• « Mgr Isidore de Souza est un symbole aux niveaux ecclésial, social »
• -Un homme d’Eglise qui a affronté les grandes problématiques
• -Mgr Isidore de Souza a été un homme d’inclusion
• -L’esprit de la conférence nationale est continuellement menacé
• -Il y a une cohérence qui est demandée aussi des pasteurs
• -Il y a une politisation de toute la vie sociale.
Que représente Mgr Isidore de Souza ? La parole de l’Église (Catholique) est-elle encore crédible et audible aujourd’hui auprès des décideurs politiques ? Le bilan de l’implication des chrétiens en politique est-il reluisant ? Dans le cadre du 25ème anniversaire du décès de Mgr Isidore de Souza, nous avons interviewé le Père Rodrigue Gbédjinou sur ces préoccupations. Il est prêtre de l’Archidiocèse de Cotonou, docteur en Théologie dogmatique. En juillet 2022, il a fêté 20 ans d’écriture dont une série de 5 ouvrages consacrés au prélat qui a dirigé les travaux de la conférence nationale de février 1990. Dans cette première partie, il déplore le constat de « la profanation de la parole publique » et du manque d’élégance, « de tenue et de retenue quelquefois » de la part des pasteurs vis-à-vis des hommes/femmes politiques.
Bénin Intelligent : Vous êtes auteur de ‘’Il était une fois Isidore de Souza : faits et histoires’’. Que représente pour vous ce prélat ? Qu’est-ce qui vous fascine chez lui ?
Père Rodrigue Gbédjinou : Je vous remercie pour cette opportunité que vous m’offrez et que vous offrez aussi à ceux qui vous suivent de reparcourir un peu la trajectoire de la vie de Mgr de Souza et d’en dégager les axes essentiels, importants pour aujourd’hui et pour l’avenir.
Qui est Mgr Isidore de Souza ? Je ne dirais pas d’abord ce qu’il est pour moi mais ce qu’il représente pour notre Église, notre pays et pour l’Afrique. Je résumerais cela simplement en un mot très simple : Mgr Isidore de Souza, au regard de la trajectoire de sa vie, au regard de son engagement ecclésial, au regard de son investissement dans la cité, Mgr Isidore de Souza est un SYMBOLE.
«Mgr Isidore de Souza a préparé avec nous l’avenir de notre pays, de notre Eglise»
« Symbole » vient du grec ‘’sumballomai’’. C’est-à-dire, deux bois ou un bois qu’on casse en deux et chaque partie garde un élément coupé pour que quand on va se retrouver, si on veut faire par exemple des guerres, chacun apporte la partie et les deux, lorsqu’on les remet ensemble, le bois se recompose. Donc, un symbole, c’est un gage de reconnaissance. Et dans ce sens, le symbole a besoin d’un effort pour être reconnu.
Un billet de banque en lui-même n’est rien mais quand il est reconnu dans une sphère, il prend de la valeur. Alors, le symbole peut s’éteindre. Et là, Mgr Isidore de Souza apparaît pour nous comme un symbole au niveau ecclésial comme au niveau social, une référence, un repère. En un mot, le premier livre que j’ai écrit parlait d’ «un prophète de notre temps ». Un prophète, c’est quelqu’un qui non seulement voit l’avenir par le nom de Dieu, mais c’est quelqu’un qui prépare cet avenir. Mgr Isidore de Souza a préparé avec nous l’avenir de notre pays, de notre Eglise. Un homme d’avenir qui habite le présent et qui s’est engagé dans les grandes problématiques de son temps et cela a de l’importance pour nous.
«Vous ne pouvez pas être ami de Dieu sans être ami de l’homme. Il a cherché à soulager la misère de son peuple.»
