Ouidah, “fille aînée” de l’Eglise catholique au Bénin a accueilli les premiers missionnaires en 1861. C’est dans cette même ville que le gouvernement a choisi de fixer les Vodun days, qui constituent un renforcement de la fête du 10 janvier, seule journée fériée consacrée au Vodun. Dans cette cité historique à vocation touristique, où diverses sensibilités cohabitent, que pensent les autres confessions de l’actualité liée aux Vodun days ? Entretien avec le Père Hermann Juste Nadohou-Awanou, curé de la paroisse Sacré-Cœur de Ouidah et Maître-Assistant des universités du CAMES en philosophie, Enseignant d’anthropologie des religions à l’université de Parakou, Directeur adjoint émérite du Journal La Croix du Bénin, Formateur des Laïcs zone Ouidah-Allada.
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Bénin Intelligent : Comment l’Eglise de Ouidah vit-elle l’effervescence autour des Vodun days ?
Père Hermann Juste NADOHOU-AWANOU : Avec sérénité et foi, sans discrimination, ni vexation, et ceci dans le sillage de de la déclaration de l’Eglise sur les religions non-chrétiennes, Nostra aetate du Vatican II, qui est un appel à la fraternité universelle, qui exclut toute discrimination. L’Eglise considère toute discrimination et toute vexation comme contraire à l’esprit du Christ.
Vous constatez que nous ne sommes pas dans la logique de provocation, car un vrai chrétien ne provoque pas. J’ai l’habitude de dire à mes étudiants en anthropologie des religions que les vrais spirituels ne s’affrontent pas, ils vivent une certaine sérénité, ils dégagent une certaine paix, contrairement aux religieux de bas-niveau qui se battent et même s’entretuent.
C’est pour cela qu’il faut considérer toute religion comme canal de spiritualité et travailler à ce que les fidèles des religions soient plus spirituels. Quand vous atteignez un niveau de spiritualité, vous ne demandez plus rien à la divinité comme grâce, vous demandez sa gloire et vous travaillez à cette gloire.
A notre époque où le genre humain devient de jour en jour plus étroitement uni et où les relations entre les divers peuples se multiplient, ce serait aberrant voire contradictoire d’invoquer Dieu, Père de tous les hommes et de refuser de se conduire fraternellement envers certains hommes créés à l’image de Dieu, qui est la seule origine de tous les peuples et qui a fait habiter toute la race humaine sur la face de la terre. Dans cette perspective, nous suivons avec grand intérêt ce qui se passe.
Bénin Intelligent : Quel est l’état du dialogue interreligieux à Ouidah. Y-a-t-il eu des frictions quelques fois ? Et existe-t-il un cadre local de concertation entre les différentes dénominations ?
Père Hermann Juste NADOHOU-AWANOU : Le dialogue interreligieux a Ouidah se passe sans couacs, ni adversité, mais dans le respect mutuel. Et il existe plusieurs cadres de dialogue. Le seul dans lequel je me suis retrouvé un jour à mon réveil est le forum whatsapp FORCOCD BENIN COMMUNE DE OUIDAH.
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Les frictions, de façon générale, n’existent pas au cœur du dialogue, mais dans le regard réducteur des uns sur les autres et qui peuvent entraîner des frustrations diverses et des colères injustifiées. Et pourquoi les frictions n’existent-elles pas au sein du dialogue interreligieux ? Parce que ce dernier porte sur 4 éléments essentiels : les histoires particulières des religions, les pratiques, les symboles et les questions théologiques. Ce respect empêche toute profanation.
Le dialogue interreligieux avec les dignitaires du culte endogène n’est pas toujours aisé, contrairement à celui avec les églises évangéliques et les mosquées. Sur ce terrain de dialogue interreligieux, des missionnaires étrangers nous ont devancés, Mgr François Steinmetz dont l’anniversaire de naissance est un 10 janvier 1868, très ami aux dignitaires du culte endogène. Dieu ne fait jamais rien au hasard. C’est le jour de l’anniversaire de Mgr Steinmetz, qui est choisi comme date de célébration du culte endogène. C’est lui qui a sollicité les adeptes de temple de Python pour l’aider à construire sa basilique à Ouidah, dans le ramassage du sable et du gravier.
Le Père Francis Aupiais a contribué énormément à ce dialogue interreligieux. Il y a un prêtre missionnaire à Agoué qui est resté immortel dans l’imaginaire des Vodunnon d’Agoué qu’on n’évoque pas souvent, le père Pelopi, qui m’a été révélé lors d’une enquête lors des sessions de vacances des lecteurs d’une paroisse de Cotonou. Aujourd’hui, on peut citer les travaux de Mèwihwendo de Nosseigneurs Robert Sastre, Lucien Monsi-Agboka, Christophe Adimou, Isidore de Souza et Barthélemy Adoukounou, et des Pères Julien Penoukou, Nathanaël Soede, et autres.
