Après la liesse au Baccalauréat, les nouveaux étudiants sont confus. Quelle filière choisir pour quel métier ? Une question à laquelle il aurait fallu répondre des années auparavant. Mais aujourd’hui, ils ont encore une chance à condition d’être bien orienté dans leur choix, pense le président du comité d’organisation du Salon nationale de l’orientation professionnelle et de l’inclusion financière (Sanopif), Armel Allavo.
Propos recueillis par Sêdaminou Béni AGBAYAHOUN
Bénin Intelligent : Traditionnellement au Bénin, on pense à l’orientation professionnelle après le Baccalauréat. Ne pensez-vous pas qu’il est un peu tard pour s’orienter ? Et que faut-il faire selon vous ?
Armel Allavo : Je suis d’accord avec vous parce que malheureusement chez nous, c’est après le Bac que les nouveaux bacheliers se posent la question de savoir quoi faire. Alors qu’ailleurs c’est déjà depuis le primaire ou le secondaire que le jeune apprenant est suivi pour faire un choix compte tenu de ses aspirations et de l’évolution du marché. Mais chez nous, c’est après le Bac que la question se pose. Parce que les gens se disent que maintenant, je suis face à mon destin. Quelle filière dois-je faire pour après, travailler dans quel domaine ?
Nous, on estime qu’il y a urgence. Ceux qui ont le Baccalauréat constituent pour nous des personnes beaucoup plus vulnérables face aux questions de choix de formation. L’urgence est que les nouveaux bacheliers sont beaucoup plus exposés. Si on ne les oriente pas maintenant sur les métiers d’avenir, s’ils opèrent le choix, cela impactera toute leur vie. C’est pour cela que le Sanopif [Salon national de l’orientation professionnelle et de l’inclusion financière, ndlr] a été créé pour accompagner les jeunes qui sont dans une formation ou qui veulent choisir une formation.
Je suppose qu’au cours de votre cursus scolaire, on n’est pas arrivé à vous orienter, vous avez encore une chance de vous retrouver après le baccalauréat, à faire un choix. Mais lorsque vous loupez le choix après le Baccalauréat, ce n’est pas évident que vous ayez encore une autre chance. L’autre chance, c’est que vous changez carrément de filière donc vous auriez déjà à perdre beaucoup de temps.
Voilà pourquoi je suis d’accord avec vous. Mais voilà les habitudes chez nous. Personne ne pense à l’orientation pendant le cursus à l’école ou au collège. Et quand vous en parlez avec certains parents, voire même certains directeurs de collèges, ils vous disent que la priorité c’est que l’enfant ait de bonnes notes pour passer en classe supérieure.
Je me souviens, dans le cadre de nos actions de terrain, certains directeurs de collèges nous ont carrément dit : ‘‘on ne peut même pas vous permettre d’échanger avec nos apprenants parce que pour l’instant chez nous, c’est comment faire le résultat qui nous préoccupe’’. Ce qui a fait qu’aujourd’hui on ne se consacre qu’à l’orientation professionnelle de ceux qui ont eu le Baccalauréat ou ceux qui se sont déjà inscrits dans les filières, qui sont déjà dans le parcours de formations à l’université qui ne sont pas adaptées à leur vision et qui reviennent sur leurs pas pour opérer un nouveau choix. On parle de réorientation pour ceux-là qui se sont perdus et rebroussent chemin.
Quel est le moment idéal pour orienter un enfant ?
Je pense que déjà, on peut commencer par orienter un enfant depuis la maternelle ou le primaire. Parce que ça dépend des aptitudes que l’enfant développe. Si vous, parent, suivant les aptitudes développées par l’enfant, vous voyez qu’il y a un certain nombre de capacités qu’on peut cultiver en lui, vous pouvez commencer par l’orienter. L’orientation commence par là.
Un enfant qui démonte sa moto ou son vélo, on peut pousser la curiosité pour voir ce qui l’amène à faire cela. Ça peut ne pas être forcément qu’il veut devenir mécanicien ou électronicien, mais il faut le suivre afin d’identifier les capacités qu’il développe et travailler à cultiver ces capacités en lui. On peut par exemple lui acheter des documents et voir comment il réagit face à ces documents.
