Deux variables participent à l’émergence du terrorisme. Au nombre de celles-ci figurent les facteurs endogènes et exogènes. En ce qui concerne les variables endogènes, les changements climatiques, « représentent des révélateurs certains, un grain de sable dans les rouages de la stabilité » révèle Dr. Beaugrain Doumongue.
Bénin Intelligent: Que pensez-vous des analyses faisant état d’absence de lien direct entre les changements climatiques et le terrorisme au Sahel ?
Beaugrain Doumongue: Je trouve ces analyses lucides. Si l’on définit bien sûr la lucidité comme une vision claire et un refus de l’a priori spontané. Mais, il faut rompre l’os pour comprendre qu’il serait simpliste d’établir une relation directe de causalité entre les changements climatiques et le terrorisme au Sahel. Puisque chaque cause produit souvent plus d’un effet et inversement, chaque effet tient potentiellement d’origines multiples. Les changements climatiques représentent un facteur d’aggravation du phénomène terroriste car ils en renforcent le terreau. Tout en mettant à mal les conditions socio-économiques des populations locales, ce qui participe à la radicalisation.
De fait, ils laissent le soin à la pauvreté, au chômage, aux instabilités politiques, aux inégalités socio-économiques, à la faiblesse des institutions étatiques, à la corruption, aux conflits ethniques et religieux et aux influences extérieures de toutes sortes, de venir en tête des raisons premières du terrorisme. Il s’agit donc de facteurs indirects, loins de motiver prioritairement les attaques d’AQMI, de l’EIGS ou de leurs groupes affiliés.
En quoi les changements climatiques sont-ils révélateurs de violence et multiplicateurs de menaces selon vous ?
Les changements climatiques ont pour effet de contraindre à la pauvreté, à la rareté, aux mouvements de populations et à la radicalisation. En ce sens, ils représentent des révélateurs certains, un grain de sable dans les rouages de la stabilité, s’il en était. Prenant l’exemple du Lac Tchad qui, en 60 ans, a perdu 90% de son volume. En raison notamment des changements climatiques. On ne peut que mesurer la résonance de l’impact au-delà du tangible.
Ils représentent un pourvoyeur de ressources et donc enjeu de survie pour une trentaine de millions de personnes réparties entre le Nigeria, le Cameroun, le Tchad et le Niger. Son retrait représente à la fois une perte d’eau douce, un manque à gagner pour l’agriculture, la chute de l’activité halieutique ainsi que celle des revenus de nombreuses familles. Toutes choses qui appellent des conflits liés à la pression naturellement induite sur les ressources, creusent l’insécurité alimentaire, renforcent les inégalités, entraînent l’exode et favorisent l’extrémisme violent. Pourquoi ? Parce qu’ils réduisent l’humain à ses instincts primitifs. Sartre nous décrivait justement l’Homme comme étant un être en situation.
A quoi s’attendre donc si les pesanteurs imposées par le contexte facilitent le recrutement des groupes terroristes munis d’argent, prompts à des promesses financières et de protection, à l’endoctrinement et à l’usage de la force, sinon à la multiplication, justement, des menaces sécuritaires dans la région ?
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Comment les conséquences des changements climatiques pourraient-elles aggraver les conflits à configuration terroriste?
Depuis plusieurs années on assiste, dans le bassin du lac Tchad, à la multiplication de conflits entre populations autochtones et migrantes, agriculteurs sédentaires et éleveurs nomades. En cause, l’accès aux terres arables et aux pâturages, la rareté des poissons, etc. Ces conflits, souvent généralisés, entraînent des pertes en vies humaines et des mouvements de populations.
Ainsi et outre la radicalisation, la pression sur les ressources, les tensions sociales et les mouvements de populations, la recrudescence des évènements météorologiques extrêmes et dévastateurs pourrait creuser le sillon du schéma évoqué précédemment en détruisant des infrastructures et en achevant de désoeuvrer des populations désormais livrées à un chaos favorable aux organisations terroristes.
Dans le cadre de la lutte antiterroriste ou de la prévention du terrorisme, les pratiques agricoles durables et la gestion durable des ressources naturelles peuvent-elles apporter leur soutien ? Si c’est le cas, de quelle manière ?
Les pratiques agricoles durables et la gestion durable des ressources naturelles peuvent valablement favoriser la lutte contre le terrorisme et cela de plusieurs manières. D’abord en sédentarisant les populations sur leurs terres avec un accès à l’eau. Ensuite en les dotant de moyens de subsistance et de mise en place d’activités génératrices de revenus, profitables à la stabilité socio-économique. Enfin, en protégeant l’environnement, les terres, les forêts et la biodiversité; de quoi costaudiser la résilience vis-à-vis des problématiques environnementales. Tout cela permettrait de limiter les conflits intercommunautaires, de supprimer les vulnérabilités aux discours extrémistes, et donc de prévenir la radicalisation. Avec une gouvernance locale axée sur la participation, l’inclusion, la promotion de la diversité, il n’y aurait plus aucun arpent saisissable par les groupes terroristes.
Comment les politiques environnementales peuvent-elles contribuer à promouvoir la paix et la stabilité dans les régions touchées par le terrorisme au Sahel, notamment au Niger, au Mali et au Burkina Faso ?
Dans la zone des trois frontières, on assiste à des activités terroristes transfrontalières, mêlant violence, trafic de drogue et d’êtres humains sur un vaste territoire peu peuplé. Sur place, la pauvreté est multidimensionnelle et concerne, outre les aspects économiques, l’accès à l’éducation, à la santé, à l’eau et à l’assainissement, la sécurité alimentaire, etc. L’activité terroriste locale aggrave ces défis et fait barrage à l’accès humanitaire, ce qui en fait une zone extrêmement dangereuse.
Comment y installer des politiques environnementales sans sécuriser la zone, sans y renforcer la présence de l’Etat et sans y réinstaurer la confiance entre l’Etat et les populations ?
En tout état de cause, des éléments fondamentaux sont vitaux à la bonne mise en œuvre des politiques environnementales. Celles-ci doivent être conçues sur la base d’une concertation multi-acteurs, inclusive et à même de répondre aux problématiques les plus larges pour toucher du doigt les enjeux sécuritaires et les enrober d’un faisceau de dispositifs d’endiguement. Dans ce sens, le dialogue et la coopération devraient mobiliser les trois pays autour d’objectifs globaux à déployer conjointement dans ces pays. Partant de là et sur cette logique, il faudrait mouvoir une approche commune de la gouvernance environnementale, de la protection des ressources naturelles, de la protection des écosystèmes fragiles, de l’agroécologie, de l’énergie et des investissements.