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Sylvain N’guessan, analyste, : « C’est une erreur de mettre sur le dos du recul démocratique … les attaques terroristes »

Par Arnauld KASSOUIN
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Le terrorisme prospère sur les inégalités politiques. Cependant, cela ne signifie pas qu’il faut affirmer qu’il existe une compatibilité entre “recul démocratique” et les attaques terroristes. D’ailleurs, les pays sahéliens ont-ils déjà été très démocratiques ? Non, argumente le Dr. Sylvain N’guessan. On ne peut pas réduire la démocratie à l’organisation de simples élections.

Bénin Intelligent: Quelle analyse faites-vous de l’impact de la gouvernance au sahel dans la résolution des conflits à configuration terroriste ?

Sylvain N’guessan: L’histoire des pays sahéliens a connu certaines ruptures, certaines discontinuités. D’abord, des indépendances à la fin des années 80. La période dite du monopartisme et tous les clichés qui vont avec. Puis, la période de 90 au début 2012 qui marque les premières attaques terroristes dans la bande sahélienne. Aussi, il faut évoquer la chute du Guide Libyen qui a fait de toute la bande sahélienne une armurerie à ciel ouvert. De 2012 à 2021, on enregistre plusieurs attaques terroristes dans des pays sahéliens.

Mais le pouvoir central était sous le contrôle de dirigeants civils. Alors de 2012 à 2021, des présidents civils vont essayer d’apporter des éléments de réponses de lutte contre le terrorisme. De 2021 à aujourd’hui, les militaires vont prendre leur responsabilité au Mali, au Burkina Faso et au Niger en vue d’apporter des solutions dans la lutte contre le terrorisme. Voici un peu des moments que je vois avec des réalités différentes. La première période (1960-1990) n’à pas connu d’attaque terroriste. Toujours est-il que les germes des grands conflits qu’on a aujourd’hui datent de cette période.

Avec le nord du Mali, la crise date de 1958. Ce conflit commence lorsque le Nord-Mali va écrire aux colons français, pour demander une autonomie, un accord pour refuser de faire partie du Mali. Les antécédents des crises des années 1958 se poursuivent jusqu’aujourd’hui. L’impact de la gouvernance au sahel dans la résolution des conflits de 90 en 2012 est déterminante. A cette période, les gouvernements vont essayer de se réconcilier avec certains leaders politiques qui vont plus tard accepter certains compromis politiques. Certains seront dans l’administration. Certains vont se retrouver dans d’autres pays comme ambassadeurs ou dans des missions des nations unies… On a assisté un peu à une gouvernance axée sur des compromis politiques, des pays qui manquent de moyens financiers, militaires pour véritablement lutter contre les rebellions.

À partir de 2012 jusqu’en 2021, les civils qui sont dans ces différents Etats vont faire ce qu’ils peuvent. En 2012, les attaques terroristes ont commencé au Mali et cela va se solder par le renversement du président à quelques jours des élections. Haya Sanogo va prendre le pouvoir. Plus tard, d’autres civils seront élus (…). Au Burkina, c’est essentiellement la même chose. Ce sont des civils qui vont essayer de lutter contre le terrorisme comme ils peuvent.

Est-ce possible d’établir un lien entre recul démocratique en tant qu’ordre de gouvernance et l’explosion du terrorisme au sahel ?

Ça dépend de ce que vous appeler démocratie ici. Le régime de M. Blaise Compaoré était-il, un régime démocratique ? Les différents régimes civils qui se sont succédés au Mali depuis 2012, peuvent-ils être appelés démocraties ? Suffit-il d’organiser des élections avec des urnes et proclamer certains résultats pour estimer être dans un régime démocratique ? Toujours est-il qu’on connait à peu près les conditions dans lesquelles naissent les mouvements terroristes. C’est l’absence de l’Etat. Ce qui induit inéluctablement le fait que des populations soient livrées à elles-mêmes. D’autres ne reçoivent pratiquement rien de l’Etat en termes de politiques publiques. Parfois oubliées, ces populations sont marginalisées dans la répartition du fruit de la coopération sociale. Alors, dans un premier temps, ce sont des populations qui se prennent pour des résistants, des gens qui veulent rétablir l’ordre, des gens qui veulent se faire remarquer par le pouvoir central. Ceux-ci finissent généralement dans l’enrôlement terroriste.