Comme homme de Dieu, ‘’Yehwenon’’, il se définit lui-même comme un ‘’Christousi’’. Vous voyez toute la charte sémantique. Cela renvoie chez nous à ‘’Vodunsi’’, des épousailles avec le Christ. Il se définissait comme un ‘’mèlomè’’, il est dans la main du Seigneur et dans la main de quelqu’un d’autre. Et ça évoque déjà toute sa spiritualité. Un homme dépouillé qui ne s’appartient à lui-même, qui appartient à Dieu et à son peuple et à l’Eglise. Un homme d’Eglise qui a affronté les grandes problématiques qui se posaient en son temps mais qui se posent encore aujourd’hui. Il a travaillé à la question de l’inculturation, à la Théologie africaine. Il a réfléchi de manière critique même sur la mission. Un de ses textes majeurs « Pouvons-nous rester Africains et membre d’une religion importée ? » Ce sont des problématiques de nos jours que recyclent de temps à autre les panafricanistes.
Un homme de la cité. Comme vous l’avez évoqué, c’est par la conférence que cela a été reconnu de manière publique. Même bien avant, il était engagé dans la cité. Il a été un repère, une boussole.
Et puis, un homme pour les autres. Vous voyez les œuvres sociales, ce n’était pas de l’activisme. C’était son amour pour la cité, son amour pour Dieu. Vous ne pouvez pas être ami de Dieu sans être ami de l’homme. Il a cherché à soulager la misère de son peuple. Il était soucieux par la misère des autres et partout il pouvait faire quelque chose, il le faisait. Ses œuvres sociales parlent de l’homme. Voilà quatre axes qui indiquent l’homme comme un symbole, un prophète pour notre temps.

Qu’est-ce qui avait vraiment déterminé le choix de Mgr Isidore de Souza pour présider les travaux de la conférence nationale ? On sait que c’était plutôt Mgr Robert Sastre qui devrait présider les travaux. Mais au dernier moment, je ne sais pas s’il a décliné l’offre. Pourquoi le dévolu a été finalement porté sur Mgr Isidore de Souza ?
Père Rodrigue Gbédjinou : Pour l’histoire, à la conférence des Forces vives de la nation, il y avait des délégués. L’Eglise Catholique aussi devrait envoyer ses délégués. Donc, la Conférence épiscopale a choisi Mgr Robert Sastre pour représenter la Conférence et pour représenter l’Eglise avec une femme, un homme laïc et un jeune. Les confessions religieuses avaient chacune quatre délégués. A la dernière minute, l’agenda de Mgr Sastre ne lui permettait plus de participer à cela. Il avait un engagement de longue date. Et c’est là que Mgr Isidore de Souza a été choisi pour le remplacer. Donc, il est allé à la conférence des forces vives de la nation de manière providentielle.
«Les politiciens se méfiaient les uns des autres, surtout qu’il y avait en perspective le choix d’un Premier ministre»
Donc, Mgr Sastre n’a pas fui par peur de représailles de la part du Général comme on l’entend en coulisses ?
Non, c’est des histoires. Tout compte fait, allons sur les textes. Mgr Isidore de Souza aussi en a parlé. Robert Sastre avait un engagement qu’il fallait honorer. Et c’est là qu’on parle de providentiellement parce que, c’est les deux qui pouvaient vraiment de façon vaillante représenter l’Eglise. Ils s’étaient tous deux engagés dans l’histoire sociopolitique de notre pays. Robert Sastre a eu maille à partir avec la révolution. Il est très critique aussi. Ce n’est pas les mêmes tempéraments comme Mgr Isidore de Souza qui n’a pas eu maille à partir avec la révolution. Mais il été très critique aussi vis-à-vis de la révolution. Aux heures chaudes de la révolution, de Souza n’était pas là. De 1971 jusqu’à 1981, il était à Abidjan.
Donc Mgr Isidore de Souza a accompagné la délégation catholique. Les politiciens se méfiaient les uns des autres, surtout qu’il y avait en perspective le choix d’un Premier ministre à la fin des travaux. Donc, c’était passionnel. Alors il fallait quelqu’un qui pouvait être un thermostat, quelqu’un qui pouvait être le paratonnerre, quelqu’un qui pouvait indiquer la direction et qui avait la préparation.
«Tous se sont ralliés après à lui et l’ont aidé à assumer cette charge-là.»
