Le professeur Mahougnon Kakpo, président du Comité des rites Vodun a entretenu lundi 8 janvier, les journalistes sur la nouvelle dynamique touristique et intellectuelle autour de ce patrimoine. Préservation du sacré, sensibilisation pour l’abandon du discours péjoratif à son sujet et son infériorisation par rapport aux autres religions. Le professeur titulaire de Littérature africaine et “poète du Fa” aborde également le “mensonge” des statistiques sur la religion au Bénin.
Journaliste : Le gouvernement s’engage à développer le tourisme religieux autour du Vodun. Quelles sont les garde-fous prévus pour que le côté sacré soit préservé ?
Prof. Mahougnon Kakpo : Le Comité des rites Vodun est comme le bras technique dans tout ce projet (touristique) qu’on vient de vous présenter.
Le Vodun est une religion, il faut le comprendre ainsi. Vous savez les éléments fondamentaux d’une religion et tous ses éléments sont présents dans le Vodun. En tant que tel le Vodun nous inscrit dans le sacré. Le sacré, lorsqu’on a l’intention de bâtir autour une entreprise touristique il faut faire très attentions ; c’est pour cela que le comité des rites Vodun est composé de personnes qui connaissent et qui pratiquent le Vodun dans toutes ses déclinaisons, et qui peuvent dire au gouvernement « ceci que vous voulez montrer ne peut pas être montré dans tel aspect ou dans tel autre aspect ». Voilà donc le caractère technique et l’une des missions essentielles du Comité des rites Vodun.
Le Comité a également pour mission de labelliser les éléments qui doivent être montrés. On ne peut pas montrer n’importe quoi et on ne peut pas montrer le Vodun dans toute sa quintessence ; cela ne signifie pas que le Vodun que vous allez voir est un Vodun artificiel. Il n’y a pas de Vodun artificiel : c’est le Vodun que vous voyez mais il faut qu’on puisse voir comment vous allez voir le Vodun.
«Nous sommes actuellement dans la réinscription de nos cultures dans la rationalité scientifique mais également dans l’espace culturel mondial pour que ceux-là qui ne connaissaient pas le Vodun ; mais qui en avaient entendu parler d’une façon ou d’une autre, puissent venir voir le Vodun et s’honorer du Vodun.»
Mahougnon Kakpo
Le Comité des rites Vodun a également pour mission de déconstruire les éléments de langage qui avaient été portés sur le Vodun et qui décrédibilisaient et étaient d’une connotation négative, péjorative sur le Vodun.
C’est pour cela que je ne souhaiterais pas que dans vos différents reportages, que vous utilisiez l’une des expressions comme les « adeptes du Vodun », c’est proscrit. Parce que vous savez que cela est péjoratif. On ne dit jamais nulle part « adeptes du christianisme » ou « adeptes de l’islam ». On dit les fidèles de l’islam. De la même façon on dit les fidèles du Vodun. Si vous ne voulez pas dire fidèles du Vodun, dites ‘’Vodunsi’’ même si ça renvoie au féminin.
«Regardez bien l’orthographe qui est utilisée pour écrire le mot “Vodun”»
Regardez bien l’orthographe qui est utilisée pour écrire le mot Vodun. Puisque il y a plusieurs orthographes pour le Vodun. Le Vodun peut s’écrire ou s’écrit avec ‘’Vaudou’’, ‘’Vodoun’’ et peut être aussi orthographié d’une autre façon. Mais ce que nous labélisons c’est le Vodun orthographié « Vodun » parce que cela a un sens pour nous. Ce sens s’origine du Fâ, le Fâ qui d’une façon ou d’une autre est considéré comme un système divinatoire mais qui, en réalité, est l’une des humanités classiques de chez nous qui porte la gnose (savoir, connaissance) de nos contrées. C’est à ce Fâ qu’est adossé le Vodun. Tous les Vodun sont adossés au Fa et c’est le Fâ qui a donné le terme « Vodun ». (…)
Nous avons donc un abécédaire du Vodun dont la totalité ou une partie a été publié sur le site des Vodun Days. Il faut consulter cet abécédaire pour ne pas commettre certaines erreurs qui ont permis à ceux-là qui avaient l’intention et l’objectif de déconstruire la pratique initiale, religieuse des peuples Adja Tado. Quand je parle des peuples Adja Tado, je parle des peuples de l’espace qui part de Lagos pour aller à Accra en passant par Cotonou et Lomé. Les peuples qui vivent dans cet espace pratiquaient initialement le Vodun.
