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Faut-il séparer le cultuel d’avec le culturel ? Opinions de Mahougnon Kakpo, Père Gbédjinou et Raphaël Yebou

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
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Invités de l’émission ‘’Aéropage’’ sur Radio Immaculée Conception, samedi 18 mars 2023, les professeurs Raphaël Yebou et Mahougnon Kakpo et le Père Rodrigue Gbédjinou et ont défendu chacun son opinion sur le rapport entre le développement du continent africain et le retour à la culture. Entre le culturel et le cultuel, la démarcation est possible, mais difficile reconnaissent les deux invités chrétiens catholiques. Par contre, il est utopique d’envisager de séparer le cultuel d’avec le culturel, martèle l’ancien ministre de l’Enseignement secondaire. Nous vous proposons la transcription d’une partie des interventions sur l’émission animée par Juste Hlannon. 

 Propos transcris par Sêmèvo Bonaventure AGBON

 

  • Mahougnon Kakpo: « Vous êtes né dans la famille, vous avez retrouvé un univers qui vous imprègne »

 

Juste Hlannon : Comment définissez-vous la culture ?

 

Prof. Mahougnon Kakpo : S’il y a un terme qui est capable de représenter ou de définir l’Homme en général c’est la culture. L’Homme est l’élément fondamental de la culture, c’est-à-dire que tout ce qu’il fait au niveau d’abord de sa représentation, telle que la langue qu’il parle, la religion qu’il pratique, sa vision du monde, ses manières de faire, ses manières d’être même sa façon de rire est un élément de la culture. Sa façon de s’habiller, sa façon de concevoir le monde, d’enterrer ses morts, ce sont là des éléments de la culture.

L’Homme est un élément culturel et en même temps un élément cultuel. Cultuel, c’est-à-dire sa façon de rendre hommage à la transcendance, à ce qu’il considère comme l’Être suprême et aussi à tous les autres éléments qui renvoient à cet Être suprême. Je ne vais pas utiliser un mot trivial comme ‘’divinité’’, vous comprenez ce que je veux dire. Donc les autres Êtres qui lui permettent d’accéder à l’Être suprême, sa façon de les considérer, de leur rendre hommage est déjà un élément de culte.

La culture englobe le culte, parce que la culture exige la façon dont il faut rendre le culte. Cela renvoie à un autre terme qui est le rituel ; le rituel permet d’exécuter un culte. Ainsi, lorsque vous prenez la culture qui est un élément englobant, vous y retrouvez le culte mais il est difficile de séparer le cultuel d’avec le culturel.

Mais il ne faut pas donner toute l’importance au culte parce que le culte n’est qu’un élément du culturel comme la langue est un élément du culturel. Pour identifier réellement une culture, vous avez la religion, la langue, si vous parlez de la culture négro-africaine vous avez les langues négro-africaines, vous avez les religions négro-africaines ; si vous parlez de la culture asiatique, vous avez les langues asiatiques et vous avez les religions qui se réfèrent à cette tradition.

Juste Hlannon : Pensez-vous qu’une démarcation est possible entre le culturel et le cultuel ?

Non, c’est utopique de penser qu’on peut séparer le culturel du cultuel.

Ne pensez-vous pas que cela pénalise ? Vu le nombre d’Africains qui vont aujourd’hui vers d’autres religions révélées, ne pensez-vous pas que la séparation du cultuel d’avec le culturel pourrait permettre de sauver la culture ?

Prof. Mahougnon Kakpo : Quelle culture on peut sauver ? Il n’y a rien à sauver. La culture est globale, intacte. En pensant qu’on peut sauver une culture, en l’ôtant du cultuel vous allez à votre perte. C’est une démagogie, c’est une utopie que de croire que je peux être de telle culture et faire autre chose qui ne renvoie pas à la culture, en réalité.

Vous avez jamais vu un Indien pratiquer autre chose que ce que requiert sa culture ? C’est très difficile. Vous avez vu un occidental faire autre chose ?

 

  • Raphaël Yebou, chrétien catholique : « Le culte est dans le culturel mais la pratique cultuelle est subjective »

 

Juste Hlannon : Comment définissez-vous la culture ?

