Il y a amalgame, ”holdup” et ”intrusion dangereuse”, selon le professeur Dodji Amouzouvi, lorsque l’Église catholique investit la culture endogène «sous prétexte» d’en purifier certaines pratiques. Le Père Rodrigue Gbédjinou contrattaque… Suite et fin de la 2e partie du “débat écrit” sur Culture et développement organisé dans le cadre des cinq ans d’existence de l’École d’initiation théologique et pastorale (Eitp). Lisez !
Professeur Dodji AMOUZOUVI :
La controverse sur la question des jumeaux illustre parfaitement mon propos ci-dessus.
Quand elle le fait, elle s’immisce éhontément, maladroitement et violemment dans la culture des autres. Les rites et rituels des jumeaux relèvent de la foi, de la croyance, lesquelles sont, comme la langue, le rythme et autres artéfacts, les éléments de la culture. Mais en matière de rite des jumeaux dans la foi et la croyance du Vodun, nous sommes dans un domaine réservé aux fidèles du Vodun. Tout autre rituel ou culte aux jumeaux dans une autre foi peut exister mais avec la liturgie, le rituel et les artéfacts propres à cette autre foi, sans jamais postuler, ni indiquer que l’un (le catholique) remplace ou se suffit à l’autre (le voduîsant). Le faire et le dire, c’est s’immiscer dans la foi et la croyance de l’autre.
L’accompagner d’un discours tout aussi méprisant et hautain (nostalgie d’un passé des missionnaires ?) comme celui de « purifier la culture (foi et croyance)11 » de l’autre est dangereux, inadmissible et destructeur. Ce n’est pas parce que je sais lire le missel que je vais célébrer la messe et consacrer l’hostie et le vin pour en faire le Corps et le Sang du Christ.
Père GBÉDJINOU Rodrigue :
La polémique sur les jumeaux me paraît stérile dans le fond, comme autant les adverbes que vous alignez pour décrire la situation : « éhontément, maladroitement et violemment dans la culture des autres ». S’il s’agit de la culture comme vous le soulignez, tout Africain quelle que soit sa religion, peut et doit le revendiquer. La culture d’un peuple n’est l’apanage d’aucune religion. Mais cette polémique, qui se base sur d’autres motivations, interpelle l’Église sur les modalités d’inculturation. Celle-ci doit veiller à éviter toute forme de mimétisme, porte au syncrétisme. Mais le mimétisme se retrouve bien souvent dans certaines pratiques des religions endogènes, utilisant le vocabulaire et les réalités de la foi chrétienne, sans que l’Église n’ait jamais crié haro sur le baudet. Il y a des cérémonies endogènes où se distribuent des « petits kolas » avec ces paroles : « Voici ta communion ». Pour tout chrétien, sa foi et les modalités de son expression remplacent et accomplissent toute autre forme de croyance, toute forme de culte endogène. Ce qui a été proposé et exécuté par un curé pour les jumeaux et qui doit être amélioré sinon revu, relève d’une sollicitude pastorale exprimée avec les éléments de la foi catholique et destinée aux chrétiens catholiques et non aux voduîsants.
Professeur Dodji AMOUZOUVI :
Si la culture d’un peuple n’est l’apanage d’aucune religion, la foi, la croyance et les rituels d’une religion sont l’apanage exclusif, la propriété intrinsèque de cette religion.
Père GBÉDJINOU Rodrigue :
Les jumeaux, don de Dieu dont le phénomène est aujourd’hui explicable par la science, ne sont l’apanage d’aucune culture. Mieux, si nous avons le courage de retourner aux motivations de nos ancêtres qui, dans leur approche pré-scientifique, avaient prévu ces rituels, nous nous rendrons bien compte que celles-ci ont été perverties quant à leurs intentions originelles.
Professeur Dodji AMOUZOUVI :
La naissance d’un enfant, don de Dieu est tout aussi expliquée par la science ; depuis la rencontre d’un spermatozoïde et d’un ovule jusqu’à la naissance. Le rituel qui accompagne le mystère et la déification des jumeaux chez les fidèles du Vodun est exclusif à leur foi et à leur croyance et ne doit pas être ni instrumentalisé, ni agressé par le rituel d’une autre foi, d’une autre croyance.
