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Morènikè Idji

Morènikè Idji, au soin des victimes d’agression sexuelle

Par flat
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Magistrate rêvée, psychothérapeute à l’arrivée. Morènikè Idji a commué aujourd’hui le désir de défendre en la passion de prendre en charge des victimes d’agressions sexuelles. Rentrée du Canada où elle a effectué ses études universitaires et édifiée par le « travail social » dans ce pays d’Amérique du nord, Morènikè Idji a créé et dirige à Cotonou depuis 2020 Calas, un « Centre d’aide et de lutte contre les agressions sexuelles ». Portrait.

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON.

L’émergence, chez elle, de ce féminisme engagé et spécialisé a une histoire. Cette histoire est celle des adolescentes du Collège Notre Dame des apôtres de Cotonou, établissement qu’elle a fréquenté de la 6ème jusqu’en classe de Première en 2008. Elle raconte :

« J’ai observé dans cette école exclusivement réservée aux filles que certains professeurs abusaient sexuellement des filles… Ils vont s’attaquer à une fille et lui dire : « si tu ne sors pas avec moi tu n’auras pas de bonnes notes ». Quand la fille refuse, elle subit des insultes, elle est humiliée et finit par céder. Certains professeurs abusent de la vulnérabilité des filles qui sont peut-être issues de maisons instables et pour lesquelles le professeur devient une figure de refuge. Certaines vont ainsi courtiser leur professeur qui va accepter. Je pense que c’est une forme d’agression parce que le consentement n’est pas clair, il y a une position d’autorité. Ou c’est carrément des viols. La fille se rend chez le professeur pour des Td [travaux dirigés, ndlr], il la viole. Généralement quand la fille se plaint à l’administration, et même quand on sait que le professeur indexé est problématique les Sœurs avaient tendance à le couvrir ou à stigmatiser les filles : « si on t’agresse c’est que tu es responsable ou peut-être ton habillement » …donc la faute revenait toujours aux filles et au lieu qu’on sensibilise les professeurs, le message aux filles c’était « faites tout pour ne pas vous faire agresser ». Donc c’est ce qui m’a profondément choquée, ça a été le moment fondateur de ma vie où je me suis dit que je veux travailler avec les femmes marginalisées et surtout contre le harcèlement sexuel ».

Aujourd’hui encore, ce traitement persiste, déplore-t-elle. La société rejette le tort sur la victime sexuelle. A elle, on reproche de s’être mal habillée et donc, d’avoir provoqué délibérément l’homme. « Des messages qui prennent du temps à déconstruire et il nous faut une action constante », plaide-t-elle.

Au Canada, le « travail social » consiste à « intervenir auprès des populations les plus marginalisées ». Un travail sans rémunération qui fait d’eux « des professionnels du social » acquis à la réduction de la pauvreté et des inégalités. Malgré la citoyenneté canadienne en poche, Morènikè Idji est retournée au pays après des études en communication et science politique sanctionnées par un diplôme équivalent au Master I obtenu en 2013. Le désert d’associations féministes opérant dans la prise en charge l’a aussitôt interpellée. « Je me suis dit que cela manque au Bénin, une association de femme pour les femmes, féministe qui intervienne dans les agressions sexuelles non pas pour dénoncer uniquement mais pour la prise en charge de ces victimes ».

A travers le Calas, elle combat le système patriarcal tendant à « normaliser » les agressions sexuelles en dépit des lois. A cet effet, le Centre d’aide et de lutte contre les agressions sexuelles emploie deux méthodes stratégiques : la sensibilisation et la prise en charge. Au cours de la seule année 2023, son centre s’honore d’avoir édifié sur la question environ 412 personnes essentiellement en milieu scolaire. Le Centre envisage de couvrir tout le Bénin. Sa directrice nourrit la conviction que la dignité de la femme et le consentement en matière sexuelle doivent être inscrits dans la conscience des jeunes.

