Depuis mai 2019, des populations du Bénin fait face à des incidences à configuration terroriste. Pour contenir la menace, les autorités du pays emploient un répertoire d’actions. Bien que plusieurs actions aient émergé, les entrepreneurs de violence semblent plus que déterminés dans leur forfait. À travers cet entretien, Dr Aziz Mossi, Enseignant-Chercheur, Spécialiste des questions de Radicalisation, d’extrémisme violent et de terrorisme, expose les limites de la concurrence guerrière contre le terrorisme au Bénin.
Bénin Intelligent : Qu’est-ce que le terrorisme selon-vous ?
Dr. Aziz Mossi: Alors pour moi, le terrorisme, c’est vraiment toutes les formes de violences, de manifestations qui visent à semer la terreur. Pour atteindre cet objectif, il entreprend divers moyens pour créer la psychose au sein des populations. Cela peut prendre plusieurs formes de menace. Cette menace, comme il est évoqué met également la vie du terroriste ou du présumé terroriste en danger. Voilà ma perception de la terminologie dite du terrorisme. Le terroriste n’est pas forcément épargné. Car, il pose l’acte au prix de sa propre vie. Imaginer quelqu’un qui attaque un commissariat, où il a connaissance de ce que des policiers sont présents. Il le fait quand-même. Tout en sachant qu’il peut perdre sa vie. C’est cela le terrorisme.
Le terroriste, tout en voulant semer la terreur engage sa propre vie. Sur le plan juridique, si on doit tenir compte des dispositifs de la loi, il faut dire que le terrorisme c’est également tous ceux qui participent d’une certaine façon ou d’une autre au montage de cette terreur. Notamment les complices, les appuis logistiques, les informateurs, tout ce beau monde. De mon point de vue, ce sont des gens qui participent à l’organisation d’actes terroristes. Dans la loi, le complice est puni de la même peine que le criminel. De ce fait, il n’y a pas que les
Avec l’avènement du terrorisme, on se demande comment reconnaître le crime transfrontalier du grand banditisme et même du terrorisme ?
Je crois qu’il n’est pas très simple ou très aisé de faire la distinction entre les actes terroristes et les actes de banditisme. Nos pays ont toujours connu l’insécurité. Surtout, l’insécurité transfrontalière. C’est-à-dire que les trafics ont toujours généré des conflits. Ce sont en fait, des actes délictueux qui sont commis par des individus combattus par l’État. De ce fait, on peut considérer qu’il a déjà un affrontement entre l’État et certaines personnes. Donc la violence, l’insécurité, c’est des choses que tous les pays connaissent. En l’occurrence, les espaces frontaliers. C’est leur quotidien. C’est d’ailleurs pour ça que vous allez constater que dans les espaces frontaliers, le comportement des individus est toujours différent.
Ils sont naturellement violents parce qu’ils sont toujours dans la débrouillardise et dans des choses insolites. Aussi, ils sont constamment dans des difficultés qu’ils doivent braver pour survivre. Ils ont incorporé la violence comme étant une culture ou un mode de vie. C’est des choses qui sont connues, mais aujourd’hui, moi je parle souvent d’extrémisme violent. Ce phénomène nouveau vient s’agripper maintenant à ce soubassement conflictuel qui existe déjà dans nos communautés. Cela fait que naturellement, ceux qu’on considère comme des terroristes purs et durs sont aussi impliqués dans des trafics. Notamment, dans le trafic de carburants, de cigarettes, de médicaments. Il y a une certaine collusion entre ces groupes. Ce qui rend très difficile aujourd’hui la démarcation.
Fusion progressive entre les groupes
Parfois, vous avez aussi des actes d’ instrumentalisation mutuelle, des pratiques des uns et des autres. Par exemple, des bandits commettent des forfaits et le font à la manière des terroristes pour qu’on endosse cela au terrorisme. Moi j’ai vu par exemple des chasseurs, des braconniers qui ont tué des agents de police des eaux et forêts du côté du Niger. Puis l’ont fait passer comme étant un acte terroriste.