« Il n’y a jamais eu de démocratie dans cette partie du monde. »

Le recul démocratique ne date pas des coups d’Etat. Il y a longtemps quand-même que des parties entières du Burkina, du Mali ou du Niger étaient abandonnées. Les populations sont livrées à elles-mêmes. Pas d’infrastructure, pas d’école, pas d’accès à l’eau potable, pas d’électricité. C’est aussi difficile de s’établir des pièces d’identité. Je pense que c’est une erreur de mettre sur le dos du recul démocratique et les coups d’Etat, les attaques terroristes.

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En quoi la démocratie libérale pourrait-elle être un régime de paix ? Pensez-vous qu’elle soit un rempart contre le terrorisme ?

Oui, je le pense. Sauf que la démocratie libérale est généralement considérée comme un idéal dans nos Etats. À moins que vous ne réduisez la démocratie libérale à l’organisation d’une certaine élection avec des résultats qui sont proclamés. Si c’est cela être dans une démocratie libérale, bon, on en trouve dans plusieurs pays. Mais s’il faut tenir compte des incidences : pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple là ça devient assez complexe. Je puis vous dire que les élections dans les pays précités n’ont pas amené les dirigeants à se soucier des préoccupations de certaines localités des pays. La redevabilité, est-ce que les populations se reconnaissent dans le pouvoir central ? Est-ce que le pouvoir central lui-même se sent obligé d’apporter des éléments de réponses quant à l’amélioration des conditions de vie et de travail des populations de ces localités-là ?

Il est un peu difficile de parler de démocratie libérale dans cette partie du monde. S’il y a démocratie libérale, les populations ont des éléments de réponses tels que : l’égalité des chances, il y a la liberté de tous devant la loi, l’état de droit, le pouvoir central rend compte. De même, si un contrôle parlementaire, les lignes budgétaires sont gérées en toute transparence et lucidité. Là bien sûr que cela peut freiner l’expansion du terrorisme si la démocratie libérale répond aux principes mentionnés. Bon, si les choses sont gérées en toute opacité, les ressources naturelles sont exploitées sans que les populations environnantes n’en voient le fruit, l’incidence sur leur mode de vie, les populations seront vulnérables au discours radicaliste.

La démocratie libérale, il ne faudra pas la limiter à des urnes dans certaines localités qui sont bourrées ou cassées parfois avec des résultats proclamés. Et un président dit-on est démocratiquement élu. Ce serait vraiment réduire la démocratie libérale. Ce serait vider la démocratie libérale.

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Confirmez-vous l’assertion du géographe Saturnin Ndong selon laquelle la démocratie dans les pays du Sahel est un vain mot ?

Il n’y a pas que la bande sahélienne. Si vous entendez par démocratie, le fait d’envoyer quelques urnes dans certaines localités, ou plusieurs populations ont été abandonnées, avec une commission électorale redevable au candidat sortant (…) Si c’est cela la démocratie, on en trouve un peu partout en Afrique. Mais s’il faut tenir compte du contenu, du sens profond, des principes, des enjeux et des défis, on ne peut même pas parler de vain mot dans la bande sahélienne. Parce que depuis les années 60 est-ce que cette partie du monde a été une fois gérée de façon démocratique ?

En Afrique de l’Ouest, quelques Etats marquent la différence. Le Cap-Vert, le Ghana, le Bénin plus ou moins. Le Sénégal fait quelques efforts même si le président Macky Sall laisse un bilan un peu trouble. Parler de démocratie, comme vain mot, ce n’est pas seulement dans la bande sahélienne. C’est une affaire qui concerne la grande majorité des pays de la CEDEAO et une grande majorité des pays de l’Afrique centrale. Pour moi, il n’y a jamais eu de démocratie dans cette partie du monde.

