et la récente qui a pris fin en 2017 a généré de nombreuses autres Églises évangéliques
Nous rendons grâce au Seigneur que le champ d’évangélisation s’est agrandi et que l’Epmb malgré son âge a continué à créer de nouvelles communautés çà et là. 180 ans d’existence c’est peu par rapport à la naissance de l’Église dans le monde mais c’est quand même quelque chose. Nous sommes heureux que l’Église ne stagne pas, le nombre de fidèles a augmenté.
Ne vous arrive-t-il pas de penser que les jeunes Églises postérieures à l’Epmb lui ont ravi la vedette par exemple sur le plan de la croissance numérique et des œuvres socioéconomiques ?
Non, je ne crois pas. Je ne crois pas parce que, quand on regarde les statistiques sur le terrain, l’Église protestante méthodiste du Bénin s’étend dans tous les coins, toutes les communes du pays. Alors que certaines de ces Églises évangéliques qui sont arrivées, vous les voyez soit à l’intérieur de Cotonou, un genre de méga-church à un seul endroit. Et cette église avec sa dénomination peut avoir 2000 à 3000 fidèles, mais vous ne les verrez plus ailleurs. En tant que méga-church elles restent là et continuent à évangéliser tout autour.
Mais l’Église protestante méthodiste du Bénin vous pourrez avoir dans un quartier trois églises Epmb dont 100 fidèles quelque part dans une paroisse, 50 dans une autre et plus loin vous verrez 400 fidèles dans le même quartier, la même ville. Ce qui fait que, on ne doit pas se faire des soucis majeurs.
Quand Jésus a dit : « Allez faire de toutes les nations des disciples », il n’a pas spécifié une Église ou une personne. Donc l’Église protestante méthodiste du Bénin fait son chemin, les autres Églises évangéliques font aussi leur chemin ; l’Église Catholique aussi est là, les communautés endogènes également, chacun fait son travail.
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Maintenant, quelle est la satisfaction de l’Église protestante méthodiste du Bénin a à être sur le terrain ? C’est de dire : nous sommes là sur le terrain depuis des années, nous évoluons dans la mission à nous confiée par le Seigneur, nous n’avons pas perdu notre place malgré les crises que nous avons connues.
Il faut reconnaître que la crise que l’Epmb a connu ces dernières années, ce n’était pas la première. Ça fait au moins la troisième crise. La première date d’avant 1917 avec la création des Bodawa, la seconde a donné naissance aux Méthodistes Elèdja et la récente qui a pris fin en 2017 a généré de nombreuses autres Églises évangéliques.
Face à tout cela, moi je dis : après une crise qui a duré une vingtaine d’année il ne faut pas s’attendre à ce que tout s’aplanisse du jour au lendemain, tout comme si on n’a pas traversé une crise. Ce que nous vivons et que vous venez de décrire est un épiphénomène de la crise que nous avons traversée et qui doit prendre le temps de remettre l’Église sur ses bases.
Par rapport à cette récente crise, l’implication politique du chef de l’État Patrice Talon n’impacte-t-elle pas négativement la vie et l’image de l’Epmb ?
Je ne crois pas, parce que je l’ai dit au cours d’une réunion lorsque les gens ont posé une pareille question. Les enfants d’Israël ont été envoyés depuis leur pays jusqu’en Babylonie. Ils ont fait 70 ans et celui qui a été à la base de leur retour, c’est le roi Cyrius. Cyrius n’avait rien à faire avec la foi d’Israël à l’époque. Donc Dieu a toujours coopéré avec le politique, avec le civil pour avancer dans sa mission spirituelle avec les Hommes. Cyrius a fait la même chose, ce qui a permis aux enfants d’Israël de quitter la Babylonie de l’époque pour rentrer dans leur pays.
Dieu a toujours coopéré avec le politique, avec le civil pour avancer dans sa mission spirituelle avec les Hommes […] Il n’y a pas une barrière étanche entre le politique, le civil et le religieux. Surtout en Afrique nous sommes une société où le politique et le religieux se mettent ensemble.