L’accompagnement proposé aux victimes par Calas est de deux ordres : psycho-social et juridique. Le premier consiste à aider la victime à « surmonter » et à « défaire » les conséquences des agressions sexuelles dans sa vie. A l’opposé de la « jouissance unilatérale » que s’offre le bourreau, la victime, elle, garde des marques chaudes. Au plan psychologique, l’Institut national de la santé du Québec a pu identifier chez des victimes, la nervosité, le sentiment de culpabilité, des symptômes de stress post-traumatique, l’isolement social, la perte de la confiance/estime de soi, des difficultés d’ordre sexuel, la peur de l’intimité… Des conséquences qui peuvent perdurer tout au cours de la vie et se poursuivre à travers les générations.

Au Calas et « Avec les victimes, nous travaillons ces conséquences et essayons de défaire tous ces problèmes par la psychothérapie », précise-t-elle. Les soins peuvent aller à des « exercices pratiques » aux discussions apaisantes : « on va parler et on va revenir sur sa vie, on va avoir une vision flexible de où elle en est, ce qu’elle veut et de petits exercices qu’elle fera. C’est une pratique féministe qui s’appuie sur la thérapie féministe aussi, qui consiste à avoir une vision sociale des problèmes psychologiques que rencontrent les femmes ».

Aucune des 15 femmes actuellement suivies au Calas n’a souhaité témoigner. En matière juridique, l’association offre les services d’un juriste aux femmes qui souhaitent une action judiciaire contre leurs bourreaux. Cet appui peut prendre la forme « de conseil juridique, comment écrire une plainte, quel avocat aller voir, comment ça va se passer à la cour. Il peut s’agir juste d’un renseignement : si je porte plainte, quelles sont les étapes. Nous offrons cet accompagnement. On peut aider la victime à écrire la plainte ou dans de rares cas vraiment avec leur consentement on va porter plainte à leur place ».

 

« Le fléau n’est pas à la baisse »

En plus de la création de l’Institut national de la femme (Inf), le Bénin a corsé en 2021 son arsenal juridique par l’adoption de la loi n°2021-11 du 20 décembre 2011 portant dispositions spéciales de répression des infractions commises en raison du sexe des personnes et de protection de la femme en République du Bénin. Les infractions à raison du sexe comprennent le harcèlement sexuel, les agressions sexuelles, le viol, le mariage précoce, le mariage forcé, les mutilations génitales féminines, les violences aggravées sur la femme ou la fille déjà prévues et réprimées dans la loi n°2011-26 du 9 janvier 2011 partant prévention et répression des violences faites aux femmes.

Le harcèlement sexuel est ainsi puni d’un emprisonnement pouvant aller d’un mois à deux ans et d’une amende de 500 000F à 1 000 000F (article 550 nouveau). Le viol (pénétration sexuelle sans consentement, par violence, menace, contrainte ou surprise) est tout aussi durement réprimé : les auteurs encourent la réclusion criminelle de cinq à dix ans et d’une amende de 500 000F à 2 000 000F (article 553 nouveau).

Ces avancées au plan législatif ne s’accompagnent pas de progrès social significatif, observe la présidente de Calas, Morènikè Idji. « Malheureusement le fléau n’est pas à la baisse », constate-t-elle. Elle diagnostique, comme cause, le faible pouvoir économique des associations de défense des droits de la femme. D’où le troisième axe des activités de Calas : plaidoyer pour plus de financement à dispositions des associations en vue de la prise en charge des victimes d’agression sexuelle.

Actuellement, « Le financement est très difficile à avoir et généralement c’est de projet en projet. Ces projets durent généralement un à deux ans et maximum 5 ans ». Ce mode ne permet pas, insiste-t-elle, d’ « avoir vraiment de changement quand on va de projet en projet. Il nous faut avoir un financement récurrent, qu’on sache que nous serons toujours financés pour faire les choses sur le long terme parce que c’est une problématique sociale, les agressions sexuelles ».

Morènikè Idji justifie son plaidoyer par le caractère onéreux de la prise en charge. « Le taux de femme en détresse qui n’ont pas où aller a augmenté et les associations n’ont plus de place pour les accueillir. Les maisons d’hébergement et le suivi demandent beaucoup d’argent et les associations sont peu financées. Dans ces cas, le fléau ne diminue pas », alerte Morènikè Idji.

 

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