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Débat écrit sur le terrorisme et la démocratie entre Dr. Karina Mross et Dr. Sven Grimm

Par Arnauld KASSOUIN
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La véritable politique aujourd’hui doit se comprendre comme une activité morale noble qui hait la violence. Pour mieux appréhender la compatibilité entre terrorisme et Démocratie au Sahel, Dr. Karina Mross, chercheuse séniore et Dr. Sven Grimm, Chercheur principal et responsable du programme de recherche “Coopération inter- et transnationale” à l’institut allemand, German Institute of Development and Sustainability (IDOS), ont tous deux exposés le parallélisme qu’on peut faire entre les deux terminologies précitées.

Bénin Intelligent: Quelle est votre analyse de l’état de la démocratie dans les pays sahéliens tels que le Mali, le Burkina Faso et le Niger ?

Dr. Sven Grimm: Le régime militaire et la démocratie s’excluent mutuellement. Car une organisation strictement hiérarchique est mal équipée pour organiser une société diversifiée. Il existe des groupes au sein des sociétés du Sahel pour organiser les différents intérêts. Mais croient-ils aux règles de la gouvernance démocratique et sont-ils assez forts pour donner le ton? Peuvent-ils générer un imaginaire positif de l’avenir où les gens sont écoutés, partagent des valeurs fondamentales et respectent les règles même s’ils n’en tirent pas un bénéfice immédiat?

Dr. Karina Mross: Oui, les putschistes ont mis en place des régimes militaires. Ces derniers, ne se reposent pas sur des principes démocratiques. On ne sait pas si et quand ils seront prêts à accepter une transition vers la démocratie. Au moins au Niger, la société civile s’était engagée à renforcer la démocratie avant le coup d’État. Mais la junte militaire actuelle bénéficie d’un fort soutien au sein de la population.

Dans quelle mesure la nature d’un régime politique influence-t-elle la problématique de la guerre et de la paix à l’intérieur d’un État ?

Dr. Sven Grimm: Si des groupes empêchent systématiquement les autres d’accéder aux possibilités d’une vie meilleure (en termes politiques : d’accéder au pouvoir). Et même s’ils se fondent sur des coalitions majoritaires – les minorités deviennent frustrées. À un moment donné, la violence peut être considérée comme le dernier recours, la seule issue. Dans le même temps, la pauvreté peut corrompre les gens pour qu’ils se soumettent à des acteurs puissants. Et ce, dans l’espoir d’une vie meilleure (ou parce qu’ils ont le sentiment de n’avoir rien à perdre).

Dr. Karina Mross: Les démocraties offrent des moyens pacifiques de résoudre les conflits, qui existent inévitablement dans toute société. La population peut exprimer ses griefs et, si ceux-ci ne sont pas suffisamment pris en compte, voter pour que le gouvernement quitte le pouvoir – pacifiquement. Les régimes autocratiques ont souvent recours à la répression pour étouffer les voix dissidentes. Il en est de même pour les demandes de participation et de droits accrus. À court terme, cela peut fonctionner et créer une certaine stabilité. Mais à plus long terme, les problèmes ne sont pas abordés. Ce qui peut entraîner un conflit violent à un moment donné si les moyens pacifiques de contestation ne sont pas possibles.

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Sur quels fondements repose l’idée que la démocratie instaure la paix, sachant que la démocratie n’a pas été conçue dans un premier temps pour traiter les guerres civiles, les sécessions et les rébellions armées?

Dr. Sven Grimm: La démocratie peut être considérée comme un mécanisme fondamental de résolution des conflits au sein des sociétés. Grâce aux intérêts divergents sont discutés ouvertement et équilibrés par le biais de compromis et de coalitions changeantes. Ce mécanisme exige toutefois une discussion ouverte et est sensible aux déséquilibres de pouvoir. Si des personnes ou des groupes utilisent leur pouvoir pour étouffer les échanges ouverts et parviennent à dominer d’autres groupes sans possibilité de changement de pouvoir, le système devient instable.

Le groupe dirigeant doit toujours être ouvert aux alternatives. L’idée clé est le principe “Que la meilleure idée gagne”. Qu’il y ait des règles pour une concurrence équitable des idées. Les démocrates peuvent débattre de la meilleure façon de gérer un pays. Attendu qu’ils partagent la même foi dans les règles fondamentales. Si tel est le cas, chacun devrait être fortement incité à maintenir le système. Car si vous perdez un argument aujourd’hui, les règles garantissent le fair-play, de sorte que vous puissiez essayer de gagner l’argument demain en convainquant les gens de vos idées à l’avenir.

Dr. Karina Mross: En effet, la démocratie n’a pas été conçue pour faire face aux guerres civiles et aux rébellions armées. Mais un système démocratique qui fonctionne peut prévenir de tels conflits violents, étant donné qu’il existe d’autres moyens. D’autres moyens moins coûteux – de se disputer le pouvoir et de répondre aux griefs. Souvent, ces types de conflits sont alimentés par l’exclusion et la marginalisation de groupes sociaux spécifiques qui seraient protégés. Et dont les droits seraient inscrits dans une constitution démocratique. Même lorsque des inégalités subsistent dans les systèmes démocratiques, il existe des moyens de sensibiliser. Même de protester contre ces inégalités et d’exiger une plus grande participation par le biais de canaux démocratiques.

