« Mise en place terminée pour 9h 30 » Ce jeudi 8 février matin, les contrôles ont pris un peu plus de temps. Une trentaine de journalistes étaient invités à la conférence de presse du chef de l’État à laquelle Bénin Intelligent a pris part. Le filtrage a retardé l’installation à temps dans la salle des ambassadeurs de la présidence.
Les membres de la Direction de la communication les attendaient déjà sur le perron carrelé noir que martèlent les pairs de chaussures. Déférant au dress code, les professionnels des médias ont tous adopté une présentation vestimentaire particulièrement soignée pour la circonstance. Maxime Ahotondji s’était positionné au bas niveau. En dernier rang, Wilfried Léandre Houngbédji, le directeur. « Vous êtes en retard », lance-t-il fraternellement aux journalistes qui se hâtent de franchir la kyrielle d’escaliers.
Dans la salle, la climatisation est rude. Du moins pour les habitués au chaud climat des rues de Cotonou. Serge Nonvignon, l’autre membre de la Dircom accueille chaleureusement et installe. Lorsque tout le monde fut en place, Wilfried Léandre Houngbédji déroule sa compétence au poste. Il anime une petite séance de briefing. En substance, « nous en avons pour une heure », dit-il, évoquant ensuite quelques sujets d’actualité aussi bien béninoise qu’africaine que le chef de l’État souhaite aborder.
Aussi, a-t-il voulu recueillir les intentions de questions. Là, tous les doigts sont énergiquement debout. Il faut rationaliser. Wilfried Léandre Houngbédji, inspiré, recommande une concertation par type de média. Nous de la presse écrite retenons finalement Paul Amoussou (DP La Nation) pour porter nos questions, une ou deux au maximum comme exigé.
Pas des ”relayeurs”
Quelques instants plus tard, le chef de l’État apparaît, artistiquement paré, frais et nous souriant. On se lève, il s’installe. Au pupitre, le président Patrice Talon ne délivre aucun mot liminaire. Sa petite introduction a été de justifier l’idée de la conférence de presse. «J’ai répondu à la demande de certains parmi vous» de vous rencontrer. «Je n’ai pas l’habitude de m’acquitter de ce devoir», reconnaît le chef de l’État.
Cet aveu, il faut le décoder. Juste après les Vodun days, la diffusion d’une interview du chef de l’État avec la presse étrangère avait fâché dans la presse béninoise. La présidence a été sévèrement critiquée de confiner les professionnels et les médias autochtones dans un rôle de ”relayeurs”. Désormais, le président promet corriger le tir. Hors micro il a même promis une rencontre sous peu consacrée aux réformes de la presse nationale. La question, Gérard Agognon (DG L’Événement Précis) et Moudachirou Soubérou de L’Autre quotidien) ont insisté à la soumettre à l’hôte.
Revenons au pupitre. « Je suis à vous, qu’est-ce que vous voudriez savoir ? » lance-t-il après les civilités.
Révision de la Constitution
Première question : révision de la constitution qui relance les suspicions sur son départ effectivement en 2026. Auteur : Jean-Luc Akplogan, correspondant de RFI et promoteur de Bip Radio. Le sujet a constipé le climat politique ces dernières semaines. Le président Patrice Talon avait dû engager une offensive pour obtenir le consensus autour. Il s’attendait alors naturellement à cette question. Dépossédés de nos téléphones et enregistreurs à l’entrée, difficile de dire exactement combien de temps il a passé à s’expliquer sur le sujet, à justifier tel aspect et à regretter des travestissements, des ragots, les ”polémiques politiciennes”. «Il est temps que les polémiques ne continuent pas d’animer notre quotidien», souhaite l’homme.
De toute évidence, le sujet de révision de la constitution a bénéficié du temps. Patrice Talon rassure qu’il n’est animé d’aucun opportunisme. «Moi, je suis partant». Il démontre que la “retouche/révision technique” comme il l’appelle, ne vise qu’à rétablir l’égalité. Il reprend ainsi les mêmes motifs contenus dans la proposition du député Assan Seibou (Br).
Celui-ci propose une révision partielle de la loi fondamentale. Notamment une profonde modification de l’article 153 et l’article 42. La révision souhaitée, expose le porteur, devrait permettre de rétablir la prééminence de l’élection du président de la République sur les scrutins communaux et législatif. Aussi, la proposition permettra de satisfaire aux principes de l’égalité et de légitimité des parrains suivant l’injonction de la Cour constitutionnelle à travers la DCC n°24-001 du 4 janvier 2024.