Prof. Raphaël Yebou : La culture pour moi c’est la façon d’être au monde, la façon de concevoir la vie, d’envisager les choses, d’envisager les rapports aux choses, à l’Homme et à Dieu. Donc, les traits qui distinguent un peuple, qui distinguent une communauté, qui distinguent un groupe social forment la culture de ce peuple.

Est-ce judicieux de séparer le culturel d’avec le cultuel ?

Je ne pense pas qu’on soit amené à séparer le cultuel du culturel pour sauver quoi que ce soit. Je pense que le culte, de mon point de vue, c’est un hommage religieux rendu à un Dieu. On parle du culte vodun, du culte Oro, duculte du dieu Dan ; mais on parle aussi du culte des ancêtres pour traduire l’idée d’hommage rendu aux ancêtres, du respect manifesté pour les ancêtres.

Et de ce point de vue, le culte étant un élément de la culture, on ne peut pas confondre l’ensemble et l’élément. Moi, j’ai plutôt le sentiment que dans le vaste champ de la culture il y a le culte. Et je ne confonds pas le culte et la culture.

 

  • Père Rodrigue Gbédjinou : « La culture est une réalité dynamique»

 

Juste Hlannon : Comment définissez-vous la culture ?

 

Père Rodrigue Gbédjinou : Je pense que les diverses représentations qui sont données de la culture sont assez suffisantes. La culture, c’est l’âme d’un peuple. La culture est un terme assez polysémique, elle représente un certain nombre de choses et éléments ; et cette culture détermine l’Homme, détermine son identité et aussi détermine son avenir. La culture définit l’Homme et l’Homme dans ce sens, comme le disait le professeur Mahougnon Kakpo, est l’élément structurant de la culture mais en même temps l’Homme est le fils et le père de la culture.

La culture n’est donc pas une réalité figée, la culture est une réalité dynamique. Il n’existe nulle part une culture figée ; puisque l’Homme, quand je nais je reçois une culture, il y a tout un bagage, tout une vision du monde qui m’accueille et dans cette vision du monde je suis intégrée. Mais moi aussi je peux faire évoluer cette culture par les apports, les réflexions ; ça veut dire qu’il n’y a pas une culture qui soit statique. La culture est une réalité dynamique.

Quel est votre regard sur la démarcation entre culture et culte ?

La démarcation est difficile mais à un moment donné il faut séparer, il faut distinguer pour unir. C’est vrai que la culture représente l’âme et l’âme est une réalité religieuse, alors le culte est une partie de la culture. Dans le même temps, vu que nous vivons dans un monde multiconfessionnel, pour ne pas reprendre le terme ‘’laïc’’, il est important de faire la démarcation ; ce n’est pas de l’utopie, selon moi. Parce que cette démarcation, quel en est l’enjeu ?

(Débat libre)

Prof. Kakpo : Avant l’enjeu, quelle sera la façon, la possibilité de séparer le culte de la culture ? Quelle peut en être la modalité ?

Père Gbédjinou : Ce qui peut en être la modalité, c’est simplement la raison. Les Grecs ont pu le faire. Tous les peuples ont leur culture et, à un moment donné, par la raison il faut pouvoir séparer le culturel du cultuel.

Prof. Kakpo : Comment vous pouvez séparer ? Vous allez sortir le culte de la culture ? et ça va être quoi ?

Père Rodrigue Gbédjinou : On ne va pas sortir le culte de la culture mais on va déterminer les horizons.

Prof. Mahougnon Kakpo : Il faut qu’on s’entende sur les termes. Séparer, veut dire que vous pouvez être d’une culture et pratiquer un autre culte. C’est autre chose. C’est vous qui avez choisi de pratiquer un autre culte que celui qui s’origine de votre culture. C’est autre chose. Mais vous ne pouvez pas sortir le culte vodun par exemple de la culture de l’ère culturelle Aja-Tado. Vous ne pouvez pas.

