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Les changements climatiques jouent un rôle important dans l’expansion du terrorisme au Sahel. Les comprendre et les canaliser pourraient contribuer à en réduire l’impact. Sans ambages, Stéphane Ondo Ze, docteur en géographie politique et coordinateur du réseau africain des chercheurs en géographie, livre à travers cette interview une analyse prospective. Dans cet entretien, le chercheur n’a pas hésité à clarifier la relation qui peut exister entre les changements climatiques et le terrorisme.
Bénin Intelligent : Comment les changements climatiques, par leurs manifestations (inondations, cyclones, sécheresses, etc.), représentent-ils un multiplicateur de menaces, agissant également sur les facteurs d’instabilité et de violence ?
Stéphane Ondo Ze: En réalité, les conséquences du changement climatique sont déjà en soit elles même un facteur d’instabilité et de violence. On parle d’événements météorologiques extrêmes. Au fil du temps, les Africains, comme la plupart des sociétés humaines, ont su se prémunir de ces phénomènes, les comprendre, les canaliser, et même en tirer profit. Un profit qui à servir à construire des civilisations ! On peut citer les crues du Nil en Egypte ou le sable du Sahara, qui via le vent, fertilise la forêt du Congo. Le dérèglement climatique à ceci de déstabilisant qu’il modifie notre perception de l’environnement même, nos connaissances et nos sociétés. C’est en soi déjà un défi majeur à affronter. Ce qui fait que même dans des régions du monde dites riches et prospères, la notion de risque n’est pas pris à la légère.
La catastrophe est un drame. Regardez au Japon et au Maroc avec des tremblements de terre, en France ou en Afrique du Sud avec des inondations, au Botswana avec l’avancée du désert ou au Canada avec les feux de forêt. Mais lorsque ces sécheresses, inondations et autres, rencontrent des groupes humains vulnérables, car en proie à la guerre, la mal gouvernance ou la pauvreté, son impact dévastateur prend une tout autre ampleur.
Les changements climatiques peuvent-ils à eux seuls conduire à une escalade de la violence, comme observé au Sahel avec le terrorisme ?
Le Sahel au sens large couvre jusqu’à 9 Etats africains. Sur ces neuf États, seulement un, le Nigéria, en l’occurrence, n’est pas listé parmi les pays moins avancés. L’indice de développement humain sur la totalité du Sahel est inférieur à 0,7, soit, la vulnérabilité économique et environnementale la plus élevée du continent. La destruction des infrastructures, des moyens de subsistance et des maisons qui laissent des populations entières sans abri et sans ressources vient rendre encore plus dramatique une situation déjà extrême.
La dégradation des terres, entraîne des pertes de productivité agricole. Cela peut conduire à une insécurité alimentaire, qui peut exacerber les tensions sociales et la violence. Ce qui va favoriser la compétition pour les ressources, notamment en eau, et conduire à des conflits entre les communautés qui dépendent de ces ressources. C’est dans ces extrêmes, où les inégalités se creusent, que prolifèrent les groupes armés ou la radicalisation. À la rudesse du climat et l’espérance socio-politique viennent s’ajouter encore plus de pauvreté et de brutalité.
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Confirmez-vous l’existence d’un lien entre les changements climatiques et le terrorisme ? Ce lien est-il direct ou indirect ?
Évidemment qu’il existe un lien entre les changements climatiques et la violence, mais gare à l’amalgame. La notion de terroristes est complexe ! Elle doit toujours être définie avec précision et la personne dite terroriste doit toujours être présentée dans son contexte. De façon générale, le terrorisme est une violence politique. Il s’agit donc de rapport de force. Il est vrai, ces rapports de force trouvent un terreau favorable quand la prospérité s’en est allée. Les changements climatiques sont des facteurs aggravant dans le cas spécifique au Sahel ! Ils contribuent à la vulnérabilité de la population locale face à tout ! Donc aussi, à la violence, d’où qu’elle vienne.
Comment les politiques environnementales peuvent-elles contribuer à promouvoir la paix et la stabilité dans les régions touchées par le terrorisme au Sahel, notamment au Niger, au Mali et de au Burkina Faso ?
Les politiques environnementales visent d’abord à protéger l’environnement. Dans la doctrine même de l’environnement, la protection de l’environnement humain est d’abord tournée contre l’humain, considéré comme un élément perturbateur. On parle d’ailleurs d’ère de l’anthropocène. Depuis la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement de Rio au Brésil en 1992, ces démarches en faveur de l’environnement s’attaquent aussi à la vulnérabilité des populations aux effets du changement climatique. Il est question de renforcer la capacité des groupes humains, des pays dits en développement, à répondre aux défis des changements climatiques. C’est-à-dire : réduire leurs vulnérabilités en créant ou renforçant la résilience des infrastructures, en assurant la régénération de la nature et donc des moyens de subsistance et en favorisant la conservation des habitats donc concrètement des lieux de vie.
