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Komlan Avoulete, analyste en relations internationales : « Un seul pays ou groupe de pays isolés ne peut faire face au terrorisme seul dans son coin »

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
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Malgré la remise en cause croissante de la diplomatie militaire de la France au Sahel, l’analyste Komlan Avoulete, juge inéluctable l’implication de la coopération internationale dans une lutte antiterroriste.

Propos recueillis par Arnauld KASSOUIN

Au-delà des résolutions des Nations-Unies en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme au Sahel, quelle analyse peut-on faire de l’efficacité de la coopération internationale dans la crise sahélienne ?

Je dirai tout d’abord que, dans la lutte contre le terrorisme, le Sahel a été et continue d’être un centre de coopération entre les pays de la région, des organisations internationales, des acteurs non-étatiques et des partenaires occidentaux pour lutter contre des groupes jihadistes et des bandes organisées de trafiquants qui tuent et terrorisent les populations tout en déstabilisant la région.

Les pays du G5 Sahel avec leurs partenaires de l’Opération Barkhane, la Minusma, la force Européenne Takuba Task Force, et plus récemment les Russes du groupe Wagner, par exemple, ont globalement joué un rôle important dans cette lutte contre le terrorisme à travers cette coopération internationale, qu’elle soit bilatérale ou multilatérale.

Cette coopération a permis de lutter contre des entités terroristes et de renforcer la capacité militaire des pays de la région. Par exemple, on peut citer les cas du Mali avec l’apport des mercenaires du groupe Wagner à la formation de l’armée malienne et la fourniture des équipements militaires russes et le Niger qui était considéré par les Américains comme un partenaire essentiel dans la lutte contre l’extrémisme dans la région.

D’autre part, les évènements récents survenus dans les dernières années dans la région comme les coups d’états au Mali, Burkina Faso, et Niger ont créé des tensions entre d’un côté les nouveaux gouvernants et leur population, et de l’autre côté, des partenaires occidentaux notamment la France. La conséquence est double. La première est le départ de certaines forces occidentales et de l’Onu de certains pays sahéliens affectés ; ce qui met fin non seulement à leurs opérations anti-terroristes et de soutien aux armées locales mais aussi à la pression militaire contre les groupes armés de la région.

La seconde est l’aggravation de la situation sécuritaire dans la région par le vide que ces départs ont entrainé. Avec moins de présence militaire sur le terrain, les entités terroristes ont eu le champ libre d’intensifier leurs actions en causant entre autres la mort de soldats, des crimes sur les populations civiles et l’élargissement de leur zone d’influence.

Au vu de tout ceci, il est certain de dire que la coopération internationale, même si elle a eu quelques victoires, n’a pas donné les résultats escomptés que ce soit sur les plan sécuritaire, humanitaire ou politique. Ceci n’est pas seulement dû aux changements de régimes et leurs conséquences mais aussi aux différentes motivations qui animent les acteurs externes impliquées dans cette lutte.

De la relation très tendue entre les nouvelles autorités des pays sahéliens et la plupart de leurs partenaires étrangers, pensez-vous que la coopération internationale ait encore un rôle important à jouer dans la lutte contre le terrorisme au Sahel ?

Dans un de ces discours au sommet arabe islamo-américain en Mai 2017, l’ancien Président Américain Donald Trump disais ceci « Il ne peut y avoir de coexistence avec une telle violence. Elle ne peut être tolérée, acceptée, excusée ni ignorée. Chaque fois qu’un terroriste assassine un innocent en invoquant faussement le nom de Dieu, chaque croyant devrait se sentir insultée. Les terroristes ne vénèrent pas Dieu, ils vénèrent la mort.

Si nous n’agissons pas pour contrer cette terreur organisée, nous savons ce qui se produira, et nous savons quel sera le résultat final. » On peut reprocher beaucoup à ce président mais il a compris l’importance de s’unir pour lutter contre cette idéologie qui sème la mort partout où elle passe.

Le terrorisme est un phénomène mondial et un seul pays ou groupe de pays isolés ne peut y faire face seul dans son coin. Les terroristes combattent sur de nombreux fronts avec la même idéologie. Par exemple, de nombreux groupes islamistes sur le continent Africain comme les Forces démocratiques alliées (Adf) en Ouganda et en République Démocratique du Congo, L’État islamique en Afrique de l’Ouest, Boko Haram au Nigeria, et Ansar al-sunna au Mozambique ont prêté allégeance à l’État Islamique en Iraq et en Syrie.

Donc combattre ces groupes demande une coopération internationale et d’important moyens qu’un seul pays surtout Africain n’a pas. D’où une absolue nécessité de coopérer et collaborer avec des partenaires fiables qu’ils soient Africains, Occidentaux, Asiatiques ou autres. Les pays du Sahel malgré la détermination de ces leaders, une détermination qui est louable pour protéger leur population et l’intégrité de leur pays, ne peuvent combattre ces groupes seuls. Il va falloir impliquer des pays frères et amis qui ont des moyens sécuritaires considérables et qui veulent jouer un important rôle dans cette lutte.

