Si l’offensive de la Cedeao aboutissait à la réinstallation au pouvoir du président du Niger Mohamed Bazoum, il va se poser la question de sa sécurité, prévient l’expert en gouvernance Joël Atayi-Guèdègbé. Entretien.
Journaliste : L’ultimatum d’une semaine donné aux putschistes a expiré dimanche. Quelle pourrait être la suite ?
Joël Atayi-Guèdègbé: Malgré ce qu’il peut laisser paraître, un ultimatum est modulable. Il peut être repoussé. Donc, disons que l’ultimatum d’une semaine donné par la Cedeao à la junte au pouvoir au Niger quoiqu’il arrive à expiration ce dimanche à minuit, a toutes les chances d’être prolongées. Il suffit déjà de voir que cet ultimatum s’est voulu plus court que celui de l’Union africaine qui est de 15 jours. Donc, l’un dans l’autre, le principe de réalité voudrait, comme l’observation de la situation incline à penser que d’une manière globale, l’ultimatum qu’on pourrait imposer à la junte au pouvoir au Niger risque de s’aligner beaucoup plus sur une plus longue période qui s’étend au moins sur ces de 15 jours fixés de son côté par l’Union africaine.
Maintenant, et malgré le refus de recevoir au plus haut niveau la médiation de la CEDEAO conduite par le général Abdulsalami Aboubakar du Nigéria avec le roi de Sokoto alors que le Chef de la junte tchadienne, missionné par l’UA, avait eu le privilège d’être reçu par son homologue nigérien et de pouvoir rencontrer le Président Bazoum, faut-il en déduire que le Chef de la junte nigérienne est plus préoccupés d’assurer l’unité et la cohésion de son équipée, sinon, exigerait de pouvoir être reçu et écouté par la conférence des chefs d’États de la CEDEAO ?
De part et d’autre, il conviendrait de décrypter au mieux les messages que chaque partie essaye de communiquer à travers les positions affichées et les intérêts cachés des différents protagonistes de la crise en cours. Et, sans que la désescalade soit déjà advenue du non recours à la force par la CEDEAO, elle aura tenté de donner le change par l’annonce d’un prochain sommet présentiel pour réévaluer sans doute son approche qui laisse sceptique plus d’un observateur pour l’instant. Outre la fermeture des frontières terrestres du Bénin et du Nigeria ainsi que la fermeture de l’espace aérien nigérien, l’on n’assiste pour l’instant qu’à une guerre des nerfs qui se manifeste avec les manifestations de soutien orchestrées de l’intérieur ou les marques de solidarité quasi agissante des voisins dirigés par une junte militaire
La Cedeao a probablement passé en revue ses instruments politiques. Cependant, en dehors des simulations de la Force dite en attente de la CEDEAO, personne n’a vu d’entrainement pour la cohésion des forces. Il s’agit quand-même d’une force multilatérale. Les variations sémantiques vont aider à gagner du temps à mieux circonscrire également la situation. L’un dans l’autre, les tractations souterraines au-delà des déclarations publiques c’est pour dire que la diplomatie souterraine continuera ses œuvres. Au finish, il y a toujours lieu de considérer que la doctrine recommande de toute façon que le recours à la force ne soit le moyen ultime de parvenir à des fins politiques qu’on a énoncées.
Quelles pourraient être les conséquences d’une intervention militaire au Niger ?
Le premier risque, c’est celui des pertes en vies humaines acceptables pour chaque opinion publique s’agissant des détachements militaires, des populations civiles, sans oublier particulièrement l’intégrité physique de l’acteur central qu’est dans cette affaire le président Bazoum. Les forces armées à engager pourraient-elles intervenir à travers des commandos suffisamment entrainés pour mener des opérations chirurgicales de ce type-là ?
Attendons de voir. Il ne faut pas non plus présumer que le corps social nigérien, voire les voisins favorables à la junte au pouvoir resteraient sans agir, sans représailles, sans d’importants dégâts collatéraux pouvant aller jusqu’à des règlements de compte intracommunautaires au Niger comme dans les pays conduisant l’attaque militaire de la CEDEAO qui voudrait édulcorer cette guerre de fait en opération de libération d’un Chef d’État pris en otage par l’armée censée le protéger
Au plan économique, les sanctions édictées par la Cedeao auront leur part d’effets de manière certaine et structurellement sur la gestion de la dette du Niger sur la mise à disposition de liquidités par la Bceao de facilités de crédit dans les échanges de tous les jours.
Entre les populations elles-mêmes, forcément, il y aura davantage de difficultés. C’est évident que les commandes du Niger vont être bloquées dans les ports de ses voisins côtiers, notamment à Cotonou.. Donc une perturbation des circuits économiques Si bien qu’au plan particulier des échanges commerciaux relations entre le Bénin et le Niger, cela ne peut qu’être un coup d’arrêt à la coopération, voire de l’intégration économique voulue au plan institutionnel entre les deux Etats.
