Elle reconnaît n’avoir «pas fait trop le Bénin». Cela fait même partie des reproches à elle souvent adressés. Désormais l’artiste plurielle s’ouvre au public dans son atelier situé à Akogbato. Une trentaine d’œuvres de divers médiums attendent d’interagir avec les visiteurs du 19 mai au 9 juin prochain. De la photographie à la peinture acrylique sur toile en passant par l’installation et le collage, Sika da Silveira évoque « nos liens impalpables avec l’Univers, éloigné mais aussi celui qui nous habite et nous lie ».
Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
Dans le fond, Sika da Silveira s’oppose à la conception de l’Homme « maitre et possesseur » de la nature. Toute son œuvre est plaidoirie en faveur d’un rapport harmonieux entre chacun des éléments du cosmos. De façon figurative donc, la trentaine d’œuvres illustrent « l’équilibre de l’Homme par rapport à l’espace dans lequel il vit et il devrait apprendre à composer avec ».
L’artiste peint et défend des réalités tangibles, à commencer par les « arbres matures ». Le « vivant végétal » est omniprésent d’ailleurs dans les photographies aux titres évocateurs de la série ‘’Zounmabou’’ (la forêt ne disparaitra point). Sika da Silveira a foi, en effet, que ces arbres centenaires ont eu une vie et qu’ils « portent la mémoire de l’humanité ». Ce sont, assure-t-elle, « des arbres centenaires qui participent à notre équilibre. Lorsqu’on les détruit on tue l’équilibre de l’humanité. Donc c’est de rappeler que ce sont des êtres vivants qu’on tue, qu’on détruit ».
Cette position « protectrice » est davantage poussée dans l’unique installation au cœur de l’exposition : ‘’Les gardiens de la terre’’. Elle présente un ensemble de 41 sculptures dont 4 groupes de dix forment un cercle protecteur autour d’un élément cosmique. Il s’agit de l’air (abstrait), l’eau (jarre contenant le liquide), le feu (symbolisé par le charbon) et la terre (sable).
A propos d’eux, l’artiste recourt à la métaphore de ‘’fonctionnalités’’ « qui derrière soutiennent [la] présence [humaine] sur terre ». Terre, pas à appréhender ici comme « un constituant des quatre éléments ». La sémantique en présence est plutôt celle de l’univers englobant, cet « organisme vivant au sein duquel nous vivons et au sein duquel … il y a un élément vivant cosmique ». Erreur de penser alors, conclut l’artiste, que « nous les êtres humains …nous sommes seuls sur terre ».
«Au delà de l’impact climatique dont nous subissons déjà les conséquences, nous détruisons la Vie en détruisant les arbres matures-centenaires. Ces arbres, du fait de leurs expériences portent de grandes charges énergétiques, ils sont parfois des lieux de vie d’entités qui participent à notre équilibre et à celle de la terre. Ils portent la mémoire de l’humanité. Lorsque nous les détruisons, non seulement nous destructurons la terre et toutes les autres formes de vie sur terre et finalement nous créeons notre propre déséquilibre. La terre est notre point d’ancrage, nous sommes obligés d’apprendre à composer avec elle et toute la Vie qui est reliée à elle pour notre équilibre, autrement nous causons notre propre perte. Nous aspirons au bonheur mais nous oublions l’essentiel, le bonheur c’est l’harmonie avec La Vie, c’est le respect du Sacré !», écrit-elle sur Meta.
Si la cause écologique qui sous-tend l’art de Sika da Silveira n’est pas nouvelle, son œuvre a tout de même le mérite d’opérer un rappel vital. Dans l’ex Danxomè où le Vodun régit et régule le comportement social, la nature jouissait d’un respect.
« Historiquement, de nombreuses cultures ont reconnu des droits aux entités naturelles… On a cessé de reconnaître des droits à la nature assez tardivement dans l’histoire humaine : d’abord avec le mouvement des enclosures, c’est-à-dire l’appropriation privée des terres, puis avec l’industrialisation », explique le juriste spécialisée en droit de l’environnement Marine Calmet.