Père Rodrigue Gbédjinou : Je disais tantôt que la culture est une réalité dynamique. Aujourd’hui, dans tous les pays nous vivons dans un univers multiconfessionnel de facto. Alors, il est nécessaire de faire cette séparation même si elle est difficile. Je ne nie pas la difficulté et c’est là que je dis que ce n’est pas de l’utopie. La séparation, c’est quoi ?

La séparation [du cultuel du culturel], c’est que, il faut essayer de voir ce qui relève de la vie de l’Homme, ce qui relève de la vie où tout le monde peut se retrouver. Mais ce qui renvoie à la transcendance et qui nécessite un choix, il y a un choix là.

Prof. Mahougnon Kakpo : Lorsque vous dites un choix, vous rejoignez ce que je disais, à savoir que vous pouvez être d’une culture et pratiquer un autre culte. Là vous avez fait votre choix. Mais vous ne pouvez pas dire que vous êtes dans l’ère culturelle Aja-Tado et mettre de côté, sortir de cette ère culturelle là la conception qu’on a du Vodun, la conception qu’induit le Fâ par exemple ; vous ne pouvez pas séparer ça. Dire que « moi je mets ça de côté, ça n’a pas de rapport avec la culture » ; vous ne pouvez pas. Puisque la conception même du monde s’origine de là.

Prof. Raphaël Yebou : Moi je crois que nous devons interroger le Vodun lui-même. C’est quoi le Vodun ? Le Vodun permet d’accéder à l’Être suprême, si je comprends bien toute l’organisation qui entoure la pratique du Vodun.

On a parlé il y a près de cinquante ans de christianisme africain. Est-ce que dans le Vodun on parle de Christ ? Non. Mais on parle de Dieu. Ce qui est clair, dans le champ culturel il y a le culte mais la pratique cultuelle peut varier ; ça ne pose aucun problème.

Prof. Kakpo : Non.

Prof. Raphaël Yebou : Non. Donc on s’entend sur le fait que le culte est dans le culturel mais la pratique cultuelle est subjective, elle varie en fonction des individus. Celui qui a pratiqué le Vodun et qui découvre que le Christ a un message plus élevé et qui accepte le Christ, celui-là il ne pratique plus le Vodun, il n’est plus dans le culte du Vodun. Il a fait un autre choix.

Prof. Kakpo : C’est ce que je dis. Vous pouvez être d’une culture et pratiquer un autre culte. Mais vous ne pouvez pas dire que le culte Vodun ne relève pas de la culture Ata-Tado, vous ne pouvez pas dire ça. Comme vous ne pouvez pas dire que l’Hindouisme ne relève pas de la culture hindoue.

Père Rodrigue Gbédjinou : Sur ce point on est d’accord.

Prof. Kakpo : Je suis d’accord aussi, puisque la pratique d’une confession est un choix individuel. C’est tout. C’est là quand même le fondement de tout ce que nous allons dire. Parce que lorsque vous êtes dans la culture, vous pouvez dire : « je choisis un autre culte » mais il y a toujours des choses qui s’imposent à vous malgré vous, parce que vous êtes dans l’univers en question.

Je prends l’exemple du Père Gbédjinou. Prenez le terme ‘’Gbédjinou’’. Lorsque vous le décomposez, vous avez la façon dont cet être là est venu au monde. Si vous considérez ‘’Gbé’’ comme exil, soit c’est celui-là qui est né en exil

Juste Hlannon, animateur : Entendu que ‘’Gbédjinou’’ peut faire référence aussi à la fidélité.

Prof. Kakpo : Bien sûr, c’est-à-dire qu’il est resté fidèle. Mais de cette terminologie, de cette façon de donner le nom il résulte des pratiques cultuelles qui s’imposent à l’individu de gré ou de force, consciemment ou inconsciemment, parce que ce sont des pratiques qui ont été instituées dans la famille.

L’individu peut ne pas adhérer à ces pratiques mais l’égrégore familial l’implique malgré lui ; à partir du moment où il porte ce sang il l’implique confessionnellement. Il peut dire, « moi je ne pratique pas ça » mais il est là-dedans. C’est cela la philosophie de l’Être dans les cultures Aja-Tado.