A un moment donné, les délégués se sont dit qu’il fallait un homme religieux. Et le choix n’était pas porté d’abord sur Mgr de Souza. La personne à qui on a proposé de présider la Conférence fut le pasteur Henry Yédénou Harry alors Surintendant général de l’Eglise protestante méthodiste au Bénin (actuelle Epmb) qui a décliné l’offre. Car il estimait que les religions sont là, juste pour indiquer les grands axes, le grand idéal de vie… Il avait peur que les religieux s’engagent de manière déterminée dans l’histoire de cette conférence. Mais à un moment donné, la proposition a été faite à Mgr Isidore de Souza. Et d’autres ont travaillé pour que cette proposition-là aboutisse.
Mgr Isidore de Souza n’a pas fait de campagne pour cela. Pas du tout. Quand le vote a eu lieu, il a été plébiscité. Tous les délégués l’ont choisi comme président sauf huit. Et les huit délégués, ce sont les représentants de l’Eglise protestante par rapport à un principe que la place des religieux n’était pas une place d’engagement.
Et aussi la délégation musulmane que le professeur Paulin Hountondji qui était dans la délégation protestante, a convaincu que nous les religieux qui sommes-là au nom de la religion, nous pouvons donner des indications et laisser les politiques régler leurs problèmes. Mais ce qui est très bon chez le professeur Paulin Hountondji, il a reconnu publiquement après que c’était providentiel d’avoir choisi Mgr Isidore de Souza. Et qu’il avait fait une mauvaise analyse de la situation, que c’était l’homme qu’il fallait. Tous se sont ralliés après à lui et l’ont aidé à assumer cette charge-là.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’implication des filles et fils de l’Eglise dans la vie politique du Bénin ? Les statistiques donnent les chrétiens majoritaires au Bénin. L’Eglise Catholique est-elle satisfaite des actions des laïcs dans le champ politique ? Le pays dans leurs mains se porte-t-il bien ?
D’abord, la population béninoise n’est pas chrétienne. Pas du tout. Les chrétiens sont mêmes minoritaires toutes confessions confondues. Mais on a une visibilité qui donne l’impression que nous sommes majoritaires. Et cela peut nous faire dormir aussi sur nos lauriers. Mais ce qui est vrai, ce pays a souvent été dirigé par des chrétiens. Et je pourrais ajouter aussi par des chrétiens catholiques, qui revendiquent la foi catholique. Mais une chose est de revendiquer la foi chrétienne, une autre est d’être chrétien. Être chrétien, ce n’est pas seulement être baptisé. Personnellement, je crois qu’il y a un plus grand travail d’engagement.
Le problème se situe à quel niveau ? Le problème se situe au niveau de notre perception de la foi chrétienne. Et de façon plus large, de notre perception de la vie religieuse. Dans notre esprit, c’est comme une réalité cloisonnée. C’est-à-dire, je suis d’une religion, je suis chrétien, je viens à l’Eglise pour gérer mes problèmes avec Dieu et pour préparer mon Ciel, pour supplier le Seigneur qu’il m’aide à régler les problèmes existentiels que sont : les questions de maladie, les questions d’envoûtement, les questions du mal, les questions d’argent… Cela d’une certaine manière relève de notre conception traditionnelle même de la religion.
«La foi chrétienne conjoint le ciel et la terre»
La foi chrétienne ne se situe pas à ce niveau. La foi chrétienne demande un engagement total de l’homme, aussi bien dans sa vie religieuse que dans sa vie sociopolitique. La foi chrétienne ne dissocie pas le ciel de la terre. Mais dans notre esprit, je ne sais pas si cela vient aussi du fait d’une mauvaise pastorale que nous aurions faite, d’un catéchisme qui n’a pas vraiment intégré cette dynamique. La foi chrétienne conjoint le ciel et la terre.
Or, quand les gens sont en politique, ils pensent la politique simplement comme un jeu de dame, un jeu de pion où il faut pousser ou s’il faut dire « ruse et rage». Ils ne se préoccupent guère si cela a l’accord avec leur foi chrétienne. Cela pose un problème de dédoublement de la personnalité. Il y a les chrétiens d’un côté, il y a l’être sociopolitique d’un côté. Mais c’est une question de cohérence. Et cette cohérence reste à désirer. Les enjeux sociopolitiques sont les enjeux historiques. Mais le chrétien est déterminé aussi par ce qui est au-delà de l’histoire. Et cet « au-delà » de l’histoire doit avoir des impacts sociopolitiques.