S’agissant du président Patrice Talon, il n’a fait que faire ce que nous attendions de lui. Parce que quand j’étais aux affaires nous avions approché le président Kérékou à l’époque, nous avions approché aussi le président Boni Yayi. Le temps n’était pas mûr pour que nous puissions avoir une solution. Patrice Talon est arrivé et a estimé que le temps est mûr pour que lui, il s’implique. Il s’est impliqué et a trouvé la solution.
Il n’y a pas une barrière étanche entre le politique, le civil et le religieux. Surtout en Afrique nous sommes une société où le politique et le religieux se mettent ensemble. Le président Patrice Talon a fait son travail qui a porté les fruits qu’il doit porter, mais en même temps pendant qu’il est encore là, il voit les avatars négatifs de ce qu’il a fait comme travail.
C’est la raison pour laquelle, pour que tout ce qu’il a fait comme effort ne soit pas jeté aux oubliettes et qu’on recommence, il s’est de nouveau impliqué. Il ne s’est pas impliqué pour dire : « je m’implique de façon péremptoire, je vais vous gérer ». Patrice Talon ne gère pas l’Epmb, mais il s’implique pour que nous nous retrouvions et que le bonheur des retrouvailles ne tombe pas tout de suite dans les oubliettes.
Craignez-vous une nouvelle explosion après lui ? Si son successeur ne s’implique pas comme lui ?
Nous souhaitons que la crise se résolve définitivement une fois pour toute. Nous sommes persuadé que les institutions de l’Église, les institutions religieuses ne manqueront pas d’avoir des problèmes mais il se trouvera toujours quelqu’un pour en parler.
Nous parlons de l’Epmb parce que vous vous en êtes proches, sinon les autres Églises ont leurs problèmes également. Vous pouvez même être tenté de dire que Patrice Talon a résorbé le cas Epmb mais comment celui de Gbanamè est resté et on ne l’a pas vu s’impliquer de la même manière ? Cela veut dire que Gbanamè est aussi une autre crise dans le pays mais n’a pas été gérée de la même manière que les méthodistes ont géré leur affaire sur la place publique.
Gbanamè, c’est une partie de l’Église Catholique. Selon les informations certains fidèles de Gbanamè se sont déjà retournés à leur Église catholique de base mais Gbanamè existe toujours. Laissons le temps au temps pour que les choses se résolvent.
Prions pour que les Églises ne deviennent pas des lieux de tensions, parce que chaque fois qu’il y a des tensions dans l’air le politique doit se lever pour les apaiser. Parce que les tensions peuvent conduire à des morts d’Hommes, or même si une seule personne meurt c’est le politique qui a perdu un citoyen. Tout individu dans ce pays, qu’il soit connu du président de la République ou non, est un citoyen de ce pays, géré par un chef de terre locale qui rend compte à qui de droit jusqu’à ce que ça atteigne le président de la République.
Donc quand un président de la République se mêle à une affaire d’Église il doit savoir raison garder, s’arrêter là où il faut pour qu’on ne lui objecte pas de s’ingérer dans la vie de l’Église, même s’il joue son rôle.
La formation des pasteurs en votre temps par rapport à aujourd’hui. Nous sommes au XXIe siècle, cette formation tient-elle compte des défis actuels de sorte à offrir aux peuples de Dieu des pasteurs qui comprennent les enjeux pour jouer efficacement leur rôle ?
À chaque époque son défis, son challenge. Il y a cinquante le défis de l’Église n’est pas celui d’aujourd’hui. Il y a 50 ans, 60 ans quand quelqu’un a son Certificat d’études primaires (Cep), il était un instituteur reconnu sur la place publique. Aujourd’hui ce n’est plus le cas, des gens ont le baccalauréat et ne peuvent même pas être instituteur. Nous rencontrons même des titulaires de doctorat toute catégorie confondue qui sont au chômage. Il y a des docteurs médecins qui sont au chômage parce qu’ils n’ont pas trouvé de débouchés.
La formation doit s’adapter au temps, la formation théologique doit s’adapter à notre époque. Moi j’ai été pasteur, enseignant et je le demeure d’ailleurs, nous adaptons notre enseignement théologique à l’ère du temps. Avant, un évangéliste était déjà un grand pasteur pour certains. Nous essayons d’adapter les curricula à l’ère du temps avec de nouveaux modules qui n’étaient pas au programme avant.
Merci.