Sous le soleil acéré de ce samedi 21 octobre, une solennité religieuse Vodun a fait l’événement dans le village de Houawé Wangnassa. Démarrée des jours plus tôt, la cérémonie a fait se masser sur la place publique ”honto” non loin du palais du roi Dako Donou, quelques cinq cent personnes, de tous les âges. D’Abomey à Lissezoun en passant par Sèhouè, Allada et au-delà, des délégations d’autres couvents se sont jointes. Une dizaine de ”bonnes dames” a donc trouvé en cette mobilisation compacte, une opportunité d’affaires.
Au centre du cercle des spectateurs avides de sensations, les yeux se régalent des percussions polyrythmiques sacrées sur lesquelles les adeptes richement parés offrent des cadences spectaculaires. L’admiration est davantage montée en flèche lorsqu’autour de 16h, le public découvre parmi les vodunsi internés, un certain Baba Avimadjènon, plus connu à l’état civil comme… professeur Dodji Amouzouvi.
Loin des amphithéâtres où il aime à faire pâmer de sociologie (religieuse), Baba Avimadjènon sort à reculons. Regard hagard, deux fils de perles sur la poitrine et autour du cou, le corps huilé dans lequel se mire gaiement l’astre incandescent. «Le professeur Dodji dans un ”état vodun” ?» Les images exclusives prises par le reporter du quotidien Bénin Intelligent ont marqué les esprits. Elles paraissent mêmes surréalistes pour certains. «Un grand professeur comme celui-là dans cet état !» s’exclame madame Nobimè à court de mots.
Imposant par sa stature, Dodji Amouzouvi (dans sa version religieuse) peine à passer inaperçu au milieu des plus jeunes fidèles. Mais pas de considérations d’ordre socioprofessionnel. Il s’empare tout comme les autres d’un mouton sacrificiel, fait les nombreux tours autour des percussionnistes et exécute élégamment des pas de danse. C’est le clou ! Le peuple surexcité agrée la performance par des ovations nourries. Le moment leur paraît particulièrement édifiant et inédit.
Jusque-là, la liturgie est encore loin de s’épuiser. Une autre partie symbolique captive : les vodunsi se rapprochent de la foule. Le sang du mouton sacrifié est alors prisé des dignitaires : ils y introduisent le doigt et exécutent, ensuite un geste autour de la tête, compréhensible aux seuls initiés.
Le professeur Dodji Amouzouvi fidèle du Vodun, cela n’était occulte pour personne. Ce «choix identitaire», il le professe, le vit et l’assume publiquement et intellectuellement sous le titre de consécration «Baba Avimadjènon». L’extase était donc de le voir en ”situation réelle” et rituelle, où le «Dodji Amouzouvi» dans son état séculier cédait au “Dodji Amouzouvi” personnification même de la déité Avimadjè (de l’ordre de Sakpata). Celle-ci, traduisent les sachant, a littéralement «utilisé son corps pour apparaître ». Autrement, «le Vodun esprit se fait chair», résume Baba Azilèmè Hounnivè à propos de cette impérieuse démarcation.
«Je ne suis plus un fidèle dans le Sakpata mais un Seigneur»
La cérémonie à laquelle le professeur Dodji Amouzouvi s’est soumis, a un sens. «Le rituel confirme, légitime et renforce mon pontificat dans la déité Sakpata. Beaucoup le passent de manière symbolique. Moi je l’ai fait réellement, ce qui augmente la côte et la grâce qui vont avec. Ça parachève le parcours… Je ne suis plus un fidèle dans le sakpata mais un Seigneur », expliquera-t-il bien plus tard à Bénin Intelligent.
Le fallait-il encore aujourd’hui ? Dans un Bénin où le Vodun traîne encore des stéréotypes malveillants hérités des missionnaires et ethnologues européens, le geste de Dodji Amouzouvi passe pour audacieux voire clivant. «Un intellectuel qui s’enracine dans notre héritage, on ne peut que dire de celui-là qu’il est un intellectuel plein. Les intellectuels dont nous avons besoin aujourd’hui doivent être des intellectuels enracinés dans les réalités africaines», commente pour Bénin Intelligent, le dignitaire Baba Azilèmè Hounnivè.
En commentaire à la photo de la cérémonie sous une publication de Bénin Intelligent, le nommé Gilchrist Z. a tôt fait d’adresser au professeur Dodji Amouzouvi un «Message de mon Seigneur [Jésus-Christ] : «La loi concernant les sacrifices et les rites est changée parce qu’elle est devenue un canal de scandale. Chaque chose a son temps…» Autrement, selon cet internaute chrétien, le Vodun serait une spiritualité dépassée.
Mais, non ! Dodji Amouzouvi engrange plus d’admirations que de critiques. «Bravo et félicitations cher professeur et ami. Le moment est venu pour qu’on ait plus honte de notre culture et de notre patrimoine culturel matériel et immatériel qui constituent la source première de l’identification et du développement durable des communautés africaines» lui adresse à contrario Marcel Zounon, directeur de l’Ensemble Artistique national du Bénin.
«Nous avons aujourd’hui la responsabilité de revisiter nos pratiques et de les adapter aux réalités de notre époque pour assurer leur contribution au rayonnement des communautés. Ceci nous permettra de réécrire l’histoire de la vraie religion africaine et de proposer au reste du monde le tourisme religieux basé sur le Vodun comme le prône aujourd’hui le gouvernement du président Patrice Talon que nous remercions au passage», souligne-t-il.
Le chef de l’État a d’ailleurs nommé, dans un décret en date du 13 septembre, Dodji Amouzouvi au Comité des rites Vodun chargé de contribuer à la labellisation des rites, cérémonies et pratiques des couvents du Vodun dans le cadre de leur mise en tourisme.
Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
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