A ce niveau, moi je me dis, parfois il y a des gens vous ne les reconnaissez pas. Et là, nous devons faire un grand travail au niveau de l’Eglise, de la formation, de l’accompagnement, de la formation des hommes qui s’engagent dans la politique. Peut-être ils le font de bonne foi. Mais moi la question que je me pose c’est : comment on peut vivre de manière continuelle ce dédoublement de l’être.

Justement, est-ce que vous avez des recettes à proposer aux fils et filles de l’Eglise qui sont quand-même des acteurs majeurs dans le champ politique pour que ce fossé-là que vous constatée soit aplanie ?
Non il n’y a pas de recettes, il y a à les accompagner. Deuxième élément, il y a à penser la vie chrétienne comme un tout et non comme quelque chose de cloisonnée. Je donne un exemple. Le chrétien c’est l’homme, la femme baptisés au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit. Donc, il y a une dimension trinitaire, structurelle et structurante de la foi chrétienne. La trinité, trois personnes, un seul Dieu. Ce qui les unit c’est l’amour. Le Père vit totalement pour le Fils, le Fils vit totalement pour l’Esprit mais le Père est différent du Fils, le Fils est différent de l’Esprit Saint.
Autrement dit, il y a l’unité et la diversité ; il y a le souci de l’autre, le bien commun. L’un s’engage pour l’autre. Cela est donc totalement opposé à une vision politique où le tout pour moi, rien sans moi, tout ce qui est fait sans moi ne peut pas marcher… Cela va contre l’exclusion. Le chrétien doit être un homme d’inclusion. Et Mgr Isidore de Souza dont nous parlons a été un homme d’inclusion. Il suffit de lire à la fin de sa vie tous ces hommes politiques qui lui ont rendu hommage.
Qu’est-ce qui empêche réellement le chrétien de traduire, d’incarner et de fructifier ses valeurs chrétiennes dans le champ politique ? Concrètement, comment peut-on l’expliquer ?
Le mystère de l’homme et le mystère du mal. Mais ce n’est pas que c’est désolant. Il y a certainement eu de braves politiques, de chrétiens, d’hommes politiques qui ont vécu leur foi chrétienne de façon admirable. Je vous donne un exemple : Le 1er président tanzanien Julius Nyerere, c’était un chrétien. Et on est en train de travailler pour sa canonisation. Il a vécu la foi chrétienne comme un chrétien. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de défis, qu’il n’y a pas de difficultés.
Dans toute vie, il y a de difficultés. Ne parlons pas seulement au niveau politique, même au niveau social.
Je suis enseignant. Je dois être un enseignant chrétien. Donc, tout ce qui va contre la déontologie de l’enseignant, je ne dois pas m’y engager. Je suis médecin, je dois être un médecin chrétien. Et selon moi, il y a deux axes importants que nous retrouvons dans la vie de Mgr Isidore de Souza. Tout le monde le reconnait comme un homme de vérité. La vérité nous revendique, la vérité s’impose à nous. La vérité ce n’est pas le choix de la majorité. La majorité peut être dans l’erreur.
Saint Augustin disait : « Si vous avez un regroupement où ceux qui doivent prendre les lois sont des hommes qui sont déterminés, qui n’ont pas de bonnes valeurs, ils prendront des lois faussées bien qu’ils soient majoritaires ». Donc, la formation humaine, la formation chrétienne, la question de la vérité et la question de la conscience. La question de la conscience et là aussi je vois un poids culturel. « Ne rien voir, ne rien dire, ne rien entendre », c’est un pseudo sagesse. Ce n’est pas une sagesse qui porte à l’engagement.
