Fatima, 12 ans, est prise de force. On lui porte des explosifs avec cadenas dans le dos. Ses bourreaux l’assurent qu’elle est choisie par Dieu pour accomplir cette mission. Laquelle consiste à se faire exploser au cœur d’un marché grouillant de monde, de femmes, de bétails, d’enfants. Un monde heureux qui échange gaiement sans rien pressentir de tragique.
La fille au visage griffé de 4 cicatrices dégage une sérénité et une maturité au-delà de son âge. D’ailleurs, elle n’est pas naïve encore moins ignorante. «Pourquoi Dieu n’a pas choisi ta fille ?», demande-t-elle au ”boss”, le chef terroriste. Elle sillonne le marché, triste mais courageuse. À la mission funeste à elle confiée, l’actrice a ourdi son plan B. Lorsqu’elle retrouve sa mère dans le marché, elle crie. La génitrice comprend aussitôt que sa progéniture est tenaillée par une ronce.
Alors la fille s’enfuit à grands pas. Elle s’éloigne le plus loin possible, jusqu’où une explosion ne dévorerait qu’elle seule. La mère se met à ses trousses. Elle court plus. Puis s’arrête, lève son boubou et fait entrevoir à sa maman les explosifs dont le chronomètre prédit la boucherie pour imminente. La scène s’arrête là, abandonnant le spectateur à ses émotions et lui permet surtout d’imaginer la suite des évènements. De cogiter davantage sur la douleur de cette mère qui s’approche de sa fille; et la fille qui, ne voulant pas faire de victimes collatéraux et qui recule, les yeux larmoyant…
Au nom de quel Dieu ?
L’Envoyée de Dieu, ce court-métrage de la nigérienne Amina Abdoulaye Mamani a gagné la plus grande récompense du Fiff-Cotonou 2024, la 3e édition. La délibération a été unanimement approuvée par les cinéphiles. La preuve, ces ovations nourries de longues minutes. L’œuvre a plongé toute la salle de Canal Olympia dans la tristesse. La chaleur, le suspense et même la colère ont paralysé les centaines de cinéphiles.
Le film est d’actualité. La réalisatrice est ressortissante du Sahel en proie au terrorisme depuis plus d’une décennie. Elle question le djihadisme et surtout ses acteurs : «Pourquoi ils ne sacrifient pas leurs enfants pour aller tuer les autres ? Pourquoi c’est les enfants des autres ? Et au nom de quel Dieu ils font ça ?» C’est davantage impactant et paralysant que ces questions soient mises dans la bouche d’une adolescente raflée pendant qu’elle était au marché.
L’édition 2024 du Fiff-Cotonou, c’est 4 jours de projection de 18 films provenant de 14 pays. Quatre jours de formation, de causerie et de rencontres professionnelles aussi.
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Le jury international de professionnels chevronnés est composé de cinq grands noms du cinéma africain sous la présidence de Liz Gomis, réalisatrice, journaliste et préfiguratrice de la maison des mondes africains. À ses côtés, Sophie Metinhoué, actrice de la planche, Simon Moutairou, Réalisateur, Michel Bohiri, l’acteur influent de la série “Ma Famille” et Matamba Kombila, scénariste.
Le Bénin s’en sort de justesse
5 récompenses étaient sur la table du Fiff-Cotonou 2024. La plus convoitée : L’Amazone d’or du Fiff Cotonou, est le plus grand prix du festival. Il sera attribué à la meilleure fiction. Ensuite, L’Amazone du Documentaire du Fiff Cotonou, réservé au meilleur film documentaire. Puis, L’Amazone du jury du Fiff Cotonou, destiné au film Coup de cœur du Jury. Sans oublier, L’Amazone Tella Kpomahou de la Meilleure Actrice du FIFF Cotonou, et enfin, L’Amazone du Scénario du Fiff Cotonou, promis au film qui aura un meilleur scénario.
Le Fiff-Cotonou inaugurée en 2019 par l’association Écran Bénin dirigée par Cornélia Glèlè, célèbre la créativité féminine dans le domaine du cinéma. L’édition 2024 porte sur le thème : «Le cinéma féminin pour plus de sororité».
Trois béninoises étaient dans la course. Il s’agit de Laurette Yekpon avec Tresseurs de mémoire; Espoir Abogurin avec Le Bilan; et Béhanzin Nelly Brun Elvire, réalisatrice de Corps de femme. Le salut du Bénin est même venue de cette dernière. Elle a remporté le trophée Amazone du meilleur documentaire. Soit, le seul prix obtenu par le pays organisateur. Son film a convaincu le jury. «La réalisatrice a capté des moments qui sont difficiles à capter quand on est documentariste», loue la présidente du jury,
Point des récompenses :
- Prix du Jury : La Tâche, de Tatiane Tchiguia (Cameroun)
- Prix de la meilleure interprétation féminine (Amazone Tella Kpomahou) : Mirror mirror, de Sandulela Asanda (Afrique du Sud)
- Amazone du meilleur documentaire : Corps de femme (Bénin), de Béhanzin Nelly Brun Elvire.
- Amazone du scénario : Au pied du mur (Burkina Faso), de Yasmine Délia Ido Eboubié
- Amazone d’or : L’Envoyée de Dieu (Niger), de Amina Abdoulaye Mamani