Grand journaliste, il était souvent avec Lucien Houedanou, une autre Plume de l’Hebdo ID ou Ivoire Dimanche en Côte d’Ivoire. Jérôme Carlos est un témoin du siècle et des bouleversements sociopolitiques en Côte d’Ivoire et au Bénin, et dans le monde. Il était historien, journaliste et écrivain. Il a vécu.
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1.Temps des Albatros
J’avais créé un Club de Lecture au Centre Culturel français d’Abidjan qui faisait l’événement autour d’un auteur et ses publications. Le Club a fait bouger les choses, par le bouillonnement des Idées à la veille du multipartisme en Côte d’Ivoire. Une colonie béninoise logeait les exilés provenant des dernières grèves au Bénin, en cette fin de la décennie 80. Le pouvoir du parti unique de Mathieu Kérékou était aux abois; et la répression alimentait la fuite des patriotes menacés d’arrestation. J’étais de la cohorte de 85.
2.Créativité béninoise en Côte d’Ivoire
J’ai conçu l’idée du Cercle littéraire que Nardi a converti en Club de Lecture. Michèle Nardi était la bibliothécaire du CCF d’Abidjan et Georges Courrèges, le Directeur.
Il avait été créé le 21 janvier 1988, jour de mon 28e anniversaire. J’étais en exil, sous la protection du Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR), boursier et futur allocataire de la Fondation Otto Benecke. Ce fonds allemand aidait la jeunesse africaine en désespérance de liberté et de la protection de leurs États respectifs: Béninois, Centrafricains, Tchadiens, Cap Verdiens, Angolais, Sud-africains, Burundais, Rwandais, Éthiopiens, Sierra-Leonais, Libériens, des deux sexes.
Jérôme Carlos était souvent l’animateur pour les grandes pointures de la littérature africaine, mondiale: Bernard B. Dadié (Ivoirien), Were Were Liking (Camerounaise), Souleymane Koly (Guinéen), Zady Zaourou (Ivoirien), Charles Nokan (Ivoirien)…
3.Grotte du CCFA
Le CCFA était une sorte de grotte, surplombée par l’architecture pyramidale d’un immeuble ouvrant sur le grand carrefour, en partant du pont Charles de Gaulle à l’Ouest, qui permettait aux bus de la société de transport abidjanais (SOTRA), de replonger dans la cuvette à l’Est, vers l’université et Bingerville, ou les directions de Williams Ville ou Yopougon ou Niangon.
De même que le CCFA recevait la descente menant au boulevard de la République au Nord, avec ses grands arbres datant du temps colonial et décolonial, ombrageant la circulation dense du plateau, et dont le vrombissement des moteurs, les cris des passants étaient orchestrés par les caquètements des nombreuses chauves-souris qui ne lésinaient pas sur les déchets de leur ventre, à tous vents.
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Jérôme Carlos arpentait les escaliers, les couloirs de la bibliothèque, louvoyant entre les rayons surchargés de livres de toutes les dimensions, attendant l’heure de l’animation et l’afflux des lecteurs, fidèles au Club de Lecture. L’atmosphère résonnait de temps en temps du sons de la voix perçante de Michèle Nardi, interpellant Blaise Camara, un vieux travailleur de la maison. Blaise Camara est un métis vietnamien que son père, ancien libérateur de Paris, et rescapé des guerres d’Indochine n’a pas voulu abandonner dans les eaux saumâtres des Viet-Cong. Je ne peux manquer de citer Emmanuel, dont le nom de famille reste dans les brumes du souvenir de la lagune Ébrié qui a tracé une frontière entre le quartier des affaires du Plateau et la grande agglomération de Treichville.
4.Souvenirs liés à Carlos
Jérôme Carlos reste une figure énigmatique, au sourire fleuri, sans fard; et d’ailleurs, son premier roman d’essayiste littéraire est intitulé Fleur du désert. Nostalgique avant la lettre du désert de compétences de cet homme politique des temps de la réforme béninoise ! Poète à ses heures, animateur sous la gouverne de ID, avec un certain Vieyra dont je ne garde pas de souvenir. Je me rappelle de son interpellation, avant la première d’une des Rencontres du Jeudi, nom attribué aux rencontres des membres du Club de Lecture, par les médias abidjanais : «ainsi tu es contre le développement ?»
