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Linda Comlan Sessi - Extrémisme

Linda Comlan Sessi, Spécialiste Genre – Extrémisme Violent «Victimes de la violence terroriste, les femmes deviennent aussi des actrices d’actes terroristes. »

Par Arnauld KASSOUIN
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Les femmes disposent d’un large éventail de moyens dans la lutte contre le terrorisme au Sahel ou en Afrique de l’Ouest. En raison de leur proximité avec la menace. Aussi, parce qu’elles sont en mesure « d’apporter des perspectives uniques aux politiques de lutte contre le terrorisme. Tout en mettant en lumière les besoins spécifiques des femmes et des filles touchées » par la menace estime Linda Comlan Sessi, Spécialiste Genre – Extrémisme Violent.

Bénin Intelligent: Depuis mai 2019, le Bénin est confronté au terrorisme. Quelle analyse faites-vous de l’implication des femmes dans la lutte contre le terrorisme au Bénin ?

Linda Comlan Sessi: L’implication des femmes dans la lutte contre le terrorisme au Bénin revêt une importance capitale dans la réponse globale à ce phénomène. Les femmes exercent un rôle significatif parce qu’elles contribuent à la sécurité et à la résilience des communautés face à la menace terroriste. Leur implication peut permettre – et permet en fait– de répérer les signes avant-coureurs de radicalisation. Puis, de consolider la cohésion sociale, prévenir le phénomène ainsi que le recrutement de jeunes dans des groupes terroristes.

Les femmes sont en mesure d’apporter des perspectives uniques et des approches novatrices pour contrer le terrorisme. Surtout à travers la protection des droits humains, la promotion de la paix, la construction de sociétés inclusives et pacifiques. En plus, l’observation permet de reconnaitre que les femmes ne sont pas que des victimes de la violence terroriste ; elles peuvent et parfois deviennent aussi des actrices d’actes terroristes. De ce fait, leur implication dans la lutte peut être à la fois proactive et réactive.

Pour ce qui est du cas du Bénin, peut-on affirmer sans risque de se tromper que les femmes sont incluses dans les politiques de contre terrorisme adoptées par les autorités ?

Les femmes au Bénin représentent une proportion importante de la population active et constituent, donc, des agents de changement. Leur implication dans les politiques de lutte contre le terrorisme est un atout qui promeut la paix. Au Bénin, des efforts ont été fait pour les impliquer davantage dans les politiques de contre terrorisme. Mais, il est à noter qu’elles ont un rôle limité dans les processus de prise de décision.

Elles sont présentes dans les conflits communautaires. Et ceci s’explique par les dispositions communautaires mises en place qui leurs permettent d’être représentées. En effet, il y a par exemple les femmes médiatrices qui ont été formées par le Réseau ouest africain pour l’édification de la paix (Wanep-Bénin). Elles interviennent dans la médiation communautaire. Il y a également des mécanismes de dialogue communautaire. Ils ont pour objectif de lutter contre l’extrémisme violent. Ils le font par l’entremise des comités de dialogue mis sur pieds en collaboration avec la coalition nationale de paix.

De plus, pour lutter contre l’extrémisme violent, une politique nationale de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent a été mise en œuvre. Elle comprend un programme pilote de prévention, de la radicalisation et de l’extrémisme violent dans certaines zones du pays, telles que Malanville, Ségbana, Djougou et Bassila. L’objet poursuivi est de créer des cadres de dialogues multi-acteurs.

Les femmes sont des maillons essentiels dans la transformation des conflits et la lutte contre le terrorisme. Pour une implication effective des femmes dans la lutte contre le terrorisme au Bénin, il faut qu’il y ait une volonté politique d’accroître la participation des femmes dans les processus de prise décisionnels. Afin de renforcer la lutte contre le terrorisme au Bénin.

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Pourquoi en période de conflit, l’on observe une certaine forme de violence plus accrue contre les femmes ?

