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Démocratie et terrorisme: Face au procès, démêler l’écheveau

Par Arnauld KASSOUIN
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Contre le terrorisme au Sahel ou en Afrique de l’Ouest, la démocratie paraît le régime le mieux adapté. Même si acteurs et putschistes motivent hypocritement leur intrusion par le recul démocratique.

Les bouleversements survenus en Afrique après la chute du mur de Berlin ont été très profonds. Certains régimes politiques ont flanché ; dégénérant en violents conflits internes. « Au seuil du troisième millénaire, on assiste en Afrique à une sorte d’implosion, marquée par l’instabilité politique, des coups d’État, des guerres civiles qui rendent le continent si vulnérable à la misère. Ces conflits restent l’un des gros défis de l’Afrique maintenant et dans le futur » prospectait déjà en 2003, Alexis B. A. Adandé. Onze ans plus tard, son analyse ne souffre d’aucune contradiction. Mieux, d’autres problématiques font objet de débat. La démocratie comme modalité d’absorption des conflits à configuration terroriste (terrorisme) par exemple.

Au Sahel ou en Afrique de l’Ouest, la gravité que prennent les conflits intra-Étatiques remet en cause tout ordre de gouvernance. Entre recul démocratique et gouvernement représentatif, didacture et montée du terrorisme, la confusion est totale. Nombreux sont les gouvernants qui ont déjà payé un tribut cher.

Les coups d’État et les instabilités politiques sont devenus quasiment monnaie courante ces dernières années. Le Mali, le Burkina Faso, le Niger, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Bénin et le Sénégal sont tous touchés d’une manière ou d’une autre. Tout agenda démocratique se retrouve donc contrasté. Dans de tels contextes, « il importe » « de faire constater que le fonctionnement d’un État repose sur la nature du régime existant et ce, quel qu’il soit » déduit Dr Saturnin Ndong, géographe. De ce fait, la démocratie qu’elle soit fonctionnelle ou pas dans le contexte sahélien n’a t’elle d’empreinte dans l’existentialité des conflits ? Surtout ceux liés au terrorisme ?

D’abord, il faut relever que le terrorisme est antidémocratique. « Le règne de la terreur ne peut être un attribut de la démocratie ». C’est du moins l’avis de Régis Hounkpè, directeur exécutif d’InterGlobe Conseils. Pour ce dernier, « il ( terrorisme ) annihile toute volonté d’expression et constitue la négation de toute politique visant la paix et la stabilité ». « En théorie, la démocratie et le terrorisme semblent diamétralement opposés », argumente avec fermeté l’analyste des relations internationales Komlan Avoulete. Cet avis, il est relatif observe Jean de Dieu Sovon, Journaliste spécialiste des Droits de l’Homme. À l’opposé de l’analyste des relations internationales, le journaliste pense « qu’il existe vraiment un lien entre ces deux concepts ». Sa position s’explique par le fait que le terrorisme serait une menace pour la démocratie.

À juste titre, dans « La démocratie menacée par le terrorisme » Cyrille Bret, Spécialiste des enjeux de sécurité et défense soutient que « l’attentat ébranle l’édifice social, car il prétend anéantir un modèle de la société, un régime politique et même une civilisation ». Visiblement, le lien existant entre les deux terminologies réside dans le fait que la cible principale du terrorisme soit la démocratie. Ce que traduit le propos « la démocratie est aujourd’hui directement confrontée au terrorisme » de Gonzague You, dans « La démocratie peut-elle lutter contre le terrorisme ? » (revolver.blog).

À analyser le déroulement des évènements de 2020 à 2023 dans la région du Sahel, la plupart des coups d’État ont été unanimement motivés par la dégradation de la situation sécuritaire et le recul démocratique. Ainsi, « Pour le terroriste, la démocratie est la source de tous les maux, elle est un système oppresseur » note Sydney Adama, dans « La lutte contre le terrorisme et le respect des droits de l’homme ».

Fragilité des institutions

Même s’il (le terrorisme ) « surfe sur des inégalités politiques », assertion du Politiste burkinabè Maixent Somé, son expansion est due à la fragilité de nos institutions. Une fois encore est pointé du doigt le type de gouvernance en vue dans les pays touchés au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Autrement dit, « l’échec du processus démocratique dans la région » pèse de tout son poids sur les politiques antiterroristes. Aussi, « la viabilité des États » en est pour beaucoup dans l’explosion du terrorisme, indexe Paul Junior Akue Ella, Doctorant en géopolitique.

