Urbanisation et sécurité. Le rapport entre les deux notions ne saute pas à l’œil d’un profane. Nagbandjoa Dounwourgue, docteur en développement urbain durable soutient que l’urbanisation au Togo, gérée de manière durable en considérant le risque accru de l’extension de l’extrémisme et du terrorisme dans la sous-région ouest-africaine, peut concourir à la sécurité des habitants. Il propose de repenser le modèle type de l’urbanisation. Entretien.
Propos recueillis par Arnauld KASSOUIN
Bénin Intelligent : A part la migration rurale-urbaine et la forte croissance démographique, quels sont les autres facteurs ayant intervenu dans l’urbanisation rapide du Togo ?
Nagbandjoa Dounwourgue : D’abord il faut noter que la forte urbanisation du Togo dont nous parlons concerne principalement la partie méridionale du pays, précisément la capitale Lomé. Cette ville est la métropole nationale face à de minuscules villes dans le reste du pays. A l’exception des chefs-lieux de régions, la plupart des autres villes ont un caractère rural. Ceci pose parfois un réel problème de définition des villes au Togo. Toutefois, nous pouvons retenir que la loi de 2007 sur la décentralisation et les libertés locales plusieurs fois modifiées, fait de chaque chef-lieu de préfecture, une ville.
L’urbanisation a été tardive au Togo et n’a commencé qu’avec l’avènement de la colonisation au XIXe siècle. Mais cette urbanisation s’est accélérée depuis la fin des années 1960 et n’a plus cessé. Les taux de croissance en population des villes est de 4% par an et sont parmi les plus élevés au monde. En 2022, la population urbaine est de 3 473 792 habitants soit 43% de la population totale. Cela donne un taux moyen d’urbanisation de 35,3%.
Quant à la mégalopole Lomé, de 375 000 habitants en 1981, la population est passée à 800 000 en 2000 et est de 2 188 376 habitants en 2022 pour tout le District autonome du grand Lomé. Cette forte pression démographique a entraîné une extension spatiale au point de rendre floue la limite entre les espaces urbains et périurbains.
Les raisons de cette urbanisation rapide sont nombreuses. Outre l’exode rural, la croissance démographique, nous pouvons évoquer quelques raisons principales telles que l’attrait des zones urbaines pour les investisseurs et les entreprises, les conflits et les crises humanitaires et sociales dans les zones rurales, la concentration administrative et industrielle, les opportunités économiques offertes par les villes. En sommes, nous pouvons dire que les facteurs sont nombreux mais l’un des déterminants majeurs sont les politiques gouvernementales. Qui ont en quelque sorte favorisé cette expansion.
La centralisation des services publics et des infrastructures dans les zones urbaines telles que Lomé, Kara, Atakpamé, Bassar, Sokodé ne sont-elles pas susceptibles de contribuer à la naissance ou la croissance des discours de type extrémiste ?
La centralisation n’est pas en elle-même le problème, mais plutôt la concentration. Il y a toujours une centralisation dans les grands pôles et des structures décentralisées dans les collectivités locales. Mais la concentration de tout, oblige l’administré à se rapprocher de l’administration soit à subir les aléas qui prennent source dans l’éloignement des services sociaux de base. Il est évident que les organisations extrémistes peuvent surfer sur ces manquements et ainsi agir sur le sentiment des populations. En effet, le sentiment de marginalisation peut naître au sein des populations lorsqu’on assiste à la concentration des ressources dans des zones limitées, à l’inefficacité des prestations de services, à l’augmentation du taux de chômage et des tensions sociales. Récemment au Nord du Togo, des messages propagandistes des terroristes diffusés au sein des populations ont justement repris ces aspects.
Pour atténuer les risques potentiels d’extrémisme violent et de terrorisme, comment les autorités locales peuvent-elles s’y prendre avec efficacité ?
D’abord, elles doivent soutenir inlassablement les populations et les communautés locales en se tenant à leurs côtés à tout moment et en prêtant oreille attentive à leurs préoccupations quotidiennes. Ensuite, les autorités locales sont les mieux placées pour renforcer la résilience des communautés face aux messages et aux actes extrémistes. La promotion du dialogue intercommunautaire et interreligieux est capitale pour endiguer les risques potentiels. Cela va également favoriser la cohésion sociale et l’inclusion des groupes marginalisés. Nous savons également que le chômage et le manque d’éducation sont des portes d’entrée des idées extrémistes. C’est dire qu’enfin les autorités locales doivent trouver les clés pour une véritable employabilité des jeunes notamment.
Les autorités locales peuvent donc agir sur ces aspects en faisant en sorte que les jeunes et les enfants aient un accès facile à l’éducation, aux opportunités économiques et à la sécurité. Cela pourrait contribuer efficacement à éviter leur radicalisation. On le constate actuellement dans les sept préfectures de la région des Savanes à savoir Tône, Kpendjal, Kpendjal Ouest, Cinkassé, Tandjoaré, Oti et Oti Sud. Dans ces contrées, les autorités locales sont aujourd’hui plus proches des populations que jamais. Cette proximité renforce le sentiment de protection et de sécurité auprès des populations qui s’organisent elles-mêmes pour être un rempart à l’hydre terroriste.
Selon vous, le renforcement de la sécurité dans les zones urbaines du Togo avec des innovations telles que la vidéosurveillance, la technologie de reconnaissance faciale et l’amélioration des systèmes de communication promet-il un climat de paix sur le long terme ?
Concrètement le dispositif que vous décrivez va permettre aux Forces de défense et de sécurité (Fds) d’identifier les auteurs d’actes extrémistes. Ce dispositif peut être dissuasif en effet, mais cela reste encore insuffisant car la prévention des actes extrémistes reste l’objectif principal. Les spécialistes des questions sécuritaires pourront mieux s’exprimer sur la question, mais il est de notoriété publique que l’attaque est la meilleure des défenses. L’utilisation des drones et les attaques destructrices des bases terroristes semblent être très efficaces. Toutefois, l’amélioration de la communication est essentielle car cela permet l’exploitation d’un réseau de communication efficace pour la prise de mesures préventives en cas de nécessité ou une réponse rapide en cas d’urgence signalée.
Dans un contexte de risque accru d’extrémisme violent et de terrorisme, est-il possible que l’urbanisation faite de façon intelligente soit gage de sécurité et de protection des citoyens ?
Oui, cela est possible et d’ailleurs prôné. L’urbanisation faite de façon intelligente vise à intégrer l’innovation et les technologies dans la planification, la gestion et le développement des villes. Cela se fait dans le but d’offrir aux habitants une meilleure qualité de vie et favoriser un développement économique durable. Il en découle que tout cela concourt à la sécurité des habitants.
Ce type d’urbanisation met en place des politiques, plans et programmes de renforcement des infrastructures et des services de sécurité tels que la police, la gendarmerie, les sapeurs-pompiers et les hôpitaux. L’urbanisation intelligente offre des espaces publics sûrs et des logements de qualité. Le bien-être des habitants favorise de fait leur cohésion, la solidarité et une résilience collective.
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