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Comptabilité dans les églises et mosquées : «Le législateur Ohada vise à édifier un espace propice à une économie bon marché»

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
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La décision de l’Ohada (Sycebnl du 15-03-2023) de faire tenir une comptabilité dans les églises et mosquées dès janvier 2024 constitue-t-elle un premier pas vers la taxation des lieux de culte ? Le directeur général des impôts a répondu par la négative. Pourtant, la polémique n’est pas complètement retombée. Le sénégalais Jean Gabriel M. Senghor* contacté par Bénin Intelligent livre un décryptage complet de la décision de l’Ohada. Il est enseignant en Droit des affaires.

Propos recueillis par Sêmèvo Bonaventure AGBON 

 

Bénin Intelligent : Qu’est-ce qui pourrait motiver, selon vous, cette décision de l’Ohada ? 

Jean Gabriel M. Senghor : Je voudrais d’abord exprimer mes remerciements à l’endroit du quotidien Bénin Intelligent pour le choix porté à ma modeste personne et l’intérêt manifesté à mes infimes idées et connaissances sur le droit des affaires Ohada.

Alors je m’épancherai sur le sujet sous le contrôle de mes devanciers (mes professeurs et encadreurs qui me liront) experts en droit des affaires ; et plus particulièrement en droit Ohada du fait de mon expérience qui n’est pas encore conséquente sur les questions liées à la sécurité juridique et à la croissance économique dans l’espace Ohada. Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit globalement.

Venant à votre sujet, soulever un avis sans pour autant fixer le champ d’application prévu par l’Acte Uniforme relatif aux Systèmes comptables des entités à but non lucratif-SYCEBNL du 15 mars 2023, participerait à raviver le caractère brulant de votre question.

En réalité, mêler des exigences économiques promues au travers de la politique économique, à des initiatives d’ordre religieux comporte en soi un risque d’incompréhension chez un public profane.

Pour autant, elles sont alignées à bien des égards, même s’il est permis d’hésiter sur le fait que ces deux sujets soient conciliants.

Deux arguments pourraient orienter notre avis :

Sur le champ d’application, l’article Premier et l’article 2 du Chapitre 1 de l’AU prévoient un critère géographique et un critère organique. En effet, l’AU s’applique à toute entité à but non lucratif qui a son siège sur le territoire situé dans un État membre de l’Ohada, ou qui y exerce ses activités.

Puis, l’article 2 présente les types d’entités à but non lucratif que constituent : les Associations et Ordres professionnels ; entres autres.

Sur l’objet des entités à but non lucratif, il est important de rappeler la définition qu’en donne le législateur : « toute organisation poursuivant un but désintéressé, et dont les ressources éventuellement générées par l’activité servent au fonctionnement et à la réalisation de l’objet social. »

Les deux arguments conjointement exposés nous montrent à suffisance que les entités à but non lucratif ne constituent pas des acteurs étrangers à la vie économique d’un État.

Par la seule définition donnée par le législateur, on aperçoit aisément que ces entités participent naturellement au commerce juridique en ce sens qu’elles génèrent des ressources quel que soit le mode usité. En clair, elles participent aux transactions qui intéressent le droit des affaires ; et sont régies par ce dernier.

Par conséquent, si tant est que prononcer les mots Église et Mosquée dans un environnement tel que la règlementation Ohada, peut paraitre surprenant, il n’en demeure pas moins que les acteurs ou fidèles de l’Eglise et la Mosquée sont impliqués et interpellés vaillamment dans la vie économique de nos sociétés.

Pour une autre raison, il faut savoir que les Eglises et Mosquées dans des sociétés républicaines telles que les Etats qui forment l’Ohada, sont constituées en partie pour leur fonctionnement et leur reconnaissance juridique, en Association.

Ainsi en raison du sens qui sous-tend leur existence ; c’est-à-dire la construction de l’homme en tant qu’être vertueux à travers un esprit de désintéressement du profit, l’on est porté à les exclure de la sphère économique ; de l’espace public alors qu’elles y occupent une place prépondérante.

Dès lors, nous pensons que c’est sous le postulat de personne morale dotée d’une identité juridique que le législateur Ohada a prévu d’appliquer le régime juridique de la comptabilité aux entités à but non lucratif, en exigeant des états financiers.

En perspectives, ces entités sont sensées disposer d’un patrimoine propre distinct de celui de ses membres, pour inspirer aux autorités publiques (ici le Conseil des ministres Ohada) une surveillance optimale.

