Le coup d’État du 18 août 2020 au Mali a précipité la fin de plusieurs mécanismes sécuritaires multilatéraux, dont la Minusma. Ce qui pose aujourd’hui le problème de l’avenir de la coopération internationale en matière de lutte contre le terrorisme. Hervé Briand, senior Sahel analyst donne sa lecture critique.
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Bénin Intelligent : Comment évaluez-vous l’implication actuelle de la coopération Internationale dans la lutte contre le terrorisme au Mali ?
Hervé Briand : Au Mali, il y a d’abord eu le retrait “contraint” des forces françaises de l’opération militaire Barkhane en 2022. Vrai tournant dans la lutte antiterroriste volontairement choisi par le pouvoir militaire malien actuel. Dans le même temps, la force conjointe du “G5 Sahel”, composée initialement des États du Tchad, de la Mauritanie, du Niger, du Mali et du Burkina Faso, n’a jamais vraiment performé.
Et ce, depuis sa mise en place, “mal financée” il est vrai, dès 2014. Cette structure, déjà chaotique depuis le retrait du Mali en mai 2022, est désormais plus que moribonde. Notamment depuis l’avènement de l’Alliance des États du Sahel (Aes) issue de la charte du Liptako-Gourma réunissant les trois pays “frères”: Mali, Niger et Burkina Faso.
Puis, aujourd’hui, le départ en cours des forces onusiennes de maintien de la paix au Mali, au bilan mitigé, est programmé en principe jusqu’à la fin 2023. Force est donc de constater que la coopération internationale contre le terrorisme au Mali a déçu. Et obtenu des résultats moins probants qu’espère jadis, notamment aux yeux des populations locales.
L’implication de la coopération internationale est devenue aujourd’hui très limitée, selon la volonté même de la junte malienne au pouvoir. Désormais, elle se résume pratiquement aux seules interventions des forces russes “Wagner” (conjointement avec les Fama). Qu’il convient vraiment de relativiser, au regard des compétences encore relatives de ces dernières en zone sahélo-saharienne, particulièrement spécifique.
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Pourquoi l’apport des mécanismes multilatéraux sécuritaires tels que Minusma, Eutm, la force conjointe du G5 Sahel, la force Takuba et l’opération Barkhane suscite-t-il des controverses quant à leur impact dans la lutte contre le terrorisme au Mali ?
Ce sont des mécanismes internationaux totalement différents et qui, dans l’idéal, se voulaient pourtant très complémentaires… Il y a eu d’abord, début 2013, l’opération militaire française “Serval” qui, à mon sens, a été en tout point remarquable. Elle a été réalisée très rapidement, à la demande express du Mali, et c’est la seule qui ait véritablement emporté à l’époque l’adhésion d’une majorité de la population malienne qui la considérait alors comme “salvatrice”.
Puis, l’opération “Barkhane” qui lui a succédé. Si elle a connu des succès indéniables via la neutralisation de cadres terroristes importants, elle a beaucoup trop duré. Et a finie malheureusement par être perçue par une partie de la population locale comme une “armée d’occupation”.
La Minusma, quant à elle, il faut être clair et ne pas lui faire de mauvais procès: elle n’a jamais eu comme objectif d’être une force militaire de lutte active contre le terrorisme. Comme le prévoyait explicitement son mandat. Il s’agissait d’une force internationale de maintien de la paix (casques bleus) avec, en corollaire, pour mission la facilitation du processus de mise en œuvre de l’Accord de Paix et Réconciliation d’Alger (Apr). Mais, la population attendait autre chose de cette force onusienne (trop ?), les Touaregs aussi… Donc, ils ont tous été déçus !
L’Eutm, plus discrète, en charge des formations militaires, est quelquefois également controversée, au sens où certaines formations semblent parfois inadaptées. Ou bien quand les personnels locaux ainsi formés changent trop rapidement de direction et abandonnent peu après la spécialisation dans laquelle ils viennent pourtant d’être formés.