Donc pour pouvoir déconstruire ce en quoi ils croyaient, il faut un discours péjoratif, un discours qui annihile ces pratiques-là dans leur mentalité. Nous sommes actuellement dans la réinscription de nos cultures dans la rationalité scientifique mais également dans l’espace culturel mondial pour que ceux-là qui ne connaissaient pas le Vodun ; mais qui en avaient entendu parler d’une façon ou d’une autre, puissent venir voir le Vodun et s’honorer du Vodun.
LIRE AUSSI:
Défi du beau et de l’hygiène dans le Vodun : Jean-Michel Abimbola ose le débat
Vous aurez le temps de le découvrir : le Vodun est la totalité de l’art. Quand je parle de la totalité de l’art, je parle des arts de la représentation, je parle des arts de la scène, je parle de l’art plastique, des arts de la rue, je parle de la musique d’intervention, de la mode, de la chorégraphie, je parle de la littérature et de la poésie parce que le panégyrique s’origine de la poésie. Tout cela est dans le Vodun-. Il faut surtout voir le Vodun Egungun et vous allez comprendre ce dont je suis en train de parler en matière de mode, en matière d’habillement, de chorégraphie, en matière d’expression artistique totale.
Lorsque vous allez voir le Vodun- Zangbéto, qui est en réalité le gardien de la nuit, avec les démonstrations qui seront faites, vous serez introduits dans une expression de la science. Je parle de la science parce que ceux qui ne comprennent pas la façon dont cela se manifeste, rapidement renvoient cela à la magie. Il ne s’agit pas de magie avec le Zangbéto. Il s’agit de formulation avec des démarches scientifiques pour produire un résultat qui est sous vos yeux. C’est parce que souvent l’on ne maitrise pas la façon dont ce résultat est apparu que rapidement on évacue cela en parlant de la magie. Je voudrais que votre présence ici au Vodun Days vous permette d’avoir un autre regard, mais un regard positif sur le Vodun pour que vous puissiez continuer d’en parler et d’en parler sous de beaux jours.
Ne dites plus « religion endogène », ne dites plus « religion traditionnelle »
Pourquoi vous parlez d’entité Vodun ? Quand vous êtes dans les autres religions vous parlez d’entité ? C’est ce que je suis en train de dénoncer : le discours péjoratif. Vous savez comment on appelait la fête que nous célébrerons là maintenant ? On l’appelait la « fête des religions endogènes » ce qui est mauvais. Lorsque vous parlez d’endogénéité cela signifie que par exemple nous sommes dans cet espace-ci et ce que nous faisons ici lorsque vous sortez d’ici cela ne marche plus là-bas. Cela signifie que la religion n’a plus de fonctionnalité lorsque vous sortez de son espace initial.
Le Vodun est une religion à part entière. Il n’y a donc pas d’endogénéité, c’est une religion. Ne dites plus « religion endogène », ne dites plus « religion traditionnelle », ne dites plus des entités, dites tout simplement les Vodun. Il faut dire les Vodun. Et n’accordez pas lorsque vous écrivez Vodun au pluriel. Parce que Vodun n’est pas un mot français ; c’est un mot des langues nationales béninoises. Et par conséquent, l’accord avec la grammaire française ne doit plus tenir.
Les Vodun de la partie septentrionale sont-ils concernés par la Route des couvents qui est en train d’être tracé ?
Nous sommes à une première édition des Vodun- days. Tout le Bénin pratique le Vodun mais l’appellation Vodun n’est pas vulgarisée partout. Dans le septentrion le terme qui est utilisé pour désigner le Vodun c’est « Bun » au singulier et de « bounou » au pluriel chez les Baatonu. C’est la même réalité avec les mêmes énergies que nous avons ici. On vous a parlé du Musée international du Vodun- et on vous a expliqué pourquoi c’est un musée international. Donc à l’extérieur c’est le mot Vodun qui est le plus connu. Pour la première édition on a voulu partir de ce qui est le plus connu, le plus usité pour que les prochaines éditions nous permettent d’aller vers les autres Vodun.
LIRE AUSSI:
[Débat écrit, 2-2] En quoi l’Église peut-elle s’intéresser à la culture ?