A notre avis, c’est tout à l’honneur de la politique économique qui se veut inclusive.

 

En quoi va consister l’application de la décision de l’Ohada concernant la tenue d’une comptabilité par les églises et les mosquées ?

A notre avis, c’est assez simple.

Il établi que toute personne physique ou morale dispose d’un patrimoine matériel (composé de passifs et d’actifs). Le patrimoine d’une entité juridique telle que la société commerciale est ainsi composé. Il est quantifiable à travers la comptabilité.

Dès lors, s’il est certain que les entités à but non lucratif ne poursuivent pas le profit suivant le même intérêt que le commerçant, il n’en demeure pas moins qu’elles fonctionnent naturellement suivant un système de trésorerie pour apprécier le coût de leurs investissements sur l’humain à chaque fois que ça implique les finances. Sinon, elles ne pourraient pas évaluer leur impact religieux sur la société ; c’est une nécessité conjoncturelle des temps modernes.

Les besoins sociaux sont évalués en coût financier et les Églises et Mosquées ne sauraient pour leur fonctionnement, échapper à cette exigence.

Par conséquent, à la lecture du nouvel AU en son article 2 in fine, il est prévu que lorsque les Associations et ordres professionnels à but non lucratif ne sont pas assujettis à la comptabilité publique ou encore à une comptabilité particulière (ex : Etablissement de crédit), ils devront tenir une comptabilité dite « financière ».

Au demeurant, tel que nous l’avons exposé dans nos propos liminaires, les entités à but non lucratifs (Eglises et Mosquées) étant des acteurs à part entière de la vie économique et publique des États, c’est tout cohérent que les autorités publiques dans une perspectives de croissance économique, de transparence et d’optimisation financière, veuillent exiger de leur part une obligation d’information financière et de comptabilité.

Cela va de soi.

 

A quoi pourraient être destinées les informations comptables que l’Ohada entend collecter au niveau des organisations à but non lucratif ? 

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) est une organisation internationale qui œuvre pour la mise en place de politiques meilleures pour une vie meilleure.

Dans un de ses rapports : cadre de l’ocde pour une croissance inclusive, tenu à l’occasion de la réunion du conseil de l’OCDE au niveau de Ministre, Paris 6 et 7 mai 2014, il ressortait en substance ce qui suit :

On prend de plus en plus conscience de la nécessité de prendre en compte l’impact des politiques publiques sur les différentes catégories sociales. Les dimensions non liées au revenu sont d’autant plus importantes qu’elles symbolisent les possibilités et les choix qui déterminent la participation de chacun à la vie économique et à la société.

Cette assertion assez révélatrice, rapportée à la question qui nous interpelle sur la comptabilité et l’information financière dans l’espace Ohada, pourraient résumer l’intérêt recherché par le législateur à travers ce chantier.

Toujours est-il que dans ce même rapport, il est martelé ce qui suit (page 4) : « Le cadre d’action pour la croissance inclusive doit donc reposer sur trois piliers : prise en compte des problématiques multidimensionnelles, intégration des considérations touchant à la répartition des revenus et utilité pour l’action publique. Pour les raisons évoquées ci-dessus et tout en continuant d’accorder à la croissance économique l’importance qu’elle mérite, le débat sur les politiques à suivre pourrait mettre davantage l’accent sur les déterminants du bien-être subjectif, ainsi que sur les mesures propres à accroître les possibilités offertes à toutes les catégories de la population et à répartir équitablement les fruits d’une prospérité accrue. »

A titre comparatif, les structures religieuses issues des Mosquées et Églises, pourraient être rangées dans la catégorie des « déterminants du bien être subjectif… ».

En effet, les Églises et les Mosquées ne cherchent certes pas le profit, mais parallèlement elles interviennent dans le processus de Bien-être des fidèles ; ceux-là qui sont appelés citoyens et invités à s’engager avec civisme et éthique dans la République.

Or, intervenir dans ce processus, nécessitent la mobilisation de ressources financières : soit à travers les dons reçus de l’extérieur ou de la part des fidèles et sympathisants ; soit à travers les activités génératrices de revenus destinées à financer leurs projets sociaux.

Donc, il est sans conteste établi qu’elles s’activent indirectement à la croissance économique des Etats. D’où l’objet de la préoccupation soulevée par le Conseil des Ministres Ohada et qui a abouti à l’institution de l’AUSYCEBNL.

Le Sénégal est un pays qui a lui aussi compris que ce facteur était déterminant dans la mise en œuvre de sa politique publique.