Par exemple, pour le bénéfice de l’accord du MCC (Millénium challenge corporation) permettant au Bénin et au Niger de jouir d’importants investissements américains pour je crois 80 kilomètres d’autoroute pour le Bénin (de Bohicon à Dassa) puis 123 kilomètres du côté du Niger. Il va s’en dire que ce sera aussi un frein. Il y a l’oléoduc d’évacuation du pétrole nigérien qui est en jeu entre le Bénin et le Niger. Entre les deux pays, nous avons les spéculations agricoles. Qu’on songe juste seulement à l’oignon, à la pomme de terre….
Quelle est la solution idéale dans cette situation ?
Entre, d’une part, la situation de fait générée par la mise entre parenthèses de la légalité constitutionnelle qui valait à peine une solide légitimité du régime renversé et, d’autre part, un dialogue de bon aloi pour retrouver un accord a minima sur les causes profondes et non affichées de la crise en cours, il y a moyen de reléguer au vestiaire le discours belliqueux de la politique de la canonnière dont la CEDEAO n’a point une capacité qui en imposerait de manière endogène et credible dans le cas présent. En réalité et par le passé, la Cedeao a tenté par le passé de s’accommoder de ces interruptions de l’ordre constitutionnel en enjoignant à ces pouvoirs non légitimes de ne pas aller au-delà d’un délai raisonnable pour réorganiser les élections afin d’assurer la dévolution du pouvoir politique par les urnes. Il n’existe pas rigoureusement des précédents au niveau de la Cedeao d’une riposte à un coup d’Etat. En Gambie, la dernière intervention en date de la Cedeao a consisté plutôt à enjoindre au président Yaya Jammeh de reconnaitre les résultats d’une élection qu’il venait de perdre. Et donc de débarrasser le plancher au profit de son challenger qui avait gagné.
Un peu plus loin par le passé, en Guinée Bissau, il s’est plus agi d’une force d’interposition, d’une force de maintien de la paix pour favoriser la stabilité institutionnelle, le retour à l’ordre constitutionnel du pays et la pacification de la vie politique. Plus encore en Sierra Leone, au Libéria, les interventions initiales de la Cedeao sous la bannière de l’Ecomog et particulièrement avec le corps expéditionnaire du Nigéria n’étaient pas de même nature. C’était une intervention dans une guerre civile lavée, pour stabiliser le pays.
Aujourd’hui, il s’agit de pouvoir riposter à un coup d’Etat avec des troupes étrangères au pays en crise.. Si la Cedeao ne démontre pas de manière prompte et dans un délai raisonnable, si elle n’est pas capable d’intervenir sans la collaboration, le soutien actif de puissances étrangères à l’Afrique de l’ouest et à l’Afrique tout court, il va sans dire que c’est fondamentalement à travers la voie du dialogue qu’on pourrait créer durablement les modalités de cohabitation, de prise en compte de la rupture de facto de l’ordre constitutionnel intervenue au Niger.
Que le président Bazoum concède son éviction du pouvoir par une démission ou pas, plus rien ne pourrait être comme avant. S’il était remis au pouvoir, il n’y aurait aucune chance de retour au statut quo ante et il est notamment évident que la question de sa sécurité resterait toujours en suspens pour les 3 ans qui restent jusqu’à la fin de son mandat. Faudrait-il qu’il compte sur un corps expéditionnaire pour le garder alors que, manifestement, l’ensemble de l’armée nigérienne ne semble plus pouvoir s’accommoder des libertés vexatoires pour le moral des forces d qu’il s’est octroyés dans le cadre de la lutte antiterroriste ?
Mais, il ne faut désespérer qu’un compromis puisse être trouvé pour permettre au Niger de se relancer. Cela pourrait prendre la forme d’une transition concertée, arrêtée pour définir les nouvelles modalités de partage du pouvoir et de partage des rôles ; principalement, ceux des militaires puisque au-delà des questions démocratiques, des questions institutionnelles, il y a fondamentalement la question de la sécurité au Niger avec la menace terroriste à laquelle la Cedeao tarde ou a été incapable d’apporter quelque réponse que ce soit depuis 2012 au Mali et plus tard au Burkina Faso
Quel impact la situation qui se développe actuellement autour du Niger peut-elle avoir sur la lutte contre le terrorisme au Sahel ?
Aux conséquences à entrevoir d’une intervention militaire, J’ajouterais volontiers le risque que les terroristes de l’ensemble du Sahel et du nord des pays côtiers ne profitent de la concentration des forces des juntes sahéliennes et de la coalition de la Cedeao sur Niamey pour mieux se disperser, s’infiltrer entre les lignes pour avancer inexorablement leurs tentacules sur le terrain, !notamment en direction des côtes du Golfe de Guinée
Concrètement, le Bénin ne pourrait que voir s’annuler les gains obtenus sous la remarquable initiative du président Talon de conclure avec le Niger et le Burkina un droit de 6vz des terroristes dans ces pays.
En continuant de souhaiter la meilleure inspiration possible à nos décideurs, confrontés au tragique de l’action, convenons face à cette crise qu’il n’est pas inutile de
let’s wait and see !
BIP radio avec Bénin Intelligent
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