Parallèlement, la démocratie en tant que système politique ne souffre d’aucun prétexte pouvant favoriser le terrorisme. Puisque, « la démocratie est simplement un système de gouvernance où le pouvoir est exercé par le peuple, directement ou indirectement », rectifie Hervé Akinocho, directeur exécutif de CROP-Togo. Mise au point partagée par Barbara Stiegler, spécialiste de philosophie politique. Cette dernière va même au-delà en indiquant qu’on utilise le concept « démocratie » à tort. Pour elle on « utilise la démocratie pour tuer la démocratie ».

Bien que la démocratie soit objet de critique dans l’antiterrorisme, Dr Saturnin Ndong, pense que « ce qui devrait d’abord nous interpeller, nous africains, c’est notre compréhension de la démocratie ». Puisqu’une démocratie fonctionnelle en tant que telle n’existe pas. Elle reste un idéal. C’est du marketing politique dira Francis Dupis-Deri, Politiste franco-canadien dans une émission de Thinkerview. Il faut quand-même noter qu’elle (la démocratie) « peut conduire à des conflits lorsque des intérêts divergents s’affrontent dans la gestion de la cité », admet Hervé Akinocho.

En effet, « le recul démocratique, caractérisé par des atteintes aux principes de gouvernance démocratique » sont les facteurs pouvant influer sur la stabilité politique et la sécurité dans la région, contextualise Erwan Florian Kouame, Analyste politique. Une démocratie qui n’a de tête que pour organiser les élections peut malheureusement conduire à des conflits. Et même au terrorisme. Parce que, la non prise en compte des politiques des préoccupations des populations et l’exclusion sont des faits pouvant engendrer « des conflits politiques internes qui fragilisent la cohésion sociale. Ce qui constitue un terreau fertile pour l’expansion du terrorisme » prévient Komlan Avoulete.

« Les différents régimes civils qui se sont succédés au Mali depuis 2012, peuvent-ils être appelés démocraties ? Suffit-il d’organiser des élections avec des urnes et proclamer certains résultats pour estimer être dans un régime démocratique ? » questionne à son niveau Dr Sylvain N’guessan, Directeur de l’Institut de stratégie d’Abidjan. « Je pense que c’est une erreur de mettre sur le dos du recul démocratique et les coups d’Etat, les attaques terroristes » critique ce dernier. La démocratie ou les coups d’État n’ont pas de rapport direct avec le terrorisme. Avec Junior Akue Ella, l’avis n’est pas le même. « L’essor du terrorisme au Sahel trouve en partie son origine dans les errements des États » va-t-il repréciser . L’analyste des relations internationales soutient sa position. Pour celui-ci, sous le chaud soleil des pays africains, « l’absence de démocratie véritable a contribué à créer un environnement propice au développement du terrorisme. »

En clair, bien qu’on ne puisse mettre les attaques terroristes sur le dos de la démocratie, l’extension du terrorisme, sinon son expansion serait possible à cause d’une certaine fébrilité du modèle de gouvernance en vogue sous nos tropiques. Et donc, la démocratie telle qu’elle est mise en application a participé à l’émergence du terrorisme. Le Directeur de l’Institut de stratégie d’Abidjan est également de cet avis. Indexer le recul démocratique comme source d’explosion de la menace terroriste revient simplement à affirmer que la démocratie n’était pas une réalité. Ce qui est vérifiable dans l’ensemble des pays de la région. Puisque « le modèle démocratique tel que appliqué dans ces pays suscite des controverses ».

D’ailleurs, « selon l’index global de démocratie de 2023, seul le Ghana se distingue comme un pays “un peu démocratique” en Afrique de l’Ouest. La majorité des régimes se réclamant de la démocratie adoptent des pratiques contraires à ses principes fondamentaux, favorisant l’injustice, la corruption, la gabegie et le clientélisme ». En d’autres termes, l’instabilité politique et la fragilité des institutions démocratiques dans la région ont contribué de façon exponentielle à l’expansion du phénomène terroriste du Mali vers les pays du Golfe de Guinée. C’est ce que d’aucuns désigneraient par facteurs exogènes. Autrement dit, le terrorisme qui s’invite dans les pays du Golfe de Guinée à sa source ailleurs. Après tout, les « facteurs pouvant favoriser l’émergence et l’extension du terrorisme au Sahel et en Afrique de l’Ouest sont d’ordres exogènes et endogènes ».

Plusieurs mobilités ont permis l’exportabilité de la menace terroriste dans la région. La gouvernance des politiques publiques est plus responsable de l’explosion de la menace à laquelle on assiste. La gouvernance révèle des facteurs endogènes ayant permis l’explosion du terrorisme. « Ce que nous observons au Sahel est le résultat d’une gouvernance défaillante » affirme comme pour conforter l’idée avancée, Hervé Akinocho. De plus, un recul démocratique peut également entraîner un éclatement de la cohésion sociale. Ce qui favoriserait la division et la radicalisation des différents groupes. Cette fragmentation sociale peut rendre plus difficile la coopération et la solidarité nécessaires pour lutter efficacement contre le terrorisme. Le terrorisme vise explicitement à la déstabilisation des démocraties libérales.