De même, concernant d’autres formations dispensées par des structures civiles européennes (Eucap). Il m’est souvent rapporté que certains candidats des forces de sécurité intérieures (Fsi) viennent en réalité davantage pour percevoir le “perdiem” que pour la réelle formation…
«La Mauritanie semble, quant à elle, sortie de la spirale terroriste»
En ce qui concerne le dit “G5 Sahel”, sur les cinq pays qui le constituaient initialement, seuls les trois pays “frères”, que sont le Mali et le Niger (de “construction” similaire), mais aussi le Burkina Faso, ont réellement de nombreux points communs en termes de culture, d’ethnies et de modes de vie. La Mauritanie et plus encore le Tchad font face à des problématiques (politiques, ou rébellions…) de natures très différentes de leurs pays voisins.
Alors que la Mauritanie semble, quant à elle, sortie de la spirale terroriste, le Tchad est davantage en proie aux “sous-rébellions politiques” et au conflit secto-terroriste de Boko Haram (Eiao/Iswap ou Jas), là encore d’une autre nature terroriste que celle du Jnim/Gsim et de l’Eis, que combattent le Mali, le Niger et le Burkina Faso.
Enfin, la force Takuba pouvait, quant à elle, remplir tous les critères acceptation de la population et d’efficacité. Malheureusement, là encore, quelques controverses se sont faites jour et combien de témoignages directs n’ai-je pas reçu, réclamant davantage d’incorporation d’éléments locaux réellement “nomades” dans les unités de patrouilles et de renseignements, aux fins d’une meilleure appropriation et efficience vis-à-vis des communautés locales.
Selon certains analystes, “un seul pays ou groupe de pays isolés ne peut faire face au terrorisme seul”. Partagez-vous cette opinion ou la contredisez-vous ?
Ce n’est pas tout à fait faux, mais il convient toutefois de nuancer l’aide extérieure éventuellement apportée :
Tout d’abord, au regard de l’élan de souveraineté et d’émancipation actuel des pays africains, toute coopération internationale ne se fera désormais sans nul doute que via l’accord du pouvoir en place (quel qu’il soit…). Mais surtout avec le consentement (tacite ou non) des populations et acteurs civils locaux. Sinon la “coopération à marche forcée” prendra le risque d’être qualifiée d’ingérence, puis rejetée.
Toutefois, un déploiement de forces militaires occidentales “pro-actives” sur le terrain d’un pays étranger en proie au terrorisme me paraît aujourd’hui de moins en moins probable. Il peut y avoir, à la demande express des pays concernés, certaines actions-commandos sporadiques de troupes étrangères (aéroportées ou non) pour neutraliser un Groupe Armé Terroriste (Gat) afin de libérer un otage par exemple, mais au-delà, j’en doute…
En revanche, l’aide internationale en faveur de la lutte contre le terrorisme pour un État isolé ou pour un groupe d’États, pourra désormais être probablement plus discrète, “sectorisé”. Et ne concerner uniquement l’aspect financier, ou logistique, ou bien seulement la formation, voire plus technique (renseignement, drones…). L’idée est que, sur le terrain proprement dit, que ce soient désormais prioritairement aux forces armées locales de lutter contre les terroristes.
«La menace au Mali n’est pas mondialisée, mais bien concentrée sur trois axes»
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Le choix de la Russie comme partenaire de la lutte contre le terrorisme au Mali par les membres du Cnt est-il suffisant face à cette menace mondialisée ? Ne serait-ce pas un handicap d’avoir qu’un seul acteur de la scène internationale à ses côtés ?
La menace au Mali n’est pas mondialisée, mais bien concentrée sur trois axes : le Jnim, l’Eis et les séparatistes Touaregs.
Dans ce cas précis, le Mali fait le choix délibéré et opportuniste de n’avoir justement qu’un seul acteur de la scène internationale pour combattre à ses côtés très “servilement”. Et sans trop se soucier des Droits de l’Homme ou crimes de guerre, aux fins de réaliser ses desseins qui me semblent jusqu’au-boutistes.