Même au sud ici, les Vodun que vous allez voir ce ne sont pas tous les Vodun-. Vous n’allez pas voir le Vodun Gu ; le Gu qui est l’énergie de l’inspiration, de la technologie et de la transformation, l’énergie qui régente la manipulation des métaux. Vous n’allez pas voir le Vodun Gu, malheureusement. Le Vodun qui régente l’art de la chasse, vous n’allez pas le voir. Vous n’allez pas le Gèlèdè. Si vous connaissez le Egungun il faut aller vers le Gèlèdè. Donc ce ne sont pas tous les Vodun qui sont dans le panthéon Vodun que vous allez voir.
De la même façon nous n’avons pas encore intégré les Vodun qui sont pratiqués dans le septentrion mais je vous dis que ce sont les mêmes réalités, ce sont les appellations qui diffèrent selon le continuum dialectal dans lequel on se situe. Par conséquent, pour les prochaines éditions, parce que le principe, ce me semble, pour cette année, c’est que les Vodun qui ont été montrés et révélés pour cette édition ce ne sont plus tous ces Vodun qui seront montrés pour les prochaines éditions. Donc nous allons espérer que pour les prochaines éditions on puisse introduire les bunu, c’est-à-dire les Vodun des autres contrés du pays.
Chaque édition du 10 janvier dépend de la posture du politique. Qu’est-ce qui est fait pour qu’à l’avenir tout ne soit pas balayé de la main ?
Cette préoccupation nous inscrit dans le domaine légal, législatif. Les dispositions sont en train d’être prises. Vous avez vu que cette célébration se tient les 9 et le 10. Mais la loi dit que la fête c’est le 10 janvier.
En principe on aurait chômé la journée du 9 mais cela n’a pas été le cas, on a respecté la loi qui n’a pas encore déclaré officiellement que la fête c’est les 9 et 10. Il y a donc à ce niveau un constitutionnel qui doit être fait pour l’inscrire dans nos coutumes législatives. Vous allez voir pour les autres fêtes religieuses que la fête se déroule dimanche mais on chôme le lundi : le lundi de Pâques, lundi de Pentecôte. C’est parce que cela a été inscrit dans la loi et on respecte.
A partir du moment où nous faisons cette première expérience, le 10 janvier étant déjà constitutionnel, nous allons revenir sur le 9 et peut-être voir si après le 10 le jour qui va suivre s’il n’était pas nécessaire de mettre les gens toujours au repos. Parce que nous allons faire la fête, la grande cérémonie Vodun c’est le 10 janvier et après il y a d’autres cérémonies qui continuent jusqu’à 2h, 3h, 4h du matin. Et si ceux qui sont là doivent aller au boulot alors que les manifestations continuent jusqu’à tard, ils ne sauront pas restés. Donc il faut qu’il y ait des dispositions légales pour leur permettre de participer pleinement à la fête. (…)
«Au Bénin nous sommes dans un espace du Vodun qu’on le veuille ou pas»
C’est vrai que la fête du 10 janvier, selon le président de la République qui est là connaît des fortunes différentes. Nous avons vu ici pendant 10 ans, à la veille de cette fête le président il fuit le pays, il s’en va parce que les vecteurs de l’auto aliénation continuent de régner. Pourquoi ? parce qu’on a dit que le Vodun est méchant, le Vodun c’est la sorcelerie donc on ne veut pas être dedans ; ce qui est l’hypocrisie ambiante dans le pays. Parce que au Bénin nous sommes dans un espace du Vodun qu’on le veuille ou pas, consciemment ou inconsciemment on est dans un espace Vodun.
Nous consommons ‘’le Vodun’’ tous les jours sans nous en rendre compte. Alors, pourquoi fuir ? le Vodun est d’abord une mentalité, le Vodun est d’abord une philosophie avant d’être une religion. Et nous sommes dans cet espace là. Par conséquent, même si vous fuyez le Vodun vous rattrape.
LIRE AUSSI : « Une religion ne peut pas dire d’une autre religion qu’elle est impure », Dodji Amouzouvi
L’hypocrisie va encore plus loin : on se montre soit à la mosquée ou à l’église, on se montre allègrement mais lorsqu’on a dormi et on fait un petit cauchemar on va voir le Bokonon ou le Hunnon. C’est ainsi que nous fonctionnons avec l’hypocrisie au lieu de pratiquer sa religion avec une foi sereine, avec une conviction. La religion étant une affaire individuelle et personnelle, je pense que chacun de nous à partir du moment où nous avons pris possession de nous-mêmes, nous avons pris conscience de nous-mêmes nous devons aller vers la religion de notre foi.
