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Maixent Somé, analyste politique burkinabè : «Le terrorisme prospère sur les injustices »

Par flat
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Dans le cadre de la restauration de la paix, l’analyste politique et consultant en stratégie digitale burkinabè Somé Maixent n’exclut pas les moyens même par les plus déplaisants. Il recommande le dialogue avec les groupes ‘’terroristes’’ et évoque comme modèle le cas algérien. Dans cet entretien, il désapprouve les ‘’clichés’’ ethniques et reste prudent quant au rôle des organisations de la société civile et des leaders religieux auteurs eux-mêmes parfois de discours de haine et de ‘’séparatisme social’’.

Propos recueillis par Arnauld KASSOUIN

 

Bénin Intelligent : Que peut-on comprendre par paix dans une société ancrée dans la diversité ?

Somé Maixent : La paix se caractérise par des rapports entre personnes et ou groupes humains qui ne sont pas en conflit. Ce sont des rapports calmes entre citoyens ; l’absence de troubles, de violences. Ce qui renvoie à la théorie générale de l’État moderne en droit.

Dans la lutte contre le terrorisme, l’approche militaro-sécuritaire semble sans effet. A quel saint devons-nous, nous vouer dans ce cas pour des résultats plus convaincants ?

Déjà, il nous faut sortir des explications simplistes et poser le bon diagnostic. Avons-nous eu le courage, au niveau étatique, de poser le bon diagnostic ? Avons-nous notre définition « burkinabè » du terrorisme ? Je ne le crois pas. Mais après la phase de guerre totale qui semble s’annoncer, peut-être aurons-nous enfin le courage de poser ce diagnostic. Ensuite, être capable d’accepter de passer par tous les moyens pour ramener la paix. Même par les plus déplaisants. Je ne souhaite pas en dire plus pour le moment, vu le contexte. Et puis, de toutes les manières, ce ne sont pas des sujets que l’on expose en détail dans les médias.

Peut-on espérer un retour à la paix en Afrique de l’Ouest et au Sahel, vu la recrudescence des attaques terroristes et l’instabilité politique qui règne ?

On n’a pas le choix. C’est soit ça, soit la somalisation. Le terrorisme au Sahel a réellement commencé au Mali il y a exactement 10 ans. Il a trouvé nos États sans armées, et absents de leurs régions périphériques alors que nous avons hérité de la France, son modèle centralisé et Jacobin. Sans décentralisation, sans  aménagement et administration de territoire, sans une péréquation des richesses proprement dite. En clair, nous avons assimilé ses tares plus que ses vertus (…) Le terrorisme nous a cueillis à froid après 50 ans de somnolence. A présent, nous sommes en train de nous doter d’armées bien équipées. Mais il reste tout le reste, y compris la coopération policière, judiciaire, et militaire avec nos pays voisins. Ce sera difficile. Mais ce que ces groupes armés non étatiques sont arrivés à faire en dix ans, maintenant que nous nous sommes enfin réveillés, nous pouvons le faire.

Le terrorisme au Sahel a réellement commencé au Mali il y a exactement 10 ans. Il a trouvé nos États sans armées, et absents de leurs régions périphériques alors que nous avons hérité de la France, son modèle centralisé et Jacobin. Sans décentralisation, sans  aménagement et administration de territoire, sans une péréquation des richesses proprement dite. En clair, nous avons assimilé ses tares plus que ses vertus (…) Le terrorisme nous a cueillis à froid après 50 ans de somnolence.

Mais pour cela, il faut à la tête de nos États, des hommes d’États lucides et non des illuminés qui se prennent pour des sauveurs ! Je ne suis pas de ceux qui croient, naïvement, aux sirènes du messianisme. Des trois pays en proie au terrorisme au Sahel, je constate que le moins populaire auprès de la jeunesse pseudo panafricaniste, est Mohamed Bazoum, le président nigérien. C’est pourtant lui qui obtient les meilleurs résultats alors qu’il a le territoire le plus vaste, et est attaqué sur toutes ses frontières ! Boko haram et l’Iswap (Islamic State of west africa provinc, ndlr) au sud et à l’est, Jnim (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, ndlr) et l’Eigs (Etat islamique au grand Sahara, ndlr) à l’ouest, le bourbier libyen au nord !

Pensez-vous qu’il soit possible de réconcilier deux parties qui se détestent à mort ?

Tout dépend de l’objet du litige, et de ce qu’on est prêt à mettre sur la table pour la réconciliation. Certaines détestations sont plus feintes que réelles et profondes.