Le choix de la Russie est donc plus opportuniste que strategies : Assimi Goïta, le chef de la junte militaire malienne, dispose de quasiment tous les pouvoirs et souhaite réussir “l’unité territoriale de la nation malienne”, là où une démocratie plus faible a (ou aurait) échoué selon eux.
Aussi, selon certains proches du Cnt, qui le confessent à demi-mot, c’est un choix délibéré, de se “débarrasser” de la France, mais aussi des forces internationales de la Minusma et de tous autres observateurs, témoins inutiles de possibles transgressions, exactions… Ainsi, le groupe Wagner, lui aussi opportuniste et aguerri aux basses besognes, est bien un choix et une alliance opportune pour tenter de contrer, aux côtés des Fama, une fois pour toutes, pensent-ils, les velléités des séparatistes ou autonomistes du Nord-Mali : “la fin justifie les moyens” selon certains acteurs.
Pensez-vous que la charte du Liptako-Gourma, qui institue l’alliance des États du Sahel, a plus de chances de résoudre les conflits entre groupes armés terroristes et les forces de défense et de sécurité que l’initiative d’Accra, qui réunit les États du Sahel et du golfe de Guinée ?
La charte du Liptako-Gourma, qui institue l’Alliance des États du Sahel (Aes), n’est, quant à l’heure, qu’une réponse immédiate aux menaces d’intervention au Niger des forces militaires mises à la disposition de la Cedeao : c’est donc d’abord un “bloc de défense” des trois pays sahélo-sahariens (Niger, Mali et Burkina Faso) dirigés aujourd’hui par des militaires putschistes et qui se veulent soudés face à toute éventuelle agression extérieure…
Il est vrai que pour combattre en commun le terrorisme de façon très pragmatique sur le terrain, des accords bilatéraux auraient pu suffire. C’est en effet surtout le “droit de suite ou de poursuite” qu’il convient de renforcer : on voit clairement, notamment et à juste titre dans la zone des “Trois Frontières”, que ce sont bien les échanges de renseignements et l’interopérabilité des troupes et des moyens militaires émanant de deux pays, voire parfois des trois États qui sont parfois furieusement efficaces.
Toutefois, cette “Alliance des États du Sahel” peut avoir un réel impact dans la lutte antiterroriste dans la zone sahélo-saharienne. Comme je l’ai déjà dit, ces trois pays “frères”, que sont le Mali, le Niger et le Burkina Faso, partagent réellement de nombreux points communs en terme de culture, d’ethnies et de modes de vie, et surtout combattent les mêmes groupes terroristes ennemis sur une même zone : le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (Gsim/Jnim) et l’État Islamique au Sahel (Eis).
A cet égard, il y a déjà plus d’un an j’écrivais cet article “Les enjeux de la démondialisation sécuritaire au Sahel, vers un “G3 Sahel ?“
Un “G3 Sahel” comprenant le Niger, le Mali et le Burkina Faso, les trois pays “frères” du Liptako-Gourma, possiblement soutenu par l’Algérie et/ou avec un éventuel appui technique occidental (drones/renseignements) pourrait être une arme idéale contre les Groupes Armés Terroristes (Gat).
Mais si l’Aes veut avoir une action plus “offensive” en matière de lutte contre le terrorisme, et non pas seulement “défensive”, elle doit se donner les moyens de mettre en place, en parallèle, une stratégie volontariste en matière de développement économique et social, mais aussi et surtout une réelle politique de l’Éducation pour tous et toutes : c’est une arme massive contre tous les extrémismes, quels qu’ils soient…
Le départ de Barkhane n’a eu que peu d’impact sur la situation sécuritaire au Mali. Mais celui de la Minusma semble avoir exacerbé les conflits, notamment entre l’État malien et certains groupes signataires de l’accord d’Alger, tels que le Csp. Comment analysez-vous cette situation ?
L’opération militaire Barkhane a œuvré de façon “chirurgicale”. En ciblant et neutralisant des leaders ou des cadres terroristes de premier plan. Mais il faut bien le reconnaître, malheureusement aussitôt remplacés. Je tiens néanmoins à préciser que le fait d’éliminer une cible “Ihv” (High value individuals/ Individu de haute valeur) choix stratégique français, a handicapé et ralenti lourdement, parfois pendant plusieurs mois, l’organisation terroriste en question.