La Charte du Liptako-Gourma instituant l’Alliance des États du Sahel (Aes) ayant pour objectif d’établir une architecture de défense collective et d’assistance mutuelle au bénéfice de nos populations est plus qu’un bon début.

Mais la discorde actuelle au sein de la CEDEAO créée par un problème de coups d’État et les tensions entre les nouvelles autorités des pays sahéliens et des partenaires étrangers surtout occidentales profitent aux terroristes. Il faut toutefois rappeler que la coopération internationale ne se résume pas à une coopération avec les pays occidentaux comme la France ou les pays Européens.

Pour lutter contre le terrorisme dans le Sahel, les pays sahéliens peuvent et le font déjà en s’appuyant sur d’autres partenaires qu’ils jugent importants dans leur stratégie sécuritaire comme la Russie, la Turquie ou la Chine. Le terrorisme islamiste c’est comme un cancer. S’il vous attaque, c’est difficile à guérir et ce sera un combat de tous les jours. C’est pour cela que les pays du Golfe de Guinée au lieu de jouer à la politique politicienne doivent tout faire pour ne pas laisser un centimètre de leur territoire à aucun groupe terroriste. Ils doivent aussi coopérer et supporter leurs frères du Sahel afin d’éviter une contagion généralisée du cancer dans la région. Il n’y aura pas de victoire sans une coopération internationale avec des partenaires qui ont la même vision et objective que les pays sahéliens dans cette lutte.

Qu’est-ce qui expliquerait selon vous la durabilité du conflit entre les groupes armés terroristes et les armées des États du Sahel ?

Comme je l’ai dit dans ma réponse précédente, il est difficile d’avoir une victoire rapide et claire sur le terrorisme de surcroit islamiste et djihadiste. Les Américains et leurs alliés ont passé 20 ans en Afghanistan pour éradiquer les Talibans sans y parvenir. L’Israël a essayé d’annihiler le Hamas pendant plus de deux décennies mais ils sont toujours actifs and puissants, tout comme Al-Qaida qui toujours présent dans de nombreux pays au Moyen-Orient et en Afrique. Au Sahel, plusieurs facteurs jouent sur la durabilité de la guerre.

Parmi eux, on peut citer la multitude des groupes terroristes, extrémistes, rebelles et trafiquants de tous genres opérant dans la région et qui parfois se battent entre eux,  la non-contrôle totale des autorités sahéliennes sur leur territoire géographique, la lutte pour le contrôle de terres et des ressources, les tensions ethniques, religieuses et politiques, des forces externes créant et profitant de la déstabilisation de la région, le manque de moyens adéquats des autorités du Sahel dans la lutte contre le terrorisme. On parle ici de nombre suffisant de soldats très aguerris avec des équipements modernes, un service d’intelligence performant avec des collectes de données satellitaires, des drones de surveillance et des armes de précision. Tous ces exemples feront que la lutte contre le terrorisme va durer très longtemps.

D’où l’absolue nécessité de la coopération internationale pour réduire d‘influence de ces groupes terroristes puis essayer de les anéantir. Loin de moi l’idée de décevoir vos lecteurs mais il n’y aura pas une victoire totale contre le terrorisme dans le Sahel dans les 5 ou 8 ans à venir. Les conditions ne sont pas encore réunies.

Il y a la détermination des nouvelles autorités, la majeure partie de la population les soutiennent, de nouveaux accords stratégiques se nouent avec de nouveaux partenaires mais ce sont des états économiquement faibles minés par des problèmes sociaux immenses, les groupes terroristes se sont enracines dans la région et les attaques augmentent (les actes terroristes ont augmenté de 7% par rapport à l’année passée selon le Global Terrorism Index 2023), et surtout le sabotage diplomatique and financier orchestrée par certains pays due aux changement de régimes survenus dans ces pays. La lutte sera longue, mais espérons que le jour se lèvera très vite pour eux.

Face aux innovations technologiques qui bouleversent la diplomatie militaire de l’Occident au Sahel, que doivent préconiser les États dans leur résistance face à la menace sécuritaire ?

Beaucoup d’analytes et d’études montrent que la fermeture des bases militaires notamment françaises ont eu pour conséquence la recrudescence des attaques terroristes. Pour d’autres observateurs, la présence de ces bases dans des pays africains est la preuve du néocolonialisme et la continuation de l’influence malsaine française dans ces pays et sur le continent Africain.

Le problème n’est pas la présence des bases elles-mêmes mais l’attitude des dirigeants ici Français à l’égard de ces pays et de leur population pendant des décennies, le sentiment anti-Français dans la région et le soutien de la France à des groupes terroristes selon le gouvernement Malien, entre autres, qui ont amené les nouvelles autorités de certains pays du Sahel à demander la fermeture de ces bases, le départ des soldats et dénoncer les anciens accords militaires.