«Regard réducteur»
Il y a même un pasteur évangélique qui a fait un travail formidable que je lis et je creuse sur le dialogue interreligieux, le pasteur Cossi Augustin Ahoga, qui m’a offert le 9 janvier dernier seulement son livre Vers un modèle africain de dialogue interreligieux : le cas de vodun Xèbiosso et de l’Eglise des Assemblées de Dieu dans la région Maxi au Bénin.
L’autre chose qui semble passer inaperçu, c’est ce regard réducteur qui se développe sur la religion catholique et qu’on comprend, parce que les politiques étrangères n’arrivant à déstructurer, à désosser l’Eglise de l’intérieur, entretienne ce regard réducteur dans les personnes en leur faisant croire que non seulement la colonisation est à la base de notre misère et de notre sous-développement avec son bras droit qu’est l’Eglise, oubliant qu’avant la colonisation, l’Eglise, même protestante, avait déjà pénétré certains milieux de notre pays et y a construit des écoles et des centres de santé.
Je ne sais plus qui a dit qu’il vaut mieux avoir l’Eglise pour soi, que de l’avoir contre soi. De plus en plus, dans l’élan de ce regard réducteur, on semble tout mettre sur pied d’égalité « toutes les religions se valent ». Non, chaque religion vaut ce qu’elle vaut. L’Eglise catholique n’est pas l’Eglise évangélique. Chaque église a son identité propre et son histoire. Chaque église a ses combats propres et ses défis. Le culte Hebiosso n’est pas le culte Sakpata.
Chaque couvent a son identité propre et son histoire. Chaque couvent a ses combats propres et ses défis. Et si l’on doit juger une religion, c’est sur la base de la place qu’elle donne à la personne humaine, puisque l’adoration de Dieu nous renvoie toujours au service de la personne humaine. Quelle est l’importance de la vie humaine pour ma religion ? Si chacun se posait cette question, on sortira et on aidera à sortir des situations de frustrations et des blessures qui engendrent des ressentiments violents inattendus.
J’aurais été plus heureux qu’un colloque de trois jours se soit tenu pour ces Vodun days, sur l’apport de la spiritualité Vodun au développement, un colloque gratuit et exceptionnel, pour savoir ce qu’on peut exploiter pour notre développement. On parle abondamment de croissance économique avec des indicateurs au développement qui donnent des positions et des rangs, mais le développement n’est pas assuré par ces croissances.
Bénin Intelligent : On a souvent vu des dignitaires du Vodun assister à des célébrations eucharistiques. L’inverse est-elle possible ?
Père Hermann Juste NADOHOU-AWANOU : L’inverse est possible et se fait. Juste que les gens évitent de choquer ceux qui n’ont pas assez de foi pour comprendre cette fraternité. Et la stratégie qu’adoptent les dignitaires du Vodun doit être imitée. Ils ne viennent pas seuls, ils viennent en équipe de 5 ou 7 ou plus. Si vous voyez une délégation de clercs ainsi représentés, ça sauve du qu’en-dira-t-on.
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Si on te retrouve seul à ces manifestations, et si tu n’as pas la poigne intellectuelle pour te défendre, des esprits mal éclairés vont dire dans l’ombre à tes autorités que tu as déjà fait alliance avec eux et les pousser à te stigmatiser et à te mettre à l’écart. Or avoir un ami vodunsi ne veut pas dire de facto qu’on est déjà vodunsi.
Bénin Intelligent : Dans les mots de certains intellectuels impliqués dans l’organisation des Vodun days, l’on dénonce les discours péjoratifs sur le Vodun. Le gouvernement explique même que l’initiative des Vodun days vise à rectifier le narratif sur ce patrimoine et le réhabiliter. L’Eglise catholique se sent-elle particulièrement visée lorsqu’on sait que le rôle des premiers missionnaires continue d’être critiqué ?
Père Hermann Juste NADOHOU-AWANOU : De quels premiers missionnaires vous parlez ? De ceux-là qui ont diabolisé le vodun au départ. Ils n’y sont plus et ils n’étaient pas nombreux et s’ils l’ont fait, c’est par méconnaissance de nos réalités endogènes. L’Eglise aujourd’hui ne tient pas un discours péjoratif sur le vodun et ne saurait en tenir. Ne recyclons pas les discours du passé sous prétexte que nous dénonçons des discours péjoratifs, mais proposons des choses nouvelles dans des discours mélioratifs pour avancer.