Il s’était intéressé à mes activités universitaires; je préparais ma thèse de doctorat de Troisième cycle à l’Université Cocody Adjamé, un des nombreux noms avant le récent baptême du nom de Félix Houphouët-Boigny, attribué à ce grand Campus. L’intitulé de ma théorie: CONTRACCULTURATION, avait déclenché ce réflexe grégaire d’un des aînés accros au modèle de la France-Afrique. Ne devrait-on pas chercher du côté de la dialectique, le sens du néologisme?
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Mais, son interpellation m’avait ouvert aux critiques que devrait rencontrer mon projet de thèse, d’élever la vie sociologique autour de l’igname en Afrique de l’ouest, au rang épistémologique de mode de production, de superstructure avec une base économique, au sens marxiste de Formation sociale et économique (FSÉ). Lui et moi, lui le rédacteur à ID et moi, chef attitré du Club de Lecture du CCFA, avons tutoyé le Livre pendant cinq (5) ans: de 1988 à 1993.
5.L’exil n’est pas une sinécure
Le dérapage de la vie politique avec le zouglou et les patriotes de Guillaume Soro que j’ai vus narguer la BAE (Brigade anti-émeute), les premiers pas de Laurent Gbagbo, Francis Wodié, Zady Zaourou (universitaires appelés à la politique), le premier coup d’État de l’ère Henri Konan Bédié, les turpitudes de Robert Guei (putschiste adulé avant d’être assassiné), et les futurs tirs de canon de la rébellion avec les Shérif Ousmane, Koné Zacharia, jusqu’au dénouement avec l’ère de Alassane Dramane Ouattara (la douleur de l’Ivoirité). Toutes ces cacophonies politiques avec leurs conséquences démographiques de meurtres, de génocides, ont séparé les émules de l’animation littéraire au Centre culturel français d’Abidjan, que nous avions été.
6.Revoyure
J’ai revu Jérôme Carlos à Cotonou en 2008, de retour de Bouaké, la capitale de la rébellion; il était le ténor de la fréquence Capp FM. Le petit-frère est allé saluer le grand-frère, revenu avant lui. Il n’y avait pas grande chose à évoquer: nous étions tous deux des hommes d’action; et en tant que tel, chacun restait emmuré dans ses visions et rêves, soucieux de rentabiliser un temps qui fait défaut; autre temps, autres mœurs ! Cotonou, au bord de la lagune Nokoué, était différent de Bidjan, au bord de la Lagune Ébrié.
Ici, c’était surtout les pirogues affublées de moteur ou il y a encore la pagaie classique; là-bas, à Bidjan, il y a surtout le bateau-bus.
7.Où est Jérôme Carlos ?
Grand-frère, où es-tu? Où es-tu parti? Pourquoi ceux qui étaient autour de ton dernier souffle, le souffle des choses plus que des êtres, n’ont pas fermé les fenêtres et les portes, les conduits d’aération ou les nacots pour empêcher l’évasion du Souffle? Une fleur de résurrection dans le désert de l’indicible, ou encore, t’es-tu rendu dans le Laboratoire de la sagacité pour nous pondre un de tes éditoriaux, paroles-enjeux, devant les turpitudes des politicards?
8.Guerrier de la Mahu
Carlos, as-tu sciemment cassé ta Plume pour prendre une retraite qui ne dit pas son nom! Tu t’es dit «je transmets mon agbon à la relève des jeunes».
Il ne peut en être qu’ainsi; le train de la destinée passe, mais la gare, reste. Je reste ébahi devant la montagne octogénaire!
Par Raymond Coovi ASSOGBA, Maître de Conférences des Universités du Cames, double inventeur de la théorie de la CONTRACCULTURATION et de la BOOLOGIE. Ancien de Bidjan.
Tél: (+229) 66114257 / 95840605
E-mail : raskas2011@gmail.com
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1 Commentaire
On reste souvent impuissant face aux événements annonçant le décès d’une situation grande personnalité ; mais, l’écho qu’en donne la presse, atténue la douleur et le désarroi.