Vous savez, on va à la guerre avec des amis sur qui on peut compter, si ces pays pensent que la France ou d’autres pays n’en est pas un, ils ont le droit de demander leur départ. Le contre-exemple est que le Niger n’a pas demandé aux Américains de fermer leurs bases, Air Base 101 près de Niamey ou Air Base 201 à Agadez. Les Américains continueront à soutenir le Niger, officiellement ou officieusement, tant que leurs bases sur le sol nigérien.

D’une manière générale, la fermeture des bases a eu pour conséquence le relâchement de la pression militaire sur les djihadistes, et cela crée en eux une envie de multiplier les attaques terroristes contre les soldats locaux qui sont souvent moins entrainés, moins outillés et manquent souvent de soutien aérien massif et de coordination quand ils sont attaqués. L’augmentation des guet-apens au Mali fait de nombreuses victimes. L’un des exemples récents est l’embuscade des militants islamistes du groupe État islamique qui a visé un convoi militaire escortant des camions vers le Niger dans la région de Ménaka, au nord du Mali, causant la mort de 7 soldats maliens.

Ces pays savent les conséquences de leurs décisions de fermer ces bases militaires. Ils ont développé de nouvelles stratégies sécuritaires avec de nouveaux partenaires. Le Mali et le Burkina Faso ont choisi de privilégier leur relation avec la Russie aux détriments de la France tout en ouvrant la porte a d’autres partenaires. Mais comme dit auparavant, la lutte contre le terrorisme est un long chemin de croix que seuls ceux qui sont déterminés et qui ont une vision commune sans mesquinerie peuvent oser la gagner.

Avec ou sans bases militaires, les pays du Sahel même de la côte Ouest Africaine doivent privilégier une coopération étroite avec des partenaires étrangers digne de confiance, une entente claire entre tous les forces militaires, politiques, religieuses et civiles de leur pays, investir dans la formation militaire et technique de leur armées,  acquérir de équipements de guerre modernes et sophistiques et surtout traiter les soldats dignement avant et après leur mort, ce qui souvent arrive, pour que leur sacrifice ne soit pas vaine.

Entre la coopération internationale et régionale, laquelle doit primer sur l’autre dans la lutte antiterroriste au Sahel ?

C’est une question intéressante. Si je me rappelle bien, on dit au Togo que beaucoup de viandes ne gâtent pas la qualité d’une sauce.  Dans l’état actuel des choses, les deux types de coopération sont nécessaires et indispensables. La lutte antiterroriste dans le Sahel revêt une importance existentielle pour les pays du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest mais c’est aussi une obligation pour les autres pays d’Afrique et du monde qui ont soit des intérêts stratégiques dans la région ou qui veulent éviter de subir les conséquences.

L’exode massif des populations de ces régions vers d’autres pays d’Afrique et/ou d’Europe cause une instabilité et des conflits entre populations autochtones and immigrés dans ces pays d’accueil ou l’importation d’éléments terroristes, par exemple. La Charte du Liptako-Gourma entre le Mali, Burkina Faso et Niger est très cruciale dans l’édification d’une stratégie de défense collective contre le terrorisme dans le Sahel. Mais elle ne peut réellement produire un résultat efficace que si les autres pays de la région s’y intéressent et collaborent avec les pays signataires.

En plus, sur le plan international, la coopération est nécessaire avec d’autres pays si les pays du Sahel veulent un jour se débarrasser du mal terroriste. L’apport des Etats-Unis, la Turquie, Chine et Russes, par exemple, dans la formation de nombreux soldats de la région, le don des équipements militaires modernes et leur soutien financier et diplomatique sont nécessaires dans cette lutte. Les autorités de cette région doivent privilégier toute sorte de coopération internationale y compris la coopération de gouvernement à gouvernement, les programmes conjoints de défense et les processus régionaux, partenariats de gouvernement aux entités non-étatiques, y compris les partenariats public-privé, les modèles de coopération de ville à ville et l’engagement de la diaspora.

Pour finir j’aimerais dire que les pays côtiers de l’Afrique de Ouest qui ne sont pas ou rarement impactés par les attaques terroristes doivent mettre l’intérêt national et régional devant toutes sortes de stratagèmes politiques. Pour Julien Freund, le sens politique se reconnaît à la capacité d’envisager le pire. Il dit : « En politique, il faut envisager, non pas le mieux, mais le pire, pour que ce pire ne se produise pas, pour que l’on se donne les moyens de le combattre ».

Si ces pays et leurs leaders ne veulent pas devenir dans quelques années le paradis des terroristes, il va falloir envisager le pire et commencer vraiment prendre des mesures et adopter des reformes pour le tuer dans l’œuf. Et ses mesures et reformes seront d’ordre démocratique, sociale et économique, de cohésion entre les religions et populations, sécuritaire dans une vision commune sur leur projet de société qu’ils veulent construire dans leur pays et dans la région. C’est un grand chantier qui peut se réaliser s’il y a la volonté politique et si on met le bien peuple avant celui des individus.

 

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