Quant à la Minusma, si elle n’a jamais été réellement en mesure d’encourager et de faciliter la mise en œuvre de l’Accord de Paix et Réconciliation d’Alger (Apr) comme le prévoyait en partie son mandat, son départ semble toutefois compromettre de facto toute facilitation de mise en œuvre de l’Apr. Ce dont se rendent bien évidemment compte tous les signataires de cet accord, dont les membres du Csp.
Mais ce qui exacerbe actuellement davantage les conflits au Nord du Mali, ce n’est pas le départ de l’institution “Minusma” à proprement parler. Mais ce sont surtout les bases laissées vacantes par cette structure onusienne : celles-ci suscitent désormais toutes les convoitises et les guerres d’influences et de territoires de la part de certains leaders Touaregs séparatistes et/ou autonomistes, qui veulent ainsi les conquérir coûte que coûte, en gage de points d’encrage de leur zone d’influence.
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Selon vous, quelle solution préconiser pour une meilleure implication de la coopération internationale dans la lutte contre le terrorisme au Mali ?
Comme je l’ai déjà dit, toute coopération internationale en Afrique, et au Sahel en particulier, devra se déployer désormais sous couvert du pouvoir en place (quel qu’il soit…), mais surtout via le consentement tacite des populations et des acteurs civils locaux. Cette coopération internationale pour être efficiente et légitimement reconnue, doit en effet emporter l’adhésion des forces vives et leaders locaux, sur lesquelles elle doit d’ailleurs résolument s’appuyer dans tous les champs d’actions possibles : humanitaire, économique, développement durable, sécuritaire, renseignement…
La coopération internationale au Sahel doit prendre en compte que le développement et la sécurité sont bien liés, et que l’élan de souveraineté et d’émancipation ne s’arrêtera probablement pas. Elle devra donc désormais agir avec plus de pragmatisme et d’humilité, selon le principe très actuel de la “realpolitik” ! Ce sont donc des programmes “transparents” de coopération économiques et sécuritaires, à grande et petite échelle, qui devront désormais être proposés conjointement sur le terrain, via des partenariats “gagnants-gagnants”. Et à l’écoute des besoins des populations africaines éveillées.
Concernant particulièrement le Mali, je doute fort que le pouvoir malien actuel, engagé aujourd’hui dans un “bras de fer” de type “quitte ou double” (selon mes interlocuteurs) afin de reprendre le contrôle de l’ensemble du territoire malien, notamment au Nord du pays, accepte pour le moment toute coopération internationale autre que le groupe Wagner, qui a bel et bien pris la place des occidentaux, poussés hors du Mali malgré eux. Toutefois, gardons à l’esprit que rien n’est jamais figé en matière sécuritaire…
En effet, si cette reprise de contrôle de l’ensemble du territoire malien par les forces armées, y compris dans le nord du Mali et à Kidal en particulier (véritable “nœud” du conflit malien…), venait à échouer, voire à s’enliser, le chef de la junte malienne, Assimi Goïta, en paierait certainement un “prix politique” fort. Ainsi, face à une situation d’enlisement, il ne pourrait être exclu que le Mali daigne alors se tourner à terme vers d’autres coopérations internationales, telle l’Algérie par exemple, pour les aider à négocier avec les séparatistes ou autonomistes, mais aussi pour lutter contre les terroristes non encore éradiqués…
De nouvelles coopérations sécuritaires occidentales au Mali sont évidemment toujours envisageables dans un avenir plus ou moins proche, mais plus probablement dans d’autres circonstances politiques… Toutefois, les États candidats à cette nouvelle coopération doivent néanmoins s’y préparer pour être, le cas échéant, alors prêts, réactifs, pragmatiques et discrets.
C’est donc, pour l’Occident, la stratégie de la “real politik sécuritaire” (à l’instar des Usa au Niger…) qu’il conviendrait de préconiser et d’ores et déjà de préparer.
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