«La vérité, ce n’est pas la conscience du plus fort»
La question de la conscience veut dire que, il y a des lois non écrites mais inscrites dans nos cœurs. Et cela est si fort que même dans la vie professionnelle, on parle d’objection de conscience. Cela veut dire que la personne est face à sa conscience et ma conscience me dit, fais le bien et évite le mal. Par conséquent, le chrétien en politique doit avoir le courage même si son parti lui dit de faire ceci et que c’est contraire à sa conscience, il doit pouvoir répondre : « je ne fais pas ». Cela s’appelle objection de conscience.
Quand votre conscience devient la question d’un groupe, ou d’un homme ou d’un parti, c’est la déchéance. Quand la conscience d’un homme, d’un élu devient la conscience d’un parti, d’un homme ou d’un individu, on court vers la déchéance, vers la dictature, on court vers l’anéantissement.
Pendant le procès de Nuremberg, on a demandé à Goering qui a été l’homme de main d’Hitler : « pourquoi tu as fait tout ça ? » Il a dit : « Je n’avais plus de conscience. Ma conscience était Hitler ». Notre conscience, c’est la présence de Dieu en nous et cela n’est pas relié à une religion. Tout homme a une conscience. La conscience t’interpelle pour dire : « ce que tu es en train de faire ce n’est pas bien ».
Vous voyez, un petit enfant, quand il commence par avoir l’âge de raison et fait quelque chose de mal, lorsque vous rentrez dans la salle et vous le surprenez, il sursaute. Cette conscience est malade dans notre société. Dans notre société béninoise, cette conscience est malade.
«L’Eglise, la religion va former des hommes et des femmes à être des Hommes de conscience»
A la conférence des Forces vives de la nation, le professeur Albert Tévoédjrè dans son rapport général a évoqué la conscience. C’est un homme de grande culture, on ne lui a pas rendu assez hommage. Il a ses limites mais il a des valeurs que nous devons célébrer. Ce texte est un texte pragmatique pour notre société. Il a évoqué la conscience de Victor Hugo -un poète célèbre- pour montrer que pour que les choses changent, il faut former des hommes et des femmes de conscience. Il a su. C’est un défi pour l’Eglise parce que quand nous regardons, il y en a qui viennent dire : « je ne pouvais pas faire autrement ».
Les clauses de parti, de ceci et de cela, on doit avoir la conscience parce que, s’il n’y a pas la conscience, on va en déliquescence. L’Eglise, la religion va former des hommes et des femmes à être des Hommes de conscience. On peut revenir après sur la question de conscience. La conscience, ce n’est pas des arrangements, c’est des questions de conscience, des questions de vérité, des questions de droiture. La vérité ce n’est pas la conscience du plus fort.
Vous êtes aussi auteur de l’essai au titre cri de cœur « Sauvons l’esprit de la conférence nationale ». Est-ce à dire que l’esprit de la conférence nationale est menacé ? Si oui, par qui ou par quoi ?
J’ai écrit ‘’ Sauvons l’esprit de la conférence nationale’’ et sur la couverture, il y a deux figures : le Général Mathieu Kérékou et Mgr Isidore de Souza. Cet ouvrage, je l’ai écrit en 2017. Peut-être que j’étais visionnaire. Vous demandez si cet esprit est menacé. Mais vous êtes des Béninois non ? (Rire). Vous êtes des Béninois, vous pouvez aussi faire votre lecture de la situation.
Cet esprit de la conférence nationale est continuellement menacé. Pas seulement ces derniers temps. Même depuis toujours. Et j’aime une belle phrase de Mgr Isidore de Souza qui disait : « On peut changer une Constitution en 24h -nous avons même tenté de la changer de nuit (sourire)- mais il faut du temps pour changer une mentalité ». Parce que la Constitution ou la Conférence, ce sont des textes, ce sont des repères, ce sont des guides. Il revient aux hommes et aux femmes de les mettre en application. Si nous ne travaillons pas sur ces hommes et sur ces femmes, nous pouvons avoir les beaux textes, rien ne changera.
«La Conférence des Forces vives de la nation a défini ce Béninois. Mais rien n’a été mis en place après pour faire advenir ce Béninois.»
