Le président Patrice Talon a enfin remanié son gouvernement lundi 17 avril. À la surprise générale, parce que l’homme avait clamé n’avoir pas envisagé un remaniement, surtout qu’ « On ne change pas une équipe qui gagne ». Heureusement, il avait précisé « jusqu’à nouvel ordre » lorsqu’il tenait ses propos le 13 mars en présence de Mohamed Bazoum alors en visite de travail.
Les piliers de l’équipe gagnante sont maintenus dans le cadre de ce remaniement. Le nouveau gouvernement est composé de 21 ministres et 1 secrétaire d’État à l’Energie. Il se dégage deux entrées contre trois sorties, à commencer par le Garde des sceaux, ministre de la justice et de la législation Séverin Quenum remplacé par Yvon Detchenou, l’ancien bâtonnier.
Sont aussi sortis de l’équipe, les ministres Dona Jean-Claude Houssou (Énergie) et Hervé Hêhomey (Infrastructures et transports). Ce dernier tient d’ailleurs le record des limogeages sous la Rupture. En 2017 déjà, il a été sorti avec fracas « pour n’avoir pas été un week-end au chevet des populations après une rupture de voie dans le nord du pays ». Avant de faire son comeback en mai 2021 au sein du gouvernement.
Les départements jadis occupés par Dona Jean-Claude Houssou et Hervé Hehêmey n’existent plus sous leur forme. Ils sont simplement greffés ou redistribués à ceux qu’occupaient leurs collègues successeurs. Le ministre Samou Adambi (Eau et mines) s’arrache donc le département de l’Énergie ; Didier Tonato hérite en plus du Cadre de vie et du développement durable, celui des Transports.
Il faut observer que le départ du ministre Hervé Hêhomey (issu de la 24e circonscription électorale) fragilise son parti, le Bloc républicain dans le département du Zou. Dans un pays où avoir de ministre(s) au gouvernement ou de député(s) donne du poids aux formations politiques, le cheval blanc cabré est le grand perdant face à sa rivale de sœur, l’Union progressiste le Renouveau. Celle-ci détient encore un ministre ressortissant du même département et précisément la 23e circonscription électorale, en l’occurrence Fortunet Nouatin (Défense).
Sévérin Quenum, la sortie-humiliation ?
La sortie qui ne surprend pas est celle de l’ancien Garde des sceaux. Le limogeage de Sévérin Quenum avait été annoncé le 12 avril par ‘’Bénin Intelligent’’ et plusieurs autres médias. En l’absence d’un acte officiel qui l’atteste, le porte-parole du gouvernement, Léandre Wilfried Houngbédji et plus tard le chef de l’Etat lui-même, Patrice Talon en conférence de presse aux côtés de son homologue Rwandais, avaient fait passer cette nouvelle pour de l’infox. Obligeant des médias à se dédire…
Si le gouvernement ne fournit pas de raisons au départ d’un ministre, la sortie de Sévérin Quenum est presque arrivée au mauvais moment. Son département a été secoué ces derniers temps par le dossier de mauvais traitements infligés aux prisonniers dont Reckya Madougou et Joël Aïvo. L’affaire a conduit au redéploiement de tous les régisseurs de prisons au Bénin.
Le 8 mars, Joël Aïvo condamné à dix ans de prison –pour complot contre l’autorité de l’Etat et blanchiment de capitaux- et qui crie toujours à une « condamnation politique », avait adressé une lettre prémonitoire à l’ex ministre de la Justice : « Mon second conseil est celui que Michel Debré a donné à son fils Jean-Louis fraîchement nommé ministre : « Souviens-toi mon garçon, qu’on est plus longtemps ancien ministre que ministre », lui avait-il écrit.
Le courant passe-t-il encore entre Patrice Talon et son ami, avocat personnel et ex ministre de la Justice Sévérin Quenum ? Pas sûr. Ce dernier n’a adressé aucun mot (de remerciement) au chef de l’Etat dans son discours improvisé mardi lors de la passation de charges à son successeur Yvon Detchenou ce jour. On ne l’a entendu nul part mentionner le chef de l’État comme il est de coutume.
Peut mieux faire
Aucune disposition de la constitution n’oblige un chef d’État à remanier. Les ministres sont responsables devant lui et lui devant le peuple.
À ce titre, on est sans doute admiratif de la fidélité du président Patrice Talon en amitié. Et surtout, son souci de cohérence, de stabilité et de constance relativement à l’équipe gouvernementale. Mais ce « réaménagement » ministériel a laissé un goût d’inachevé.
Le chef de l’Etat a manqué une belle occasion de s’ouvrir par exemple à l’opposition; même si l’a aussi rien ne l’y oblige. Cependant, il pouvait mieux faire, en se dotant d’une équipe plus combative à trois ans de la fin de son second mandat. Pour le faire, il lui suffisait de se séparer de certains ministres dont on sent très peu l’existence sur le terrain.
Patrice Talon pense-t-il vraiment que tous les ministres qu’il a maintenus obtiennent des progrès dans leur sous-secteur ? Une large partie des Béninois ne serait pas du même avis. Certains d’entre ses collaborateurs méritent bien d’être remplacés. Il est trop évident qu’ils ont du mal à traduire le pragmatisme, la vision et les ambitions du président Patrice Talon dans les domaines relevant de leur compétence.
Lire le décret
decret-2023-156
Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
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