Les emprunts peuvent très bien porter sur d’autres éléments de la culture tels que la langue, le rythme, la danse. A-t-on remarqué qu’on dit la messe en fon, en yoruba avec des sonorités typiquement nôtres ? Là-dessus il n’y a pas de polémique. Mais quand ça porte sur les fondamentaux de la foi, ça devient de l’usurpation. Et la tentative sur le rituel des jumeaux en est une !
Père GBÉDJINOU Rodrigue :
Ce qui vous paraît aujourd’hui sans polémique, ne l’a pas été en son temps. Interrogez les anciens, ils vous le diront ! Par exemple, les compositeurs de chants, sur les airs des chants de nos religions traditionnelles ont subi à cet effet bien des menaces, non des moindres. Demandez-le par exemple au théologien béninois, le Père Julien Pénoukou. Et il en a été presque toujours ainsi quand le chrétien africain revendique l’héritage culturel de ses ancêtres, avec le droit d’en introduire des éléments dans la nouveauté chrétienne2. Et il ne s’agit point d’emprunt. Il est du devoir des intellectuels africains, surtout de ceux qui appartiennent aux religions traditionnelles par naissance, ou parce qu’ils y sont retournés pour diverses raisons, d’aider à démêler l’écheveau entre culture africaine et culte. On ne peut pas continuer longtemps à entretenir cet amalgame…
Professeur Dodji AMOUZOUVI :
L’amalgame, c’est d’investir la foi et la croyance de l’autre, de les désarticuler, d’y occuper des fonctions étrangères à sa propre foi, de les instrumentaliser sous prétexte qu’il s’agit de la culture. C’est à la limite un holdup intellectuel et religieux. La foi et la croyance sont de l’ordre du réservé aux seuls fidèles et la langue et les instruments de musique sont communs à tous.
Père GBÉDJINOU Rodrigue :
Les termes « holdup intellectuel et religieux » paraissent inadéquats à la facture de notre débat et à la nature de ceux dont vous parlez. Et aussi pour votre rang. L’émerveillement devant la naissance d’un homme et encore des jumeaux n’est l’apanage d’aucune religion : chacun peut alors exprimer cet émerveillement culturel à travers son culte, sa foi ou sa croyance. Il y aurait intrusion si cette cérémonie proposée par un prêtre (et non encore validée par l’Église) se faisait avec des rituels des voduisants. Ce qui n’est pas le cas. D’ailleurs, la foi chrétienne ne déifie aucune créature.
Et par ailleurs, l’Église a toujours procédé à la transformation des rites des peuples en pratiques chrétiennes permises, convenables à sa foi. Elle valorise, chez tous les peuples, depuis Saint Justin, les semences du Verbe (semina Verbi, Logos spermatikon).
AVEZ-VOUS MANQUÉ LES ÉPISODES PRÉCÉDENTS DU DÉBAT ? Retrouvez-les en intégralité ici :
En quoi l’Église peut-elle s’intéresser à la culture ?
L’Église, par les missionnaires, a-t-elle réellement détruit nos cultures ? [Débat écrit, 2-1]
1-Qu’est-ce que la culture ?
2- Nos cultures constituent-elles vraiment une spécificité africaine ? Leurs éléments ne se trouvent-ils pas ailleurs ?
3- Pourquoi doit-on ou ne peut-on pas séparer le culte de la culture ?
Notes
- J’insiste sur la nuance à faire entre culture et foi. La seconde est un élément de la première qui ne se résume pas à la seconde. On dit la messe catholique en fon par exemple avec des rythmes et des instruments de nos cultures. L’inculturation portera sans problème sur ces aspects. Mais dès qu’on touche à la foi ou la croyance qui n’est pas sienne, on fait du syncrétisme en offrant aux fidèles une nouvelle foi différente des deux initiales. ↩︎
- Même pour les juifs, le christianisme constituait une nouveauté ; à plus forte raison pour la culture grecque. ↩︎