La violence contre les femmes est souvent plus accrue en période de conflit en raison de plusieurs facteurs. D’abord, les conflits armés créent un climat d’insécurité et d’instabilité. Ce qui favorise l’acceptation accrue de la violence, y compris contre les femmes. Ensuite, les violences sexuelles sont souvent utilisées comme armes de guerre pour semer la terreur et déshumaniser les populations.

Les femmes peuvent être ciblées en raison de leur rôle dans la société. En tant que militantes, dirigeantes associatives ou simplement en tant que membres de la communauté par exemple. Enfin, Les inégalités entre les sexes et les normes sociales discriminatoires existantes sont également exacerbées en période de conflit. Ce état de choses rend les femmes plus vulnérables à la violence et aux abus. En tant qu’épouse, mère, sœur, nièce, cousine, actrice sociale reconnue ou non dans son milieu, entreprenante et organisatrice. La femme constitue le cœur de toutes les attentions et affections au sein des sociétés.

En ciblant les femmes, les terroristes comptent ainsi atteindre chacun et tout le monde dans sa chair et élever davantage le coût de la violence au sein de l’opinion publique.

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Au Bénin, y a-t-il aussi d’inégalités « entre les sexes et les normes sociales discriminatoires existantes » qui entravent la pleine implication des femmes dans le contre terrorisme ?

Les femmes, dans nos contrées africaines et singulièrement au Bénin, font face à certaines pesanteurs socio-culturelles. Ces derniers entravent leur pleine implication dans la lutte contre le terrorisme. Aussi, des inégalités s’observent dans divers domaines, tels que l’éducation, l’emploi, la prise de décision etc. … Conscient de ces inégalités, le gouvernement béninois s’est doté d’une Politique nationale de promotion du genre (Pnpg). L’objectif est de corriger les déséquilibres nés des rapports de genre. Cette politique vise à améliorer le statut de la femme et à offrir aux deux sexes les mêmes opportunités. Nonobstant l’adoption de cette Pnpg, il est parié que la persistance de ces inégalités et des normes sociales discriminatoires rend difficile la pleine participation et l’implication des femmes dans la lutte contre le terrorisme.

Le fait que le Bénin ne privilégie que l’option militaire dans la lutte contre le terrorisme joue-t-il en défaveur des femmes quant à leur implication sur le terrain dans cette lutte ?

L’option militaire paraît en apparence privilégiée parce qu’elle relève du domaine public et reçoit bien souvent une certaine couverture médiatique. Mais, il n’y a pas que la réponse militaire. L’hydre terroriste est un phénomène dynamique, polymorphe et transnational.

La lutte contre le terrorisme, qu’il s’agisse du Bénin ou de tout autre État de l’espace ouest-africain ou d’ailleurs, requiert une réponse qui doit être holistique. C’est-à-dire combinant l’action militaire avec les stratégies non militaires telles que le développement communautaire, l’autonomisation des femmes, l’emploi des jeunes, la gouvernance locale démocratique, etc.

Linda Comlan Sessi

Toutes les parties prenantes, toutes les couches sociales (dans leur diversité) doivent être impliquées dans ladite lutte. Cette approche inclusive et holistique, qui offre aux femmes davantage plus d’opportunités de participer efficacement à l’action de sociétale d’édification et de consolidation de la paix et de la sécurité du pays, est vouée au succès inévitable parce qu’elle s’attaque aux causes profondes du terrorisme.

Ainsi, les femmes ont un rôle fondamental à jouer dans la lutte contre le terrorisme. D’où la nécessité d’une approche qui privilégie la perspective genre dans la lutte contre le terrorisme. Il est crucial d’accorder une attention particulière aux femmes dans les stratégies de lutte contre le terrorisme, de consulter davantage les femmes et les organisations féminines. Et d’analyser les facteurs de radicalisation en prenant en compte les disparités hommes-femmes.

Avez-vous l’impression qu’au Bénin l’option guerrière contre le terrorisme empiète sur le rôle que les femmes devraient jouer normalement dans la lutte contre le terrorisme ?