Dialoguer avec les groupes terroristes ne serait-il pas leur accorder une certaine légitimité ?

Tout dépend de ce que vous appelez « dialoguer avec les groupes terroristes »… De fait, nous dialoguons déjà avec certains groupes terroristes, au moins au niveau local. Il y a juste que nos autorités ne l’assument pas. Des accords locaux sont conclus avec certains de ces groupes au Burkina comme au Mali, afin de soulager un peu le fardeau des populations. Sur ce point-là, je pense que l’Algérie est un bon exemple. Après 10 ans au pouvoir et une guerre totale, l’armée n’est pas arrivée à bout du terrorisme malgré la distribution de 300 000 armes à la population civile. C’est le président civil, le diplomate Abdelaziz Bouteflika qui une fois au pouvoir, ramènera la paix en Algérie à travers la « concorde civile », puis « charte pour la paix et la réconciliation nationale ».  Je vous invite à étudier ce cas d’école. Il n’a pas négocié avec les dirigeants djihadistes. Il a dévitalisé ces groupes en proposant clairement à leurs troupes de déposer les armes et de rejoindre la communauté nationale. Les derniers jusqu’au-boutistes du Gspc (groupe salafiste pour la prédication et le combat créé en 1998, ndlr) ont dû fuir au nord Mali où ils ont prêté allégeance à Al-qaïda pour devenir Aqmi (Al-qaïda au Maghreb islamique, ndlr).

À votre avis, quelles doivent être les personnes habilitées à rester aux manettes d’une négociation dans un processus d’obtention de la paix ?

A l’évidence, des diplomates chevronnés et qui ont un sens très élevé de l’État. Je sais que notre pays n’en manque pas.

Dans quelle mesure pensez-vous que les gouvernements doivent impliquer les groupes de la société civile et les leaders religieux dans l’éradication de l’extrémisme violent ?

Lorsque les organisations de la société civile et les leaders religieux eux-mêmes propagent des discours de haine et de séparatisme social, peuvent-ils être des médiateurs sociaux ?

Le terrorisme prospère sur les injustices, mais aussi sur l’ignorance voire l’incurie, en particulier dans le domaine religieux. La Mauritanie a su mobiliser ses érudits en islam pour déconstruire le discours des groupes armés terroristes. Cela a plutôt bien marché pour tarir leurs sources de recrutement. Il y a peut-être des leçons à apprendre chez eux. Ils sont avec nous dans le G5-Sahel devenu G4-Sahel après le retrait du Mali. Et le but de cette organisation, c’est justement la mutualisation des moyens, et le partage d’expérience dans la lutte antiterroriste… Le dialogue inter-religieux initié il y a quelques années entre nos principaux clergés est un bon début. Mais je pense que chaque leader religieux doit également prêcher l’ouverture et la tolérance auprès de ses ouailles. Ce n’est pas toujours ce que l’on constate. En particulier depuis l’avènement du Capitaine Ibrahim Traoré. Et c’est dommage car on n’y arrivera pas sans leur implication.

Quels sont les défis et les obstacles à la promotion du dialogue en tant que paradigme de paix ?

Déjà sortir de l’ignorance. Apprendre à nous connaître les uns les autres. Entre ethnies, entre religions, entre groupes politiques.  « L’ignorance mène à la peur, la peur mène à la haine et la haine conduit à la violence. Voilà l’équation », selon Averroès, grand philosophe, théologien, juriste et médecin musulman andalou de langue arabe du XIIe siècle (…)

Au Burkina Faso, nous avons trop de clichés les uns sur les autres. Beaucoup d’essentialisation. Les Lobi-Dagara sont comme ceci, les Mossi sont comme cela, les Peuls sont comme ceci, etc… Pareil pour les religions. Mais en réalité, malgré la Snc (La semaine nationale de culture du Burkina Faso), nous ne connaissons pas la culture des uns des autres. De plus, chaque individu est singulier et ne peut être réduit aux traits dominants de sa culture d’origine.

Des trois pays en proie au terrorisme au Sahel, je constate que le moins populaire auprès de la jeunesse pseudo panafricaniste, est Mohamed Bazoum, le président nigérien. C’est pourtant lui qui obtient les meilleurs résultats alors qu’il a le territoire le plus vaste, et est attaqué sur toutes ses frontières !