Il y a aussi des terroristes qui ont souvent recours à des bandits qui connaissent mieux la configuration de certaines localités. Ces derniers jouent un rôle d’appui ou de soutien pour eux en termes d’information. Et même de renfort, pour parfois opérer. Vous avez des gens qui sont utilisés pour voler des bétails par les terroristes et qui viennent marchander encore ces mêmes bêtes.
C’est pour ça que c’est un peu difficile de faire une démarcation objective. Sinon, nos pays ont toujours connu des insécurités transfrontalières et le grand banditisme. Sauf qu’aujourd’hui, les actes qui sont commis donnent l’impression qu’il y a une certaine fusion progressive qui se fait entre ces deux groupes. La preuve, c’est que les terroristes s’installent toujours dans des zones qui sont autrefois contrôlées par les grands bandits. Comme ces derniers sont plus anciens, ils connaissent mieux le terrain. Peuvent être très utiles pour les terroristes qui les utilisent pour mieux s’installer. Puisqu’ils sont mieux armés et peut être parfois plus violents encore que les grands bandits.
LIRE AUSSI:
Démocratie et terrorisme: Face au procès, démêler l’écheveau
Est-ce que cette difficile démarcation ne rend pas très difficile la lutte contre le terrorisme selon-vous ?
C’est d’ailleurs ça qui fait qu’il y a beaucoup d’amalgames. Ces derniers contribuent aussi à rendre difficile la lutte. Justement parce qu’aujourd’hui, au sein de l’armée, les uns empiètent sur les responsabilités des autres. Le banditisme est combattu normalement par la police alors que c’est l’armée qui s’occupe du terrorisme… Aujourd’hui, ce n’est plus trop le cas. Ce qui fait qu’il y a toujours des conflits d’attributions et de collaboration même au sein des forces de défense et de sécurité. C’est aussi le témoignage de ce que la chose est difficile.
Quand on voit également la façon dont les armées de nos pays mènent la lutte y compris au Bénin, on trouve quelques fois des exagérations qui coûtent la vie à des personnes dont la culpabilité n’est pas établie. Il y a aussi des arrestations arbitraires massives que les populations dénoncent. Cela renvoie à des amalgames dans le cadre de la lutte qui contribuent à renforcer la désaffection des populations vis-à-vis des FDS. Tout ceci constitue des signaux qui prouvent que la lutte est difficile. On n’a pas les moyens de savoir qui est terroriste, qui ne l’est pas. Les terroristes sont aussi fusionnés dans la population. Ce qui fait que toute personne est susceptible d’être étiquetée terroriste à tort ou à raison.
Outre l’opération Mirador, avez vous connaissance d’autres opérations que, par exemple, le gouvernement béninois a mis en place ?
Bon, peut être des actions de renforcement de la résilience des populations. Mais du point de vue militaire, c’est exclusivement l’opération Mirador. Le Bénin a certes participé à d’autres opérations conjointes avec les pays de l’initiative d’Accra ou de la Minusma par exemple.
LIRE AUSSI :
Quand on parle de politique de lutte contre le terrorisme au Bénin, il y a quelque chose qui revient sans cesse et qui est par exemple l’action militaro sécuritaire. Il y a même des localités où on aurait appris que ces localités sont sous des couvres feu. Confirmez-vous ces informations ?
Bien sûr. J’ai parcouru ces régions et naturellement, quand j’y vais, j’essaye de respecter aussi les heures de couvre feu. Parce que effectivement, quand vous allez à Karimama, à partir de 19 h, plus d’entrées et plus de sorties. Sauf, s’il y a des urgences avérées. Une femme qui est sur le point d’accoucher, par exemple. Quelqu’un qui est malade, on prend l’ambulance peut-être pour l’évacuer. Mais en dehors de ça, il n’y a pas de raison qui soit valable pour passer. Même chose du côté de Matéri. C’est valable pour certaines localités de Banikoara.
Dans la commune de Banikoara, les arrondissements de Toura, Soroko et Founougo sont tous sous couvres feu de 19h à 6h. Pas d’entrée, pas de sortie. Vous avez des barrières de la police et de l’armée qui sont à l’entrée de toutes ces localités. Si vous tentez de forcer, c’est que vous risquez d’être abattu. Même à l’intérieur des centres villes dans ces localités, à partir d’une certaine heure, plus personne dehors.