Père Rodrigue Gbédjinou : Non. C’est un peu ambigu, ce que vous avez dit là, monsieur le professeur. Parce que quand on parle de choix, il y a des réalités qui tombent ; premier élément. Deuxième élément, je prends un nom comme Zounmènou, c’est la même chose que Sylvestre, c’est l’homme de la forêt dans un autre univers.

Tous les peuples à un moment donné ont dû, à partir de certaines réalités cosmo-théandriques, se donner des noms.

Prof. Mahougnon Kakpo : Il y a des noms qui impliquent des cultes.

Père Rodrigue Gbédjinou : Oui, au moment où l’univers était uniconfessionnel il y a des noms. Quand l’enfant était né dans un univers occidental il était automatiquement baptisé tel et ainsi suite. Mais dès lors qu’il y a un choix on ne peut pas dire que [l’égrégore familial l’implique malgré lui, ndlr] Le culte est un choix.

Prof. Mahougnon Kakpo : Je suis d’accord avec vous que le culte est un choix mais le nom que vous portez, vous ne vous l’êtes pas donné. Le nom appartient à quelqu’un et le nom appartient à un univers que vous n’avez pas défini qui s’impose à vous. Vous n’avez pas choisi de naître dans la famille. Vous êtes né dans la famille, vous avez retrouvé un univers qui vous imprègne. Vous pouvez dire « moi je ne fais pas ça ».

Père Rodrigue Gbédjinou : Ça vous rejette de la famille ?

Prof. Mahougnon Kakpo : Ça ne vous rejette pas de la famille. C’est justement parce que ça ne vous rejette pas de la famille que ça vous protège et que ça vous implique directement ou indirectement.

Père Rodrigue Gbédjinou : Ça ne peut plus vous impliquer du fait qu’il y a eu un choix, c’est-à-dire une rupture par rapport à un univers.

Prof. Mahougnon Kakpo : Le sang que vous portez là…

Père Rodrigue Gbédjinou : Le sang est une réalité biologique.

Prof. Mahougnon Kakpo : C’est biologique mais c’est génétique.

Père Rodrigue Gbédjinou : Oui, le sang est génétique, mais…

Prof. Mahougnon Kakpo : A partir du moment où c’est génétique il y a un égrégore…

Père Rodrigue Gbédjinou : Le sang n’a pas de confession, le sang c’est le groupe A, groupe B, etc. partout dans le monde. Mon sang m’implique.

Prof. Mahougnon Kakpo : …lorsque vous considérez que vous pouvez être un élément exogène alors que vous ne l’êtes pas du tout. Parce que le sang que vous portez, c’est le sang qui est la famille dans la conception Ata-Tado.

Père Rodrigue Gbédjinou : Non, dans toutes les conceptions.

Prof. Mahougnon Kakpo : Ah je ne connais pas toutes les conceptions. (Sourires)

Vous savez que dans certaines familles on identifie des enfants lors du baptême traditionnel qui ne sont pas de la famille, à cause du sang. C’est-à-dire lorsque vous amenez l’enfant que vous avez fait peut-être en ville, partout ou même à la maison, l’enfant peut ne pas être l’enfant du père considéré. Lorsque on veut lui faire le baptême, cet enfant n’est pas appelé à recevoir le baptême de cette famille-là. Et il arrive des catastrophes en ce même là, parce que le sang qu’il porte n’est pas celui de la famille.

Cela signifie que cet enfant qui peut dire : « je suis un être biologique » est implicitement impliqué dans l’égrégore familial qui le rejette en même temps parce qu’il ne le reconnaît pas.

C’est ça la dialectique de l’Être et de l’univers chez nous. L’Homme n’est pas un élément qui est venu comme ça, c’est toute une chaine, et c’est complexe. C’est pour cela qu’on ne peut pas séparer le culturel du cultuel.

Je reconnais qu’on peut choisir de pratiquer un autre culte. Vous pouvez dire : tout le reste, ça ne m’implique pas du tout. Mais l’égrégore familial fait le reste pour vous.

N. B : La suite de l’émission dans nos prochaines parutions.

 

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