Dans le cadre du Plan Sénégal émergent (PSE), le gouvernement a entrepris en 2014 un vaste chantier de construction suivant un modèle de pilotage axé sur le développement inclusif. L’un de ses piliers a reposé sur le « capital humain » ; pour ce dernier, on ne peut pas écarter le déploiement des Églises et des Mosquées dans cette aventure. Leur apport est significatif. Par conséquent elles méritent d’être encadrées sous un regard attentif par les institutions publiques.

En effet, les organismes publics ne sauraient établir un plan de suivi de leurs stratégies de développement structurel s’ils ne parviennent pas à maitriser la prise en charge des projets sociaux initiés par les entités religieuses.

Pour cela, il faut nécessairement procéder par une pédagogie dans l’explication des politiques publiques. Elle passe par le fait d’expliquer l’apport des Églises et Mosquées dans l’économie.

Ces entités prêchent pour la paix et la solidarité gages de la réduction de la pauvreté.

Elles s’investissent dans l’éducation avec la construction d’écoles, de centres de formations ou d’accueil. Elles initient des projets d’appui aux familles à revenus insuffisants ou limités. Etc.

Ces initiatives sont à encourager par les politiques publiques et ne nécessitent pas tout de suite comme on tenterait de la penser, à un projet futur de collecte de deniers.

Ces efforts à eux seuls suffisent à soutenir la croissance économique par le jeu de la réduction des inégalités sociales, mais aussi et surtout de l’Education et la Famille.

Au Sénégal, pour lutter contre ces inégalités, le gouvernement a initié le projet des « Daras modernes » qui consiste à accompagner les Citées religieuses dans le cadre de l’éducation et la prise en charge des enfants confiés à leurs marabouts dans des pensions. En contrepartie, cela participera à réduire la présence des enfants (on les appelle « Talibés ») sans domiciles errant et mendiant dans les rues qui jonchent les villes.

Comment pourraient-ils venir à bout de ce projet, si l’Etat ne met pas en place un dispositif de contrôle de l’emploi des ressources et subventions octroyées à ces marabouts ?

Au vu de ce qui précède, nous analysons l’apport des informations comptables requises par le législateur Ohada en ce sens.

 

Du fait du statut de ces organisations, la décision de l’Ohada pourrait-elle être gage d’une bonne gestion des ressources financières ?

Nous croyons fermement que c’est suivant le statut de ces organisations impliquant une identité juridique, que la décision de l’Ohada sera gage d’une bonne gestion financière.

Mais, et nous insistons dessus ; il faudrait une bonne méthode pédagogique pour concilier les avis et les procédures.

C’est juste une question d’adaptation.

 

Le Directeur général des impôts du Bénin a déclaré ceci : 

« Les associations loi 1901, ONG, fondations et organisations similaires y compris les églises, mosquées, sont exonérées de tous impôts dans la mesure où elles ont une activité à but non lucratif. Le dernier Acte Uniforme de l’Ohada sur l’obligation d’élaborer les états financiers n’a aucun rapport avec les impôts. C’est pour avoir des informations fiables pour les agrégats nationaux ».

Pourtant, des voix craignent une prochaine taxation des lieux de culte.  Pensez-vous que la décision de l’Ohada un pas vers l’imposition des revenus des églises et mosquées ?

Nous pensons que la fiscalité est une question de choix et d’opportunité suivant des ratios économiques objectifs.

Cela est propre à chaque État du moment qu’elle tient fondamentalement du pouvoir régalien ; autrement dit du choix de politique structurelle des États. Ils sont indépendants sur ce point.

Non sans dire que les politiques fiscales au sein de l’Ohada ne sont pas susceptibles d’être alignées ; pour ne pas dire uniformisées.

Ainsi, nous adoptons logiquement cet avis du Directeur des impôts du Benin.

L’Ohada ne traite pas de la fiscalité par principe dans le respect de la souveraineté des États. Le législateur Ohada vise à édifier un espace propice à une économie bon marché où le climat des affaires sera fluide et transparent.

Pour cela, il implique tous les acteurs qui interagissent au moyen des systèmes de transaction qu’il pense pouvoir régir et harmoniser.

Parce que ces acteurs utilisent des ressources financières ou que leur patrimoine est quantifiable suivant des méthodes d’évaluations objectives, le législateur implique les associations à but non lucratif ; les Églises et Mosquées n’étant donc pas en reste.

Le législateur Ohada s’intéresse au droit positif. Dès lors que les Eglises et Mosquées peuvent être distinguées sous une structure juridique, alors il les implique dans son processus d’harmonisation.