« Déjà pour les armées, c’est l’option la plus efficace. »
Vous savez, on a des zones de Malanville et de Karimama où il y a ce qu’on appelle les fadas. C’est des organisations jeunes, surtout de même génération qui se réunissent les soirs autour de ce qu’on appelle le « Ataï » le thé. Parfois, ils sont là jusqu’à 2 h du matin. Ce sont des pratiques traditionnelles qui sont restées des années. Surtout en temps de chaleur maintenant, où les gens ne peuvent pas dormir à l’intérieur de leur concession, les jeunes sont obligés de veiller jusqu’à 2 h, 3 h du matin. Ça avait l’avantage d’assurer la sécurité dans leur quartier respectif.
Quand ils sont en éveil, les voleurs n’arrivent pas à opérer. Mais avec les couvre-feux, vous avez des jeunes qui ont été sérieusement molestés et quand ils ont la malchance ils sont confondus ou assimilés à des terroristes. Donc, vous voyez, tout ceci constitue des facteurs qui rendent difficiles la collaboration. Il y a quelques fois un manque de contextualisation dans l’application des des textes.
Outre la mauvaise application des textes dont vous avez fait mention, quelles autres implications pourraient induire le fait de prioriser l’option militaro sécuritaire ?
Déjà pour les armées, c’est l’option la plus efficace. Alors que l’option militaire n’a jamais été efficace nulle part. Toutefois, elle est nécessaire. Je ne dis pas que ce n’est pas utile, c’est très utile. Mais, elle seule ne suffit pas. Parce que l’option militaire, oui, ça permet de tuer quelques djihadistes. Le problème du terrorisme, c’est que plus vous en tuez, plus il y en a qui émergent. C’est comme un serpent de mer. Si vous coupez la tête, ça repousse de plus belle et de plus féroce.
C’est un peu ça les limites de l’option militaire. Mieux, c’est que l’option militaire ne fait pas de discernement. On tape sur tout ce qui bouge parce que c’est ça les consignes, mais en tapant sur tout ce qui bouge, on peut taper des innocents et on peut créer des frustrations. Ces dernières vont amener certains jeunes à se radicaliser contre l’État et à prendre des armes. Il suffit que les terroristes là instrumentalisent les actes un peu radicaux des Fds pour que les jeunes les rejoignent.
Pensez vous que l’option militaire quand-même à aider le Bénin dans sa politique de lutte ? Je veux parler des conséquences positives de cette option..
En tout cas, on diminue peut-être le nombre de terroristes. Cette politique donc peut faire dissuader ceux qui ont peur de mourir. Cette politique permettra aussi d’amener les parents à davantage suivre leurs enfants pour qu’ils ne tombent pas dans certains pieges. Ou même, elle permettra de dissuader certaines personnes à collaborer avec les extrémistes parce qu’ils savent que dès que vous êtes pris, c’est d’office la mort. Soit la Criet. Voilà les effets que cela peut avoir, mais ça ne peut pas permettre de mettre fin au phénomène. Parce que comme je l’ai dit, si vous en tuez, il y en a qui vont renaître. L’option armée engendre bien souvent des frustrations qui pourraient amener les populations à rejoindre les groupes terroristes. Le cas de l’Afghanistan, du Sahel doivent nous servir d’exemples je pense.
LIRE AUSSI :
Quand on prend le cas du Bénin, depuis 2019 où l’on consacre beaucoup plus l’accent sur l’option militaire, avez vous l’impression qu’il y a une certaine régression du phénomène ?
Je ne crois pas. La preuve, c’est le nombre d’incidents liés au terrorisme à très considérablement accru de 2019 à aujourd’hui. La preuve est aussi que les terroristes osent gagner du terrain et pénètrent de plus en plus à l’intérieur du pays : par exemple, ils ont attaqué un commissariat jusqu’à Kandi. Moi ça me fait peur. Parce que Kandi, c’est quand même le cœur de l’Alibori. C’est le chef lieu du département de l’Alibori. Quand vous prenez la frontière du Burkina ou du Niger au niveau de Karimama, Angaradebou est à plus de 100 kilomètres. Vous imaginez ? Pourtant on a quand même un impressionnant dispositif militaire autour de la frontière au niveau de Karimama, de Malanville, de Banikoara et avec tous les moyens de African Park dans le parc W, les terroristes ont réussi quand même à frapper à Kandi loin de la zone frontalière.