J’ai parlé tout à l’heure de la formation de la conscience et il me plait souvent de dire ceci : quand je regarde comment notre politique se déploie avec tous les efforts qui se font depuis 1960, je trouve que c’est une politique que je définis, que je qualifie de politique quelquefois élémentaire et alimentaire. On est contre ou pour, pour les questions d’intérêt. Et quand c’est comme ça, c’est l’instinct en nous, c’est une politique animale. Il nous faut faire une politique humaine.
Vous voyez, aujourd’hui, tout est question de politique. Et on laisse de côté les questions de société. J’aime bien ce que M. Eustache Prudencio disait à la conférence : « Quel type de société voulons-nous ? Quel type d’homme voulons-nous ? Quel est le Béninois que nous voulons ? Et comment nous mettons en place le processus pour avoir ce Béninois ? » La Conférence des Forces vives de la nation a défini ce Béninois. Mais rien n’a été mis en place après pour faire advenir ce Béninois. Alors, les vieux démons se réveillent. En réalité, heureusement que le consensus a été constitutionnalisé, mais tout le temps, on accède à ce consensus par la force du plus fort ou du plus grand nombre.
La majorité …
Mais la majorité n’est pas un critère de vérité. Je vous l’ai dit tout à l’heure. Ce n’est pas parce que, une loi est prise que c’est une loi qui est légitime, que c’est une bonne loi. Vous savez qu’au temps d’Hitler en Allemagne, on prenait des lois, il y avait la majorité. Donc la majorité n’est pas un critère de vérité. Qu’est-ce que la Conférence des forces vives de la nation nous a enseigné ? Elle nous a enseigné l’importance et la valeur de la réconciliation. Qu’est-ce la conférence de la Nation nous a enseignée ? Dieu comme grandeur sociopolitique.
La parole de l’Église Catholique est-elle encore crédible et audible ?
La parole de l’Eglise catholique c’est la même parole hier et aujourd’hui et à jamais. Cette parole c’est Jésus Christ qui est annoncé à travers l’évangélisation, à travers la pastorale, les lettres pastorales des évêques, à travers les homélies, la catéchèse. Il faut se poser la question de savoir si cette parole annoncée rejoint vraiment la cible et atteint son objectif. Là, deux considérations sont à faire. La première : ceux qui reçoivent cette parole sont-ils en attitude de la recevoir ? Est-ce qu’ils sont en attitude de se laisser transformer par cette parole ? Est-ce que le rapport au Seigneur n’est-il pas souvent un rapport de besoin existentiel ?
A ce niveau, il faut reconnaitre que leur formation religieuse souffre d’un certain déficit et il n’y a pas ce principe d’adhérence où la parole annoncée rejoigne quelque chose dans le cœur de ceux qui écoutent. Il faut aussi regarder d’un autre côté de nous qui annonçons cette parole, voir si nous annonçons la même parole, celle d’hier, aujourd’hui et qui existe à jamais avec les méthodes et les moyens de notre temps pour rejoindre l’homme que nous avons en face.
Nous avons aussi des efforts à faire, c’est un défi : trouver les paroles justes, les mots adéquats sans peur pour annoncer Jésus Christ ou dénoncer le mal et pour aussi indiquer des voies d’avenir. Cela requiert de notre part, comme pasteur, comme serviteur de cette parole aussi un principe de cohérence. Il faudrait que notre vie, notre manière d’appliquer cette parole, de la mettre en application et en pratique au cœur même de l’Eglise, dans nos relations les uns avec les autres soit vraiment le message le plus transparent.
«Il y a une cohérence qui est demandée aussi des pasteurs. Cette cohérence va jusqu’à notre rapport aussi avec les hommes et les femmes politiques»
Benoît XVI l’indiquait dans Africae munus [exhortation apostolique post-synodale sur l’Eglise en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix, ndlr] : « Si nous voulons annoncer une certaine transparence dans la vie politique, dans la vie sociale il nous faut être témoins nous aussi de cette transparence ». Il y a une cohérence qui est demandée aussi des pasteurs. Cette cohérence va jusqu’à notre rapport aussi avec les hommes et les femmes politiques. Nous avons besoin d’un principe d’élégance, c’est-à-dire une certaine tenue et retenue par rapport aux Hommes politiques. Ces Hommes politiques invoquent souvent le principe de séparation, moi je parlerai de distinction entre l’ordre temporel et l’ordre spirituel quand ça les arrange.