Le mot ”terrorisme” doit être utilisé avec prudence car il est à la fois relatif et subjectif. Relatif, dans le sens où les terroristes d’hier peuvent devenir les dirigeants de demain, de même les dirigeants d’aujourd’hui peuvent devenir les terroristes de demain. Subjectif, car l’étiquette de “terroriste” est souvent utilisée pour discréditer l’adversaire et mettre en doute sa légitimité, (Doumbia, 2022, p. 31).

Perspectives

Une démocratie qui « fonctionne bien » est aux antipodes de toute idée radicaliste, de marginalisation, d’une politique régionaliste, d’exclusion, de favoritisme. Les systèmes démocratiques, « ont une position privilégiée pour aborder les causes sous-jacentes du terrorisme », ajoute Dr. Karina Mross, Chercheuse Séniore, de l’institut allemand, German Institute of Development and Sustainability (IDOS). Le recul démocratique peut en effet créer un terreau favorable à l’émergence du terrorisme. En affaiblissant les institutions démocratiques, en restreignant les libertés individuelles et en favorisant les pratiques autoritaires, un tel recul peut nourrir les frustrations. Il en est de même pour les injustices et les sentiments d’exclusion au sein de la population. Ce qui est susceptible de favoriser l’implantation des groupes extrémistes violents. Et conduira plus tard au terrorisme.

La démocratie n’a pas été conçue pour faire face aux guerres civiles et aux rébellions armées. « Mais un système démocratique qui fonctionne peut prévenir de tels conflits violents ( l’extrémisme violent et le terrorisme) affirme Dr.Sven Grimm, Chercheur principal et responsable du programme de recherche “Coopération inter- et transnationale” à l’institut allemand IDOS.

Toutefois, « la démocratie ne saurait être une panacée dans la lutte contre le terrorisme » fait savoir Dr. Saturnin Ndong. Selon lui, une lutte antiterroriste nécessite en amont des stratégies bien encadrées, des équipements militaires. Des technologies de surveillance territoriale plus avancées, des militaires bien formés ainsi que des alliances entre pays sous-régionaux et des partenaires internationaux. Quand on sait que les différents coups d’État survenus au Sahel ont participé quelque peu à l’enlisement du terrorisme, ne peut-on pas croire que la démocratie puisse contrer le terrorisme ? La démocratie peut jouer un rôle important dans la lutte contre le terrorisme en favorisant la participation citoyenne. De même que la transparence, la responsabilité des gouvernants et le respect des droits de l’homme. Une gouvernance démocratique peut également contribuer à réduire les inégalités socio-économiques qui peuvent nourrir le ressentiment et l’extrémisme violent.

Cependant, il est également vrai que certaines démocraties peuvent être fragiles. Parfois, vulnérables aux manipulations politiques, à la corruption et à l’influence des groupes extrémistes. À cet effet, il est essentiel de promouvoir une démocratie solide, inclusive et respectueuse de l’État de droit pour contrer efficacement le terrorisme

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Encadrer

En Afrique de l’Ouest ou au Sahel, la majorité des populations reste attachée à la démocratie. La moyenne, plus de 60% des enquêtés de Afrobarometer dans le cadre du round 8, des pays de la sous région préfère la démocratie. Mais la réalité politique est toute autre. Ce qui explique d’ailleurs, un certain “recul démocratique”. Bien que « les citoyens africains » soient « attachés à la démocratie », « le soutien aux élections a quelque peu régressé ces 10 dernières années ». « La satisfaction quant au fonctionnement de la démocratie est beaucoup plus faible » révèle le document n°85 de Afrobarometer. Le même document à sa page 45 indique que « 50% en 2011/2013 à 43% dans le round le plus récent, des africains sont satisfaits du fonctionnement de la démocratie. Ces derniers font également état d’une montée sans précédent de « corruption institutionnelle ». Le recul démocratique en cours dans les pays de la Cedeao comporte des dangers sérieux pour la paix. En offrant des voies légales pour l’expression des opinions et la résolution des conflits, la démocratie peut contribuer à réduire les tensions sociales. Et mêmes politiques. Pour limiter l’avancée du terrorisme au Sahel ou en Afrique de l’Ouest, il est plus qu’important de renforcer la démocratie.

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1 Commentaire

A. Azizou mars 4, 2024 - 5:33 pm

Super et bon courage cher journaliste

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