Comment ils ont pu traverser tous ces points pour attaquer le commissariat de Angaradebou qui est même au bord de la route inter-État et qui est un espace ouvert, qui n’est pas clôturé ? Il faut de l’audace. Ça montre quand même une certaine évolution du phénomène. Les terroristes parviennent à agir à plus de 100km à l’intérieur, ça devrait inquiéter.
« Il faut d’abord attaquer les vulnérabilités des populations. »
L’option militaire, quoi qu’on fasse, elle n’est pas la seule solution ou la solution la plus efficace. Je suis désolé de le dire, mais je pense qu’on peut faire autrement. Il faut investir davantage dans la prise en charge des facteurs de vulnérabilité des populations. Dans certaines localités du pays, quand vous discutez avec les jeunes, vous en avez qui sont prêts à mourir, à rejoindre les groupes s’ils sont prêts à leur donner 300 mille francs par mois. Parce qu’ils ne font rien. Ils n’ont pas d’espoir en restant dans leur localité.
Que faut il donc faire pour qu’il y ait plus d’efficacité ? Que ça soit sur le plan législatif ou sur le terrain… Il est vrai que l’État mène des actions en matière de cohésion sociale et de soutien aux populations. Mais est ce que c’est vraiment ça le nœud qu’on doit attaquer ?
Contre le terrorisme, je pense qu’il faut d’abord attaquer les vulnérabilités des populations. Faire en sorte que les gens aillent à l’école et qu’ils aient vraiment une bonne éducation, une bonne formation. Il faut vraiment se rendre dans ces localités pour comprendre.
Aujourd’hui, il y a deux écoles qui ont été brûlées en début du mois de mars à Karimama. Ça fait combien d’élèves qui sont dans la rue ? C’est la fête pour certains enfants, parce que l’école, c’est une contrainte pour eux. Même les parents n’y croient pas grand-chose. Ce que je vous dis est factuel. Dans certains villages les parents sont obligés de cotiser pour recruter les déscolarisés du milieu pour encadrer les enfants faute d’enseignants.
Malgré tout ce qu’on dit, la mobilité à Karimama, à Kerou, à Matéri, etc., pose problème parce qu’il n’y a pas de voies. Pour une distance de 20km, vous pouvez faire 1 heure voire 2 heures en voiture. C’est pénible et en raison de ces difficultés, les enseignants qualifiés, les agents de santé qualifiés ne veulent pas aller officier dans ces localités qui manquent de professeurs de sciences, de médecins, de sages-femmes, etc. Vous avez aussi les contraintes naturelles, la sécheresse. La désertification, les changements climatiques, la chaleur, les inondations cycliques qui arrivent, qui vous dévastent out votre champ sur lequel vous avez tout votre espoir. Il n’y a presque pas de mesures d’accompagnement. Vous devrez y faire face vous seul.
Non adaptabilité des politiques
Quand vous avez la chance et la saison est bonne vous avez des difficultés à vendre votre produit à cause de manque de voie de desserte ou à cause de certaines politiques frappant d’interdiction l’exportation de certains produits agricoles vers les pays voisins. Politiques parfois appliquées à travers des répressions. Imaginez ce que ça peut créer comme frustration. Je pense qu’il faut un peu de justice sociale.
Malheureusement, quand on dit que l’État est présent dans certaines localités, c’est à travers des forces répressives : douane, police, armée qui sont certes très utiles mais qui ont des rapports difficiles avec les populations.
Je pense qu’il faut aussi donner aux populations un accès à des services éducatifs, de santé et des routes de qualités et leur assurer la quiétude dans leur vie quotidienne et dans les activités économiques. Il faut donner l’occasion aux jeunes de ces localités d’avoir accès à des formations techniques dans les domaines localement porteurs. Dans les zones exposées aux actes terroristes, il n’y globalement pas d’école de formation professionnelle. Les plus proches de ces localités se situent à plus de 200km parfois avec tous les problèmes d’hébergement des apprenants qui ne sont pas du milieu.
LIRE AUSSI :