Serait-il possible de promettre une sécurité absolue, ou l’éradication du terrorisme dans un espace géographique déterminé et de surcroît au sahel ? Promettre, qui promet à qui ?

C’est une lutte qui est engagée contre le terrorisme. C’est une approche holistique, systémique. L’éradication du terrorisme, ça va demander du temps. Parce que la solution, ce n’est pas forcément le tout militaire. C’est vrai que les forces de défense doivent affaiblir les mouvements terroristes. Mais aussi, il faut écouter la source d’approvisionnement des mouvements terroristes, à savoir la jeunesse. Elle est livrée à elle-même, vulnérable.

En conséquence, il faut tout un ensemble de solutions sociales. Un système éducatif viable, l’employabilité des jeunes, le financement des projets de ceux qui n’ont pas pu être scolarisés et même de ceux qui sont scolarisés et qui souhaitent se prendre en charge. Des infrastructures qui relient les différentes régions de sorte à faciliter le commerce, l’écoulement des productions des zones rurales, l’accès à l’eau potable, un système de santé et un soutient des couches vulnérables. Tout ça, ajouté à l’action militaire peut éradiquer le terrorisme. Cela va demander du temps. Surtout qu’il n’y a pas de solution collective dans l’espace CEDEAO.

« La lutte contre le terrorisme demande des projets de constructions d’écoles, de centre de Santé. »

Les trois pays sahéliens ont suscité dernièrement l’alliance des Etats sahéliens mais ça ne suffit pas. Il faudrait que les autres Etats apportent leur soutien à cette lutte qui demande une solution de la CEDEAO et non une solution de quelques Etats. C’est à cette allure là que nous pourrions éradiquer le terrorisme non pas seulement dans la bande sahélienne mais dans toute la CEDEAO. Donc voilà, il faudra sortir de nos incompréhensions ou de nos querelles de sorte à réunir tous les pays de la CEDEAO autour d’une table pour susciter l’Etat-major de la CEDEAO. Avec en ligne de mire les approches tactiques, opérationnelles et stratégiques dans la lutte commune contre le terrorisme. À mon avis, c’est ainsi que nous parviendrons à éradiquer le terrorisme.

À quoi renvoit selon-vous les défis auxquels la démocratie est confrontée dans la gestion de l’antiterrorisme au Sahel ?

La lutte contre le terrorisme demande d’énormes moyens. Or malheureusement, aussi bien dans la bande sahélienne que dans les Etats côtiers, les moyens, nous n’en disposons pas assez. Il faudra de ce fait prendre l’argent sur d’autres lignes du budget à l’exemple des projets sociaux. Malheureusement, la lutte contre le terrorisme demande des projets de constructions d’écoles, de centre de Santé. Également de financement des jeunes, multiplier les budgets alloués aux forces de défense, à l’équipement militaire, aux munitions, (…) les premiers défis, c’est çà.

Nous n’avons pas de grands moyens et donc nous sommes obligés de sacrifier des lignes entières de nos budgets pour les concentrer sur les lignes de défense et de sécurité. Il va falloir un juste équilibre entre la solution militaire et la solution sociale. C’est à ce prix là qu’un régime démocratique pourrait faire avancer les choses. Sinon, il y a aura toujours mécontentement de la part des populations parce qu’elles se sentent abandonnées. Alors que l’Etat qui ne dispose pas de grands moyens ne peut que prendre l’argent ailleurs pour financer la solution militaire. Et les zones qui sont occupées par les groupes armés terroristes, c’est difficile en cas d’élection d’y aller pour poser des urnes et faire voter des populations. Ce n’est pas possible en toute honnêteté. Dans ce contexte lorsqu’il y a élection, les populations ne se sentent pas concernées par les résultats de ces élections.

Elles ne reconnaissent pas généralement celui qui a été élu parce qu’elles n’ont pas pu participer aux élections. Une réalité qui n’est pas aussi la faute du pouvoir central qui a organisé les élections. Simplement parce que, ces territoires sont occupés par des groupes armés terroristes.

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