Des femmes ont retrouvé leur autonomie financière grâce à des activités génératrices de revenus essentiellement basées sur le digital. Paradoxalement, de nombreuses autres sont contraintes de s’éloigner des réseaux sociaux sur insistance d’époux qui pensent les préserver de la dépravation. Question de confiance qui s’ajoute, chez les premières, aux écueils inhérents à l’environnement de l’e-commerce.
Par Sylvania TCHANOU
Entre la pâtissière Tiya Soumanou et ses clients, tout se joue par WhatsApp, Meta ou au téléphone (digital). Elle est aidée de trois jeunes dans la distribution. Christelle T., elle, évolue dans la cuisine. Ses gros clients sont des employés de Cadjehoun, Mènontin, Gbèdjromèdé, d’Akpakpa voire à Abomey-Calavi à qui elle livre des précommandes à leurs heures de pause. Certains se sont carrément abonnés à son service. L’abonnement est de 1500F par jour, qu’importe le menu au choix.
Par semaine, Tiya Soumanou peut se « retrouver à 50 milles francs Cfa de bénéfice ». Elle s’est véritablement consacrée au commerce en ligne suite aux retours positifs qu’elle a reçus grâce à ses « statuts WhatsApp ». « Des amis m’ont dit : « ce que tu postes comme mets et autres, c’est très beau, c’est attrayant quand on regarde les images. Pourquoi tu ne te lances pas dans le milieu ? », se rappelle la commerçante et pâtissière. « C’est ainsi que j’ai commencé par poster mes articles avec plus d’engouement et de régularité. Je les accompagnais des prix et les gens ont commencé par commander à distance », poursuit-elle.
Le digital, moyen de communication, de marketing mais aussi source de dépravation. Chacun y va selon son éducation, ses priorités. L’e-commerce est en vogue. Même des étudiantes, depuis les bancs, s’y lancent. Telle Christelle, populaire sur Meta comme « livreuse de chaussures ». Pas besoin de disposer d’une boutique physique.
« Ce n’était pas facile que les abonnés republient mes articles. Mais avec le temps et la détermination, les gens ont commencé par partager.»
Les femmes utilisent de plus en plus les réseaux sociaux pour faire de la publicité des articles et produits qu’elles commercialisent. De la lingerie aux repas, en passant par les ustensiles de tout genre et les draps et lits. « Désormais la femme se voit digital et fière d’être autonome grâce à ses activités source de revenus qui pour la plupart, proviennent du commerce en ligne. Pour certaines femmes, c’est le digital qui ”s’est imposé” à elles », décrypte Hermine A., spécialiste en communication digitale.
Naomi Tchidime Ekpe, est directrice commerciale d’une structure et Ceo de Nylshop, une boutique spécialisée dans la vente de lingerie et accessoires. E-commerçante depuis quelques années, elle avoue que « les réseaux sociaux sont des canaux de diffusion très rentable et simple » qui offre « une technique de vente très avantageuse ».
Avec le digital, « le commerce en ligne peut être une activité secondaire. Même si l’on travaille ailleurs il suffit d’avoir des livreurs, et aussi il est un peu neutre du point de vue fiscal pour le moment », relève-t-elle.
Mais le digital n’est pas un environnement clément. La concurrence y fait rage, au regard de l’attrait et du nombre de personnes qui y entreprennent de plus en plus. La première grande difficulté consistait donc à élargir sa communauté, à se démarquer. « Ce n’était pas facile que les abonnés republient mes articles. Mais avec le temps et la détermination, les gens ont commencé par partager. J’ai commencé par drainer un flux de clients surtout à partir de deux réseaux, WhatsApp et Meta », témoigne Tiya Soumanou.
Les avantages souligne-t-elle, « c’est que tu arrives à toucher des clients qui ne sont pas forcément sur le même territoire que toi. Tu touches des clients hors du pays et qui te font entièrement confiance, qui commandent pour des gens qui sont sur le territoire ».