J’ai entendu la fois dernière malheureusement un député dire à la télévision nationale- si je ne m’abuse- par rapport à l’invitation des leaders religieux à une loi électorale inclusive avant même les débats : « de quoi se mêlent-ils ? » Qu’est-ce qu’il y a de mal dans cette invitation ? Un représentant du peuple doit être digne. Il y a aujourd’hui la profanation de la parole publique… Nous avons besoin d’une certaine élégance.
Qu’est-ce qui conduit à ça ? C’est le manque de tenue et de retenue quelquefois de notre part et nous devons aussi même au niveau ecclésial savoir séparer de manière radicale l’ordre spirituel et l’ordre temporel de ses honneurs quelquefois que certains offrent aux hommes politiques dans nos églises ; cela ne respecte pas cette élégance. Les hommes politiques, quand ils viennent à l’église c’est pour prier comme tout le chrétien. Le lieu où nous annonçons la parole de Dieu -et c’est là où je parle du principe d’élégance – le lieu où nous annonçons cette parole est un lieu sacré et il n’y a pas à faire d’allégeance.
Mais de plus en plus vous les installer sur les premiers sièges…
Oui cela peut se comprendre pour question de sécurité parce que si le président de la République, de l’Assemblée nationale ou de la Cour constitutionnelle, etc. vient à la messe, ce sont des institutions. Ce n’est pas la personne, c’est l’institution qui est en jeu et dès lors qu’ils sont atteints, le peuple est déboussolé et est atteint aussi. Donc il faut les protéger d’une certaine manière mais pas faire des allégeances et la parole doit être annoncée de manière indistincte. Il faut l’annoncer avec la force et le courage nécessaires et cela nous manque aujourd’hui.

Moi je suis toujours gêné, lors de certaines célébrations on a l’impression de se trouver dans une assemblée où on commence à dire des formules de protocole : « Excellence » tel ou tel Monsieur. Le lieu n’est pas adéquat et ceux qui font ces choses, ils sapent la sacralité du lieu où nous sommes, donnant aux destinataires l’impression qu’ils ont un pouvoir là. Non ils n’ont aucun pouvoir dans l’espace religieux.
Vous avez pourtant dit qu’il faut protéger les institutions ?
Nous ne sommes pas à l’église pour les institutions, la sécurité est différente du message. A l’église, nous sommes tous frères et sœurs. Moi j’ai toujours été admiratif quand je regarde le Pape. Quand il commence son homélie c’est « frères évêques, chers prêtres, frères et sœurs dans le Christ ». Il n’a pas besoin de « monsieur le président de la Cour constitutionnelle » et autres, pourtant ils sont installés à des places qui sont réservées aux institutions. Nous devons sortir de là.
Demander si la parole est crédible ou audible : ce qui rend cette parole peu crédible quelquefois, c’est cette carence de retenue, de tenue. Les lieux sont sacrés et quand vous maintenez les lieux dans leur sacralité, vous rappelez même à l’homme politique qu’il n’est qu’un serviteur et qu’il est passager. Au cas où vous allez vous autres dans les insistances, quand ils font leurs discours ils ne s’adressent pas à nous ? Il y a une politisation de toute la vie sociale. Toute la vie sociale n’est pas politique. La politique en tant que instance de pouvoir n’est pas transversale à tout. C’est parce qu’on pense ainsi qu’on se soumet. La politique est une réalité contingente. Elle ne détermine pas toute la vie.
Ses écrits sur le prélat
- Mgr Isidore de Souza : Un prophète pour notre temps, vie et orientation pastorale, en 2004.
- Mgr Isidore de Souza au service de la cité en 2006
- Lettres à mes frères, pensées spirituelles et politiques pour chaque jour, en 2009
- Isidore de Souza, mes écrits, en 2012
- Il était une fois Mgr de Souza : Faits et histoires, en 2019
Propos recueillis avec Sènan Nadège WANGNANNON

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