Mais le problème, c’est que n’ayant pas encore réussi à créer une identité nationale, les seules identités collectives disponibles sont ethno-religieuses. Thomas Sankara a réalisé une première étape en supprimant la mention de l’ethnie sur la Cnib  (La Carte nationale d’identité Burkinabè, ndlr). Mais votre nom de famille vous assigne toujours à une identité ethnique et votre prénom à une identité religieuse. Personnellement, je m’appelle Somé Maixent. Ce qui me désigne comme Dagara et catholique. Or je suis plus bobolais de culture que Dagara, et ne suis pas catholique ! Je me sens juste Burkinabè. Mais combien sommes-nous qui pensons et fonctionnons ainsi ?

Le problème, ce sont les a priori et les idées reçues. C’est cela qu’il faut combattre. Aucun groupe ethnique ou religieux n’est responsable des agissements d’un individu.

Comment intégrer le dialogue en tant que stratégie de prévention et de lutte contre le terrorisme dans les politiques publiques ?

Cela commence par l’aménagement du territoire ! Regardez le réseau routier de notre pays. Le trouvez-vous harmonieux et pensé pour le développement du pays et de toutes ses régions ?

Cela passe également par la péréquation. Le Fond de Développement Minier par exemple, est très mal pensé. Il devrait être centralisé et utilisé pour investir dans des zones à fort potentiel de développement, plutôt que de donner des budgets à des communes rurales qui sont incapables de les absorber car sous peuplées et à faible potentiel de développement, au motif que les mines industrielles se trouvent dans ces communes. Mais c’est difficile à faire tant les périphéries n’ont pas confiance en l’État central du fait de la mauvaise gouvernance et de la prévarication ! Mais tout cela ne sera jamais possible tant qu’on pourra résider à Ouagadougou ou à Bobo-Dioulasso, et aller se faire élire dans le village d’origine de ses parents en lieu et place des acteurs locaux qui eux ne sont pas originaires de cette localité.

Ceci est peut-être même le point par lequel il faudrait commencer.

Comment les organisations de la société civile peuvent-elles promouvoir le dialogue et la compréhension entre les différents groupes pour lutter contre le terrorisme ?

Tout dépend de ce que vous appelez « organisations de la société civile » !

S’il s’agit de ces Osc  qui se sont créées dans le sillage de l’insurrection dite populaire, et qui prolifèrent depuis, à chaque changement de régime, je crains hélas qu’ils ne fassent plus partie du problème que de la solution. Il faut déjà une loi pour encadrer le financement et le fonctionnement de ces Osc afin de séparer le bon grain de l’ivraie, et peut-être que celles qui resteront auront une utilité sociale. Sinon, pour le moment, ce sont juste les porte-voix de groupuscules politiques, sinon d’individus dont le seul but est de capter des ressources financières et/ou de se faire coopter par un régime. De quoi d’autre les voyez-vous parler sinon de la politique politicienne ? Les entendez-vous parler du vivre ensemble, des politiques publiques, de la vie dans les quartiers et les villages ? Non !

Les médias peuvent-ils jouer un rôle dans la promotion de la tolérance et de la compréhension mutuelle dans une société confrontée à la menace du terrorisme ?

Ce qui est vrai pour les Osc l’est également en ce qui concerne les médias. Derrière chaque média, il y a un politicien ou un homme d’affaire proche d’un politicien ! Nos médias sont, pour beaucoup, des entreprises commerciales, mais également politiciennes qui vivent aux crochets de l’État via les subventions, mais surtout la commande publique.

Thomas Sankara a réalisé une première étape en supprimant la mention de l’ethnie sur la Cnib  (La Carte nationale d’identité Burkinabè, ndlr). Mais votre nom de famille vous assigne toujours à une identité ethnique et votre prénom à une identité religieuse. Personnellement, je m’appelle Somé Maixent. Ce qui me désigne comme Dagara et catholique. Or je suis plus bobolais de culture que Dagara, et ne suis pas catholique ! Je me sens juste Burkinabè.

Leur ligne éditoriale dépend donc de leurs intérêts privés. Combien sont-ils ceux qui paient convenablement leurs employés ? Les traitements salariaux permettent-ils de les déclarer à la Caisse nationale de sécurité sociale ? Les médias publics eux par contre pourraient faire de l’éducation civique. Car leur ligne éditoriale dépend de l’État ! Cela dit, il est évident que les médias, en particulier la radio, jouent un rôle prépondérant dans la formation de l’opinion publique, et du climat social dans un pays.

 

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