On peut également s’appuyer sur les thématiques des programmes qu’il aime suivre, ce qu’il aime faire pour l’orienter. Il faut aussi prendre en compte le développement de l’économie. Les compétences qu’on va rechercher d’ici 15 ans, c’est peut-être aujourd’hui qu’il faut commencer par en parler. On peut aussi faire une analyse prospective pour voir l’évolution des choses, comment elles pourraient se développer pour pouvoir bien orienter les enfants, les positionner sur quelque chose qui peut-être se fait déjà aujourd’hui, mais qui pourrait se développer demain.
Quels sont les autres facteurs qui pourraient déterminer le choix d’un secteur de formation pour un enfant ou apprenant ?
J’ai parlé des capacités intrinsèques de l’enfant, l’écosystème, les besoins du marché, le développement de l’économie. Mais il ne faut pas oublier que l’enfant peut avoir aussi des ambitions. C’est un élément important. Si l’enfant a une ambition animée par une passion, il va naturellement travailler pour ça.
Il faut aussi dire dans notre contexte, il y a les parents qui jouent également un rôle important. Le parent peut avoir les moyens et ne pas vouloir que l’enfant fasse telle ou telle formation. Il faut que les parents mettent les moyens à la disposition de l’enfant. C’est pour ça qu’il faut planifier et en planifiant, il faut se faire accompagner par les parents. Ça peut ne pas être les géniteurs. Mais qui que ce soit, il faut que la vision soit claire.
Il faut aussi que les apprenants sachent vendre leur projet professionnel aux parents. Si tu as un projet et que tu veux que les parents te soutiennent dans ça, il faut savoir les convaincre. Il faut les convaincre d’accepter ton choix pour qu’ils investissent dans ce choix.
Donc comme éléments pour orienter, il y a la capacité intrinsèque, donc les aptitudes, il y a la passion, la volonté, l’ambition, il y a les besoins du marché, mais il y a aussi l’accompagnement des parents. Si tous ces éléments sont au rendez-vous, je pense qu’on ne peut plus se tromper de chemin.
Au-delà de l’accompagnement financier des parents, est ce que ces derniers ont un autre rôle à jouer dans l’orientation professionnelle de l’apprenant ?
L’autre rôle serait de demander à l’enfant de participer à des activités qui lui permettront de découvrir les innovations dans le monde de façon générale. Ce qui peut déclencher en lui un déclic qui peut le motiver à faire autre chose ou revoir son projet. Sinon s’il reste seul dans son coin pour penser que telle chose pourrait être intéressante pour lui, peut être que sur le marché c’est carrément autre chose. Donc l’accompagner, c’est aussi le motiver, l’encourager à participer à des activités qui touchent à l’orientation qui peuvent lui donner de nouvelles idées.
L’accompagnement des parents, ce n’est pas de choisir une formation pour l’enfant. Parfois on entend ‘‘on n’a pas de médecin dans la famille, donc il faut que tu fasses la médecine’’. Parfois les parents veulent que l’enfant soit le prolongement de leurs rêves. On a déjà connu ce cas de figure. Ce qui n’a pas forcément fait ses preuves.
Les parents sont censés accompagner les enfants, tant sur le plan financier que sur le plan moral. Mais lorsque que le choix de l’enfant dépasse les moyens des parents, est-ce que l’enfant doit abandonner son rêve ?
Je dirai que non. L’enfant ne doit pas oublier son rêve. Ce que je conseille est que l’enfant fasse suivant les moyens de ses parents tout en ayant dans un coin de sa tête qu’il veut faire telle chose. L’autre solution c’est que l’apprenant peut aussi faire un job qui va lui permettre d’épargner et de réaliser ses rêves.
Par ailleurs, il y aujourd’hui des plateformes qui offrent des bourses donc il peut soumettre à des bourses d’études. Il y a également des plateformes qui permettent de suivre également des formations gratuitement à distance. Et donc suivant un plan professionnel, l’apprenant franchit pas à pas les étapes jusqu’à atteindre son rêve.
Donc je pense qu’il ne peut pas abandonner son rêve ; parce que quand vous avez un rêve, c’est que derrière, vous avez une passion. Et là, il faut planifier parce que les rêves ne se réalisent pas tant que vous ne vous fixez pas des objectifs réalistes. Quand vous avez un rêve et que vous le déclinez en objectifs réalistes, vous arrivez toujours à l’atteindre.
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