Mari, foyer, confiance
Tiya Soumanou est chanceuse : « Mon conjoint est un commerçant. Il est entièrement d’accord avec mon activité en ligne, elle ne lui pose aucun problème.» À contrario, Dame Jessica a dû « déménager de la toile ». Pour cause, elle n’a plus accès aux Android, son mari lui a défendu « d’exister » sur les réseaux sociaux. Pascaline T. est dans le même cas.
« Agée de 35 ans, je suis mariée depuis bientôt 7 ans. Je suis commerçante et je vends des articles pour femme (mèches, perruques, maquillage et cosmétique. Mon mari par manque de confiance m’a demandé de supprimer tous mes comptes Facebook, chose que j’ai faite pour éviter une guerre dans mon foyer. Mais pour vendre il me faut communiquer sur les réseaux sociaux. Alors j’ai donc trouvé comme solution de passer par mes copines qui ont des comptes sur les réseaux sociaux. Ainsi je fais par leur entremise la publicité de mes articles sans mon logo. Mes copines me rapportent des clients et moi en retour je leur donne des commissions. Telle est ma stratégie pour garder mon foyer et garder mon gagne-pain aussi ».
Nous avons réussi à trouver des époux qui « légifèrent » ainsi dans leur foyer. Monsieur B. Aziz en est un. L’homme qui habite à Abomey-Calavi a pareillement exigé à son épouse la suppression de ses comptes sur les réseaux sociaux pour selon lui, « la tranquillité du foyer ». Il justifie sa « position rétrograde » par la convoitise à laquelle les femmes sont supposées être exposées sur les réseaux.
« Les réseaux sociaux facilitent les dragues », reconnaît effectivement le docteur Émile Comlan Badevou, économiste et sociologue de la sexualité. Sur la toile, « nombreuses sont ces femmes qui tombent dans les travers », déplore-t-il. Cela explique, dit-il, la réticence de certains hommes à voir leurs femmes investir ces espaces. Il se pose là, souligne le sociologue, la question du « manque de confiance » du conjoint qui conduit à ce genre de décision.
Dans le rang des femmes qui excellent quand même dans le commerce en ligne, cette question n’est pas niée. « Personnellement je n’ai pas de problème avec mon mari puisqu’il sait que c’est mon job, je suis diplômée en marketing avant de l’épouser. Mais sur la toile, je fais l’effort de faire la part des choses pour ne pas avoir de problème avec lui », détaille, l’air ferme, Naomie Tchidime Ekpe, mercaticienne.
L’autre astuce développée pour rassurer les époux et ne pas quitter le champ du e-commerce pour celui de la débauche, touche aux contacts téléphoniques. Certaines femmes estimant séparer vie privée et vie professionnelle, vont jusqu’à avoir un numéro de téléphone exclusivement dédié aux affaires, aux clients.
Même si, « Malgré que c’est le numéro commercial que tu mets sur tes pages et que tu précises que c’est un numéro commercial uniquement pour les affaires, il y en a qui sont dotés d’une mauvaise intention, qui prennent ce numéro et qui t’appellent à des heures tardives de la nuit, qui te laissent des messages vraiment indécents, pour t’embêter, pour te draguer », confesse Tiya Soumanou, la pâtissière.
Elle s’est aussi imposée des principes, des limites. « Ce n’est pas parce que j’ai choisi une activité exclusivement sur les réseaux que je suis disponible tout le temps. J’ai des horaires d’ouverture, j’ai des horaires de fermeture. Et quand un client m’écrit à des horaires de fermeture, je ne réponds pas ». Ainsi, « structurée, une fois dans foyer, ça n’a pas à créer de problème », assure-t-elle.
Atouts
Les femmes d’affaires du digital au Bénin, sont conscientes des risques qu’elles encourent dans ce secteur d’activité : non-paiement des articles commandés par certains clients, les commentaires et attitudes désobligeants, la veille permanente pour adapter les produits au marché que constitue leur audience. Toutefois, elles se consolent des avantages qu’elles en tirent, et du gros marché que constitue la communauté composée de personnes de tous âges et de toute provenance. Sans oublier « la publicité gratuite » à la différence des canaux conventionnels.
Le secteur du e-commerce impliquant spécifiquement les femmes a besoin du regard des pouvoirs publics, et de l’appui à travers notamment l’octroi de microfinance.
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