C’est vrai que la pratique de certaines religions est héréditaire parce que vous êtes né dans une famille chrétienne vous pratiquez. Mais vous avez aussi le pouvoir de faire autre chose à partir du moment où vous constatez que cette pratique religieuse-là ne correspond pas à votre être, on change. Pourquoi rester dans une hypocrisie ? Mais je vous assure que les Vodun days ce n’est pas que tout le monde devienne fidèle du Vodun mais pour que tout le monde comprenne davantage ce qu’est le Vodun et que le pays puisse bénéficier des avantage touristique du Vodun. Le Vodun étant un trésor.
Combien de fidèles la religion Vodun compte-t-elle au Bénin ?
Lorsque vous allez voir les statistiques même du Pnud, on va vous dire : au Bénin, la première religion c’est le christianisme et puis vous avez l’islam et ensuite les religions animistes. C’est ce qu’ils disent. Vous voyez comment on peut truquer, falsifier la vérité ? Au Bénin, la première religion pratiquée c’est le Vodun. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de famille au Bénin où on n’a pas le culte des ancêtres.
Et vous devez savoir que sur le plan universel le culte des ancêtres est la première religion de l’humanité. Parce que lorsque l’Homme a pris connaissance de lui-même et que ceux avec qui il a vécu ont fait la transition, on fait l’enterrement ; c’est le rite de l’eschatologie. Après on ramène l’esprit de ceux-là qui sont partis d’une façon ou d’une autre. Même si l’eschatologie se fait avec l’incinération on récupère la cendre que certains gardent, d’autres la répandent. (…) Donc on continue de vénérer ceux-là avec qui on a été. Mais on ne considère pas la mort comme étant un achèvement mais comme le changement de plan et ceux qui ont changé de plan deviennent supérieurs aux autres êtres sur le plan de la vibration. C’est pour cela qu’on a toujours peur de l’esprit de ceux-là qui ont transité, qui sont mort.
«Il faut trouver d’autres modalités d’évaluation des fidèles du Vodun pour pouvoir le savoir.»
Lorsque vous êtes dans cette ambiance-là vous êtes dans l’univers du Vodun. Le nom même que vous portez, il y a très peu de noms au Bénin qui ne soient pas nom Vodun. Je ne parle pas des prénoms qu’on invente par-ci et par-là. Nous sommes dans l’univers du Vodun sans le savoir. Donc dire que il y a tel pourcentage de pratiquants de telle ou telle religion, c’est faux. Il faut trouver d’autres modalités d’évaluation des fidèles du Vodun pour pouvoir le savoir.
Au Bénin, la première religion pratiquée c’est le Vodun. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de famille au Bénin où on n’a pas le culte des ancêtres. Et vous devez savoir que sur le plan universel le culte des ancêtres est la première religion de l’humanité.
Mahougnon Kakpo
Vous voyez jusque où on porte l’hypocrisie qui consiste à détruite le Vodun : on parle des religions animistes en pensant au Vodun. L’animisme qui postule qu’un objet matériel peut-être animé par un esprit. On pense que si moi je suis en face de mon Vodun Lègba –le Vodun central dans le panthéon, l’énergie qui pourvoit les messages des autres Vodun vers la transcende – Si moi je fais une prière devant mon Lègba on dit c’est de l’animisme parce qu’on voit une motte de terre sans savoir qu’il y a une énergie là.
C’est comme si je prends le Coran et je dis qu’il y a la parole de Dieu là-dedans de même que la Bible. Si je brûle le Coran devant les musulmans ils vont accepter ? Non, pourtant c’est un papier, cela a été imprimé. La croix qu’on porte, c’est un objet non ? Mais devant le prêtre vous avez un objet de piété. Vous avez un symbolisme religieux qui là pourtant c’est un objet, ça a été fabriqué. Mais ça là ce n’est pas de l’animisme pour les autres, c’est pour le Vodun qui est de l’animisme.
Vous comprenez donc comment le discours péjoratif a contribué à inculquer à certains des nôtres la culture négative et péjorative sur le Vodun. C’est donc ce discours qu’aujourd’hui nous continuons à restituer, à déconstruire pour savoir effectivement ce qu’est le Vodun. (…)