Depuis le concile de Vatican II de 1965, l’Eglise ne tient plus ces discours et ne jette plus l’anathème sur les incroyants, mais prie pour eux. Pour peu qu’on se réfère à la grande prière universelle du vendredi saint, le sens de l’action et du discours de l’Eglise est là. Le vendredi saint, elle prie pour ceux qui ne croient pas en Jésus-Christ, afin qu’à la lumière de l’Esprit-Saint, ils soient capables eux aussi de s’engager pleinement sur le chemin du salut d’une part ; et d’autre part pour ceux qui ne croient pas en Dieu, pour que sous le regard de Dieu, ils aillent avec un cœur sincère à la connaissance de la vérité.
L’Eglise aujourd’hui ne tient pas un discours péjoratif sur le vodun et ne saurait en tenir. Ne recyclons pas les discours du passé sous prétexte que nous dénonçons des discours péjoratifs, mais proposons des choses nouvelles dans des discours mélioratifs pour avancer.
Dans quelle rubrique allons-nous ranger nos amis, les vodunnon ? Dans ceux qui ne croient pas au Christ ? Ou dans ceux qui ne croient en Dieu ? Ils croient en Dieu, puisque Dieu est présent au cœur du panthéon vodun et surtout situé au sommet des divinités. Donc personne en Eglise ne tiendra de discours péjoratifs sur eux.
«Il y a un temps pour l’apologie et il y a un temps pour l’apostolat ou l’apostolicité.»
Mais nous serons plutôt très exigeants vis-à-vis d’eux pour leur bien et pour qu’ils ne restent pas à la traîne. Qu’ils aient des couvents sérieux d’initiations reconnues et non des gens qui profitent de l’influence vodun pour escroquer. Si quelqu’un veut s’initier au culte d’Egoun, qu’on sache qu’il y a tel nombre de couvents d’initiation dans le pays ; et ils peuvent imiter nos congrégations religieuses à cet effet, étendre l’initiation sur 5 ans, à partir de la déclaration d’intention de l’adepte, que j’appelle le temps d’aspiranat, puis un an ou quelques mois bien définis de prépostulat, un an de postulat, et trois ans d’initiation. Et étaler ces étapes sur les différentes régions du pays, pour que l’initié quand il va sortir au bout du processus, sache qu’il est acceptable dans n’importe quel couvent du culte adopté et qu’on le reconnaisse dans le registre de ce couvent au plan national.
On peut faire pareil dans tous les autres couvents et faire bouger tous nos vodunon. J’ai pris l’exemple d’Egungun, mais cela vaut pour tous les autres cultes Oro, Mami, Sakpata, Hebiosso. Quand on va y mettre ce sérieux, on nous prendra au sérieux et on pourra plus traiter en partenaire et là on portera mieux, loin et plus haut notre culture, plutôt que de rester à rechercher des arguments pour se défendre tout le temps. Il y a un temps pour l’apologie et il y a un temps pour l’apostolat ou l’apostolicité.
Bénin Intelligent : Certains chrétiens estiment que les Vodun days semblent être une réponse aux progrès de l’évangélisation, de conversion. Qu’en pensez-vous ?
Père Hermann Juste NADOHOU-AWANOU : Je ne pense pas pareil. Évitons les amalgames. L’initiative des Vodun days est une initiative heureuse à part entière et entièrement à part, en ceci qu’un contenu nouveau est donné, qui, pérennisé, deviendra tradition pour les cultes endogènes. On pourra avoir des textes écrits et quitter le registre de l’oralité et de l’approximation. Et l’on comprend dès lors que le vodun n’est pas que spiritualité, mais aussi arts, culture, tourisme.
En matière d’arts, de la culture, du tourisme et de vente de la destination Bénin qui ne s’arrête pas qu’à Ouidah, l’initiative est belle et digne d’être saluée. Mais au finish, qu’est-ce que le Bénin y a gagné ? Qu’est-ce que les Béninois y ont gagné ? On me parlera de devise et j’encouragerai la chose pour avoir fait du tourisme en terre sainte d’Israël et avoir vu l’effervescence touristique permanente et non périodique, et où des musulmans et des non-chrétiens vendent des chapelets et des objets de piété et parlent comme guides touristiques de Jésus. Pouvons-nous en venir à cette étape un jour ?
A l’heure du bilan, on appréciera. On ne va pas se jeter tout de suite sur les organisateurs et fustiger des comportements de caravaniers qui ont heurté des sensibilités et des moralités, pour condamner totalement le fait. L’initiative est belle, mais elle doit être plus inclusive et ouverte à toutes les autres sensibilités religieuses.
1 Commentaire
Excellente interview de mon ancien Père Conseiller spirituel, d’un niveau spirituel très élevé. J’ai vraiment aimé.