En somme, les politiques environnementales contribuent au développement économique et social. D’où le triptyque : environnement, économie et société du “développement dit durable”! Car, aussi vertueuse qu’elles soient, les politiques environnementales ne peuvent pas à elles seules résoudre les problèmes de terrorisme au Sahel. Tout comme les réponses exclusivement militaires. L’important est dans le caractère intégrateur de la démarche employée.
Les politiques environnementales doivent être mises en œuvre dans le cadre d’une approche globale qui inclut également des mesures de sécurité, de promotion de la bonne gouvernance et de développement économique et social.Stéphane Ondo Ze
Ce développement doit nécessairement s’inscrire dans une démarche collective. C’est pourquoi, dans des pays en pleine restructuration politique, comme le sont le Niger, le Mali et le Burkina Faso, il est surtout question de favoriser et de renforcer la cohésion et l’innovation sociale et technique face aux changements climatiques. C’est le cas avec les coopératives et des initiatives participatives ou les projets concertés qui montrent toute la résilience et l’ingéniosité de ces communautés.
Quels sont les principaux défis pour les gouvernements dans la mise en place de politiques environnementales efficaces pour lutter contre le terrorisme au Sahel ?
Je pense qu’aujourd’hui, les principaux défis pour les gouvernements du Sahel sont l’instabilité politique et le manque de ressources. D’autant que ces deux défis sont interdépendants. L’instabilité politique peut conduire à un manque de ressources, et le manque de ressources peut exacerber l’instabilité politique. L’instabilité politique rend difficiles la planification et la mise en œuvre de projets à long terme. Qui, de ce fait, sont à l’initiative d’acteurs non nationaux et des systèmes courtermistes comme projets notamment portés par les ONG. C’est à ce moment que prospère la corruption et donc un individualisme qui n’est pas à la hauteur de la tâche à laquelle ces États doivent faire face.
D’autant encore que cela disperse et réduit les ressources qui sont déjà rares dans la région sahélienne. Je rappelle encore que ces États sont parmi les plus pauvres du monde. Aussi, dans ce contexte, la notion de choix devient vitale. Faut-il régler l’urgence sécuritaire qui pourrait avoir un impact plus ou moins immédiat ? Ou s’attaquer à l’urgence climatique, certes immédiate en cas de famine, mais qui demande un travail de longue haleine avec la nature, mais aussi avec les communautés locales ?
Comment impliquer davantage la société civile et les acteurs locaux dans la mise en place de politiques environnementales efficaces pour lutter contre le terrorisme, en dehors de la mobilisation et des sensibilisations ?
La société civile et les acteurs locaux jouent un rôle essentiel ! Vous connaissez le dicton : “il n’y a de richesse que d’homme”. C’est en investissant dans les ressources humaines que les gouvernements du Sahel peuvent créer les conditions nécessaires pour une paix et une stabilité durables. Dans la mise en place de politiques environnementales efficaces pour lutter contre le terrorisme au Sahel. Ces groupes sociaux apportent généralement une contribution précieuse en termes de connaissances endogènes, nées d’une observation longue des dynamiques de changements liés au climat et des adaptations nécessaires afin de résilience.
Leur participation dans les processus de conception des politiques environnementales et de gestion des projets environnementaux est une valeur ajoutée non-négligeable. C’est pourquoi, dans des projets comme la “Grande Muraille Verte“, qui vise à reboiser une bande de terre de 8 000 kilomètres de long et 15 kilomètres de large le long du Sahel, on s’appuie sur ces acteurs locaux. Cela implique des réelles mécanismes de participation, une coordination effective des actions sur le terrain et une certaine volonté d’autonomisation des communautés en fournissant un soutien financier et technique, et en renforçant les capacités des acteurs locaux.
Les politiques environnementales telles que la promotion de pratiques agricoles durables, la gestion durable des ressources naturelles ou l’écotourisme peuvent-elles être intégrées dans les programmes de prévention et de lutte contre le terrorisme, en tenant compte de la détérioration de l’environnement dans la région du Sahel ? Comment ?
Oui, on peut tout faire, mais si ces activités ne favorisent pas le développement local au sens strict avec une amélioration des conditions de vie, un travail autour de résilience et des populations qui voient leurs mondes et leurs repères changer, cela ne sert à rien. Il y a déjà eu trop de fausses bonnes idées et de projet mielleux qui viennent et font des locaux des domestiques ou des travailleurs pauvres, spectateurs de l’accaparement de leurs terres, de la pollution de leurs sols ou d’extraversion de leurs productions. C’est le cas notamment au Ghana, en Cote d’Ivoire ou au Cameroun.Je crois qu’il est tant de revoir le logiciel.
Il est important que les politiques environnementales soient conçues et mises en œuvre en collaboration avec les populations locales et surtout, sur long terme !Stéphane Ondo Ze
Elles doivent être adaptées aux besoins et aux priorités des populations locales, et elles doivent être mises en œuvre de manière à garantir que les populations locales en bénéficient pleinement. Alors que vous êtes dans la région la plus instable d’Afrique, vous comprenez combien le défis est immense!