En effet, en l’état actuel du dispositif, certains élus auraient parrainé en ayant perdu les élections ou en n’étant plus candidats à ces élections. «C’est contraire à l’éthique», commente le président Patrice Talon. Les autres motifs concernent la modification des dates de tenue des différentes élections dans le cycle électoral et enfin, le renforcement de la limitation à deux du nombre des mandats présidentiels.
Le président Patrice Talon reconnaît «qu’il y a chevauchement entre 4 à 5 jours, chevauchement qui n’a pas été perçu en 2019». Le calendrier électoral actuel fixe les communal et législative en janvier 2026 et le premier tour de la présidentielle bien plus tard, en avril. « L’organisation des élections législatives et communales avant celle du duo président de la République et vice-président de la République n’est pas conforme à la nature présidentielle de gouvernance politique, économique et sociale », relève le député Assan Seibou.
Malice
La révision engagée, le président Patrice Talon insiste n’avoir rien à y tirer personnellement. Il s’offusque d’ailleurs de la suspicion du 3e mandat qu’on impute désormais à tout le monde dans la sous-région. « On confond les réalités du Bénin à d’autres de la sous-région. Désormais on soupçonne tout le monde de vouloir toucher aux dispositions constitutionnelles ».
Pourtant, il croyait le Bénin à l’abri. Avec « la modification de 2019, nous avons espéré régler définitivement cette question en disant qu’«aucun vivant au Bénin ne peut faire plus de deux mandats en qualité de président de la République… J’ai vu la proposition du député Assan Seibou. Il n’y a pas mis qu’on sorte cette phrase de la constitution. Je crois que personne, aucun Béninois n’osera enlever cette phrase, qui est désormais un acquis ».
Lors de la révision de 2019, rappelle Wilfried Léandre Houngbédji sur la télévision nationale, le parlement jugé monocolore était à 100% acquis au président Patrice Talon. Il avait donc la main de tripatouiller plus tôt la Loi fondamentale. Il déduit que la polémique sur un 3e mandat de Talon n’est pas fait par les «béninois authentiques». Elle est malicieusement entretenue par une classe politique qui n’a rien à se mettre sous la dent.
Patrice Talon, dans la même veine, révèle lors de la conférence qu’il a dit aux Démocrates : «Vous avez le nombre qu’il faut pour n’accepter aucune révision contraire à vos aspirations ». Et de conseiller alors de ne pas entrer dans les “polémiques politiciennes”. Patrice Talon rassure qu’il n’est pas atteint de la tentation du 3e mandat. «Moi, je suis partant». En guise de preuve de sa bonne foi, il dévoile avoir dit aux partis politiques, notamment ceux représentés à l’Assemblée nationale, qu’il a récemment reçus, qu’il est même favorable à une réduction de son mandat. «Je leur ai dit : même si vous voulez que je parte 2 ou 3 mois avant, je partirai. Car en 10 ans ce que je n’ai pas pu faire ce n’est pas en 3 mois que je le ferai.»
Succession, retraite anticipée…
Quelque peu outré par la tournure, les interprétations parfois tendancieuses suscitées par l’idée d’une nouvelle révision. Le président Patrice Talon estime que les médias ne jouent pas convenablement leur rôle de sensibilisation, de décryptage dépassionné de l’actualité, de clarification du débat. «Parfois je suis outré par la timidité des médias», dit-il d’un ton grave.
Une chaleur étreint toute la salle. Dans le calme profond que seuls les hauts parleurs dominent, la gêne des journalistes se ressent. L’interlocuteur enfonce le clou : il reproche aux médias de relayer parfois des inexactitudes, eux qui devraient éclairer l’opinion sur ce genre de débat. « Je ne vois pas le débat se faire », martèle le chef de l’Etat.
Johannes Dagnon, Olivier Boko voire Romuald Wadagni. Dans le cercle des fidèles collaborateurs, des ambitions présidentielles réelles ou supposées foisonnent. Sur sa succession, Talon assure ne pas penser à hisser un dauphin qui protègerait ses intérêts. « Moi, je n’ai pas besoin d’assurer mes arrières ». En 2026 donc, « Le meilleur candidat c’est celui qui est loyal au Bénin, pas à Patrice Talon ».
Autre sujet : le président Patrice Talon assume la retraite anticipée de 1074 éléments des Forces de défense et de sécurité. Les avantages accordés aux concernés sont « extraordinaires ». « Au plan financier je ne vois aucun État au monde le faire ». « Si un papa ne paie pas la ration alimentaire, qu’il ne dise pas c’est parce que je suis à la retraite anticipée », a-t-il conclu.
Patrice Talon apparaît en somme comme un chef d’État bien conscient de la fin de son règne ; et qui tient à laisser un pays apaisé. Les propos guerriers de la trempe de «Vous allez en souffrir mais vous ne pouvez rien faire» disparaissent au profit d’un langage conciliant.