La prise de conscience ces dernières années suivie d’une flopée de discours pro-écologie n’a jamais empêché d’assister à l’hypocrisie lorsque des intérêts capitalistes sont en jeu. De sorte que l’artiste est dans un engagement tout à fait honorable lorsqu’elle martèle « l’effet destructeur » sur le capital naturel qui conditionne la vie sur terre.
Corps et âme
L’autre attraction chez la jeune plasticienne touche à la thématique des ”univers intérieurs”. Dans son entendement, cela embrasse la conscience, la maturité spirituelle. Ce qui exige un « travail sur soi » désigné par ‘’Elévation’’ dans l’exposition. Il permettra à l’Homme d’atteindre « la lumière » ou encore « ce qu’il y a de meilleur » en lui. Ce qui n’est pas à confondre à « du développement personnel ».
Sika da Silveira épouse aussi clairement le dualisme cartésien comme conception philosophique de l’Homme. « Nous ne sommes pas que corps », assène-t-elle. « Nous sommes plus que ça. Il faut qu’on se le dise. Si on peut avoir des émotions qui peuvent faire monter nos sens, si on peut avoir ces changements d’humeur, c’est qu’on n’est pas que physique ; on est beaucoup plus que ça. Il faut qu’on prenne conscience de ce qui vibre en nous, de cette énergie et cette vie qui vibre en nous ».
Cet autre état supra-physique ce sont les vibrations que même l’absence de mots n’efface pas. L’artiste plasticienne les imprime sur bien de peintures à première vue hermétiques. Le visiteur non averti pourrait ne voir que des traits ou oscillations insignifiants, comme dans ”L’incarné” (200cm x 150cm). Mais non : il est en face même de « manifestations énergétiques ». Entendu que «La vie est mouvement. Le jour où il n’y a plus de mouvement c’est la mort. C’est cette vie que je traduis. Ça bouge, ça descend, ce n’est pas plat ».
Complexité et génie
Imbriquer des sols ou paysages (argileux/granitique) à des figures humaines (silhouette d’Egun-goun) et des pagnes. Une « technique innovante » aux yeux du chercheur-anthropologue Sedjro Eclou. L’universitaire dans la peau de visiteur ce jour-là, avoue ne l’avoir jamais rencontrée auparavant.
« Je découvre un genre photographique auquel je n’étais pas habitué et que je trouve très atypique et très original aussi avec beaucoup de curiosité. Comment arrive-t-elle à faire l’alchimie entre le végétal, les pagnes et à dessiner les figures humaines, imbriquer à la fois ces différents règnes tout en les présentant en photographie ? On se demanderait si c’est de la peinture d’abord », interroge-t-il.
La complexité qu’exhalent alors les œuvres de Sika da Silveira, se comprend à l’aune de l’enchevêtrement ou interdépendance entre l’écosystème et l’Homme.
« En fait on est en plein dans la complexité qui relève à la fois du génie mais aussi de la technique qu’elle utilise et c’est l’expression aussi que ça dégage. Ce n’est pas que de la photographie ; c’est bien plus. C’est le côté qui m’a le plus intéressé. Je découvre en même temps que vous ou pas mais j’apprends, je me laisse imbiber par son œuvre et je dis qu’il y a un mérite et un intérêt à passer voir. J’ai l’impression, sans me méprendre ni avoir la prétention de connaître le monde de l’art j’avoue, que c’est la première fois que je vois ce type de présentation et j’ai l’impression que c’en est une innovation et que c’est prometteur », relève à juste titre Sedjro Eclou.
Sika da Silveira n’impose aucun « regard » au visiteur ; elle n’invite qu’à l’interaction avec sa pratique artistique si avertie, si élégante.
©Carlos SODOKPA
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