La réponse militaire dans la lutte contre le terrorisme peut effectivement impacter le rôle que les femmes peuvent jouer dans cette lutte au Bénin. Les femmes sont de plus en plus impliquées dans le terrorisme, que ce soit en tant que membres actifs de groupes terroristes ou en tant que victimes. Cependant, la reconnaissance du rôle des femmes dans la lutte contre le terrorisme est souvent insuffisante. Il est donc important de promouvoir la participation des femmes dans la lutte contre le terrorisme au Bénin.

Au Mali, malgré l’adoption d’une Politique Nationale Genre (PNG-MALI) et d’un plan d’action national pour la mise en œuvre de la résolution 1325, on constate une faible participation des femmes dans les politiques de lutte contre le terrorisme. Ce constat s’observe dans presque tous les États de la sous-région. Quelle explication possible peut-on donner à ce constat ?

Il y a souvent des obstacles culturels et sociaux qui limitent l’accès des femmes aux sphères sécuritaires. Les stéréotypes de genre et les normes sociales peuvent limiter les opportunités pour les femmes de prendre des postes de leadership et d’influence dans le secteur sécuritaire. Il en est de même des défis institutionnels. Tels que le manque de représentation féminine dans les organes décisionnels liés à la sécurité. Les structures existantes peuvent ne pas être suffisamment inclusives ou favorables à la participation des femmes.

Il y a parfois un manque de ressources et de soutien spécifiquement axés sur l’autonomisation des femmes dans le contexte de la lutte contre le terrorisme. Les programmes de formation, les ressources financières et les opportunités d’avancement professionnel peuvent ne pas être équitablement accessibles aux femmes. Ceci dit, il faut le reconnaître, les femmes ne sont cependant totalement pas sur le front de la sécurité et des efforts pour l’émergence d’une paix durable au Mali.

« Les femmes font partie des groupes les plus vulnérables et exposés » explique le spécialiste des questions de Radicalisation, d’extrémisme violent Aziz Mossi. Dans de telles conditions, comment peuvent-elles aider dans les politiques de lutte contre le terrorisme ?

Les femmes peuvent jouer un rôle crucial dans les politiques de lutte contre le terrorisme de plusieurs manières, malgré leur vulnérabilité. Les femmes peuvent jouer un rôle essentiel dans la prévention en sensibilisant leur communauté. En identifiant les signes précurseurs et en travaillant à promouvoir la tolérance et la compréhension interculturelle. Elles peuvent également apporter des perspectives uniques aux politiques de lutte contre le terrorisme. En mettant en lumière les besoins spécifiques des femmes et des filles touchées par le terrorisme. Tout en incluant leurs voix dans les processus décisionnels et en veillant à ce que les politiques prennent en compte les réalités de genre. Après des actes terroristes ou des conflits, les femmes jouent souvent un rôle central dans la reconstruction des communautés. La promotion de la réconciliation et la création d’environnements pacifiques et stables.

En termes de perspectives, comment peuvent-elles contribuer sur le long terme au processus de résolution des conflits ?

Les femmes peuvent apporter des contributions significatives au processus de résolution des conflits. Et ce à long terme grâce à leurs perspectives uniques et à leurs expériences. Leurs contributions peuvent inclure :

Promotion du dialogue inclusif : Les femmes sont souvent des porte-parole de la paix. Et de la réconciliation au sein de leurs communautés. Leurs efforts pour promouvoir un dialogue inclusif entre les parties en conflit et pour encourager la participation de tous les acteurs peuvent favoriser des solutions durables.

Reconstruction communautaire : Après un conflit, les femmes jouent un rôle crucial dans la reconstruction des communautés. En aidant à restaurer les tissus sociaux par exemple. De même qu’à promouvoir la cohésion et à créer des conditions propices à la paix durable.

Intégration des perspectives genre : Les femmes apportent une compréhension profonde des besoins spécifiques des femmes et des filles touchées par le conflit. Ce qui est essentiel, je trouve, pour élaborer des stratégies de reconstruction sensibles au genre. De même, pour garantir que les voix des femmes soient entendues dans le processus de paix.

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