 

Dans un contexte sensible de montée du terrorisme, les églises et mosquées peuvent-elles servir à du blanchiment de capitaux ?

Un climat des affaires transparent au niveau de toutes les couches de la société favorise un espace ouvert à l’investissement durable car il porte en lui des lueurs d’espoir, de confiance et de stabilité pour les bailleurs.

Le terrorisme et le blanchiment des capitaux sont deux virus qui sapent considérablement une économie. Nous avons un espace poreux et vulnérable face à la toute puissance du terrorisme et du blanchiment des capitaux.

Un appui considérable à la mise œuvre de ce nouvel Acte Uniforme permettrait de constituer un bouclier face à ce virus.

En effet, le terrorisme épouse la vulnérabilité de certaines couches pour asseoir son empire ; et il n’y a pas meilleure atout que la sensibilité « spirituelle religieuse ».

Ainsi nous pensons que les Eglises et les Mosquées sont les plus exposées à cette menace car elles peuvent faire office de porte étendard d’un certain radicalisme qui ne dit pas son nom.

Nous sommes témoins de la corruption terroriste par une certaine instrumentalisation de l’Islam (qui est pourtant une religion de paix) tout au long de l’Afrique de l’ouest en passant par le Sahara.

A notre avis, cette règlementation est la bienvenue pour résorber ces limites.

 

Organisation à but non lucratif. Les églises et mosquées ne mènent-elles pas aussi de nos jours des activités lucratives (au Bénin il y en a qui ont des écoles, des hôpitaux et louent des boutiques) ?

Nous l’avons évoqué plus haut.

En effet, les Eglises et Mosquées sont des relais de service public de l’Etat. Elles jouent leur partition et c’est dans cette perspective que les Etats encouragent leurs initiatives et accompagnent leurs projets : dans l’éducation, la culture, le civisme.etc.

Par conséquent, il faut un suivi rigoureux de la part de l’Etat pour une évaluation objective de la croissance.

Nous avons parlé d’économie structurelle et de croissance inclusive.

Ainsi, mener des activités génératrices de revenus ne sonne pas ipso facto comme une recherche de profit. Il faut faire la différence entre les entités privées qui ont un objet pécuniaire et les entités qui ont un objet social non pécuniaire mais qui, pour se faire, passe par des activités génératrices de revenus.

Il faut quand même, que les volontaires qu’elles recrutent puissent subvenir à leurs besoins familiaux et de bien-être. Donc il leur faut des revenus pour payer des salaires ainsi que les services. En réalité la gratuité ne se mesure pas au regard du critère lucratif, mais plutôt à l’instar de la dimension du profit pécuniaire.

 

Faut-il s’attendre à une révision de la loi 1901 ?

Tel que nous l’avons rappelé plus haut, tout est question de choix politique sur la mobilisation des ressources.

Si les autorités étatiques du Bénin jugent nécessaire de promouvoir une mobilisation des ressources à travers une collectes de deniers publics chez les entités à but non lucratif car elles trouvent qu’elles génèrent des ressources qui pourraient augurer une sorte d’inflation ; Pourquoi pas !

A contrario si les autorités optent pour le déficit budgétaire par l’augmentation de la dette publique entre autres, c’est à croire qu’elles ont entrepris le modèle de subvention et d’accompagnement de ces entités quelque part.

A notre avis, c’est une question de stratégie politique à ce niveau au Bénin.

Merci pour vous être plié à l’exercice de notre entretien.

C’est moi qui vous remercie pour cette tribune.

Tout le plaisir est pour moi.

 

JEAN GABRIEL M. SENGHOR

De nationalité sénégalaise, il est titulaire en 2017 d’un Master en Droit privé/option Contentieux des Affaires à l’Institut des Métiers du Droit (Imd) obtenu à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques – Fsjp/Ucad.

Après un stage en Médiation à la Maison de la Justice de Grand-Yoff à Dakar, puis d’application aux Procédures Judiciaires auprès de la SCP Guedel & Associés, il poursuit sa carrière en banque au Sénégal. 

Enseignant en Droit des affaires dans des Instituts de formation professionnelle au Sénégal.

Membre à L’Institut de Droit d’Expression Française- IDEF ; notamment au Centre de Recherche du Droit des Affaires en Afrique (Crdaa), il participe à l’analyse de Jurisprudences de l’Ohada et à la Rédaction d’Abstracts sous la supervision d’un comité scientifique dirigé par le Professeur Barthélémy Mercadal.

 

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