Quels sont les principaux défis auxquels la démocratie est confrontée dans la gestion de l’antiterrorisme au Sahel ?

Dr. Sven Grimm: Tout d’abord, si un groupe a recours à la violence, il utilise des moyens non démocratiques pour régler un différend. La violence individuelle échappe à la gouvernance démocratique. Cependant, si une démocratie est attaquée, elle a le droit de défendre ses valeurs. De même que de protéger la majorité de la domination d’une minorité (sans se transformer en tyrannie de la majorité, comme on l’a dit). La question de savoir ce que sont les droits individuels et les droits collectifs est source de tension. Par exemple, nous devons garantir la liberté de religion (au niveau personnel). En revanche, où les questions religieuses deviennent-elles dominantes dans la vie publique ?

La pauvreté et les inégalités criantes sont des défis majeurs pour toute société démocratique. En effet, elles ont des effets négatifs sur “l’échange ouvert entre égaux”, sur lequel repose la démocratie. La cupidité des élites est également un défi. Il convient de distinguer ce qui relève de “l’État” et ce qui relève de la “propriété personnelle”. Les dirigeants ne devraient pas avoir un accès illimité aux fonds et aux biens. En particulier lorsque les finances sont utilisées pour étouffer le mécontentement. Enfin, par principe, les règles doivent être générales et traiter tout le monde de la même manière.

Dr. Karina Mross: Les pays confrontés à la violence politique telle que le terrorisme sont souvent menacés de sécurisation et de militarisation. Les principes démocratiques étant subordonnés aux préoccupations sécuritaires, ce qui peut finir par nuire à la démocratie elle-même.

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Comment les implications des transitions politiques, des dynamiques politiques internes et des crises institutionnelles peuvent-elles entraver les stratégies de lutte contre le terrorisme au Sahel ?

Dr. Sven Grimm: Une démocratie qui lutte contre une minorité violente doit toujours s’efforcer d’être efficace. Tout en ne portant pas indûment atteinte aux droits des personnes non impliquées. Le fait d’empiéter sur les droits des personnes sape l’acceptation (la légitimité) du système. Les démocraties s’appuient toujours sur la confiance fondamentale de chacun dans le fait qu’un jour, mon argument pourrait l’emporter”. L’ouverture et la transition vers un nouveau cadre s’accompagnent toujours d’incertitudes et de risques. Si les groupes puissants ne respectent pas les règles du jeu, comment les amener à s’en tenir aux règles fondamentales. Surtout des règles telles que l’égalité de tous les êtres humains, indépendamment, de leur croyance, de leur richesse, de leur sexe, etc.

En quoi la démocratie peut-elle contribuer favorablement à la lutte contre le terrorisme au Sahel, en plus des mécanismes de médiation, de dialogue, du respect des droits de l’homme et de la participation politique ?

Dr. Sven Grimm: La démocratie est constituée de tous ces éléments. Les principes sont importants. Les élections sont importantes (ainsi que leur procédure fondamentale : une personne, une voix). Mais la démocratie repose également sur le respect des droits de l’homme, tels que la liberté d’expression et la liberté de réunion, afin de garantir la concurrence pacifique des idées.

Dans toutes les démocraties, l’équilibre entre les droits des groupes et les droits des personnes est une question délicate. Lorsque les gens ont plus envie de faire partie d’un groupe culturel, politique ou religieux que de l’État tout entier, et qu’ils n’autorisent pas les identités multiples, la situation devient plus difficile. C’est là que des philosophes comme Rousseaux deviennent problématiques. Puisque la décision de la majorité ficelle les règles, mais ne peut pas supprimer les expressions individuelles et faire disparaître notre diversité en tant qu’êtres humains. Le “peuple” peut être composé de groupes aux caractéristiques très différentes. La “volonté générale” a toujours des limites à ce qui peut être décidé et où la liberté individuelle est inviolable. Ces points sont négociés au sein des sociétés et ne peuvent être imposés de l’extérieur.

Les organisations internes et les institutions sont importantes et peuvent également contribuer à la reconnaissance des droits des groupes. Il n’y a jamais qu’une seule façon d’organiser la démocratie – l’Allemagne, la Suède, l’Afrique du Sud ou le Ghana ont des structures institutionnelles très différentes. Les présidents ont des pouvoirs différents, la Suède a même un roi (essentiellement cérémoniel) et le Ghana a de nombreuses autorités traditionnelles à différents niveaux. Leurs institutions sont organisées différemment, avec des territoires divisés en États, provinces ou régions, et des droits et devoirs différents pour les municipalités. Et pourtant, tous sont des démocraties.

Dr. Sven Grimm

Dr. Karina Mross: Contrairement aux régimes plus autocratiques qui élaborent des politiques pour satisfaire une élite restreinte, les démocraties doivent, de par leur conception, répondre aux besoins et aux préoccupations de la majorité de la population. C’est généralement l’absence de perspectives, l’inégalité et l’exclusion qui permettent au terrorisme de s’enraciner dans la société. Aussi, de gagner le soutien populaire et de mobiliser les gens à sa cause. Grâce aux mécanismes que vous mentionnez, les systèmes démocratiques sont davantage incités à s’attaquer à ces problèmes. Mieux, ils ont une position privilégiée pour aborder les causes sous-jacentes du terrorisme. Plutôt que de se concentrer uniquement sur la menace immédiate pour la sécurité.

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