Une coalition de cinq Églises prend le contrepied de la posture de l’Église Catholique à propos du nouveau Code électoral. Sous l’égide de l’Epmb, elles objectent que ledit texte a été adopté et promulgué dans les règles démocratiques et qu’il revient aux acteurs chargés de l’appliquer et d’organiser les élections de 2026, de faire « preuve de grand sens de responsabilité ». La déclaration délivrée mardi 30 avril à Cotonou fâche des fidèles et pose la problématique de la neutralité politique des religions. Décryptage…
« Car, de même que la chair ne sert de rien et que c’est l’esprit qui vivifie, de même la loi en elle-même n’est rien. C’est l’esprit qui la vivifie au moment de l’appliquer ». Les cinq Églises trouvent inopportun et contreproductif de dialectiser autour du nouveau code électoral. Le code électoral ne sera pas le problème en 2026 mais plutôt les acteurs en charge de son application et en charge de l’organisation des élections.
Si ceux-ci font « preuve de grand sens de responsabilité, de justice, d’équité, de sagesse, d’élévation de conscience, de discernement, de réalisme et de hauteur d’esprit dans la mise en œuvre du code électoral du 15 mars 2024 », ils « vont contribuer de façon déterminante, à l’émergence en 2026, d’un parlement pluriel et représentatif de la diversité des blocs et courants politiques de notre pays » et « aider à préserver la paix et l’harmonie sociale au Bénin».
Nulle part l’Église Catholique n’est mentionnée dans la déclaration rendue publique mardi 30 avril au Wesley House -siège de l’Epmb à Cotonou- et dont Bénin Intelligent a obtenu copie. Mais pour tout analyste averti, la déclaration contre-attaque en toutes ses lignes, le colloque organisé par l’Église catholique à travers l’Aumônerie des cadres et personnalités politiques. A ce rendez-vous intellectuel du jeudi 25 avril, la plupart des communications et interventions s’accordaient à relever des germes de crises électorales dans le nouveau code électoral voté mardi 5 mars 2024.
Parti pris catholique ?
La déclaration la plus sonore enregistrée à l’occasion a été à cet effet, celle de l’Archevêque émérite de Cotonou. « Le souhait de l’Assemblée [entendez le colloque, ndlr]- est que vous [le président Talon, ndlr] fassiez quelque chose pour que ce code électoral ne suscite pas des bagarres dans notre pays. Nous soupçonnons cela », a accusé Mgr Antoine Ganyé, ajoutant d’avoir l’impression que le chef de l’Etat, à qui il reconnait d’avoir fait beaucoup de réalisations magnanimes, « aime un pays sans aimer ses habitants ». Les assises ont valu à l’Eglise catholique d’être accusée d’entretenir la sédition.
Sur la Télévision nationale, le porte-parole du gouvernement a fait des reproches quant à la démarche. Par exemple, le fait que le clergé n’ait pas sollicité «de l’Assemblée nationale …de lui mettre à disposition, le président de la Commission des lois pour présenter l’exposé des motifs de la loi et après que les députés de toutes obédiences viennent faire le débat. Je ne dis pas que l’Assemblée nationale n’a pas été invitée mais invitée pour que l’exposé des motifs soit présenté par des gens assermentés. Je n’ai pas vu cela.»
Et donc, à l’opposé de la posture catholique jugée anti-gouvernement, l’Eglise Protestante Méthodiste du Bénin, l’Eglise des Chérubins et Séraphins du Bénin, l’Eglise Première Mission Africaine du Bénin – Bodawa, l’Eglise Orthodoxe d’Antioche au Bénin et l’Eglise Méthodiste Africaine du Bénin dans leur « déclaration sur le code électoral » estiment plutôt que cette Loi N° 2024-13 du 15 Mars 2024, modifiant et complétant la loi N°201943 du 15 novembre 2019, portant Code électoral au Bénin a été promulgué « après un processus législatif conduit selon les principes de la démocratie, à l’Assemblée Nationale, dont les membres représentent aujourd’hui le peuple béninois ».
Leçon de démocratie
Les confessions chrétiennes concluent alors que les divergences d’opinions suscitées par ce code relèvent plutôt de subjectivités tout à fait compréhensibles. « C’est humain », écrivent-elles, soulignant que « ce n’est qu’à la pratique que l’on peut véritablement en juger de la qualité, et de l’opportunité de la rejeter sans retard ».
Les cinq Eglises professent leur attachement « au respect de la légalité républicaine et des principes de la démocratie, qui, même s’ils « ne sont pas toujours parfaits », « Nous ne pouvons pas être pour la démocratie, et en même temps être contre ses effets ». Selon elles, « il n’y a pas de loi parfaite ; et l’utilité d’une loi ne vaut que par la qualité et le bon sens des instances chargées de l’appliquer ».
Dans la même déclaration, l’Epmb et les Eglises sœurs définissent le rôle que doivent jouer les religions dans une République laïque.
« (…) le rôle primordial des Eglises et des institutions religieuses et traditionnelles en général, face aux grandes questions qui engagent la vie et l’harmonie de la société, doit être une action sur la conscience des hommes et des femmes qui exercent le pouvoir, ou qui sont chargés d’appliquer la loi. Il s’agit pour les autorités religieuses et morales, d’accompagner de loin et de près ces responsables du pouvoir politique, des organes chargés d’organiser les élections, ainsi que les dirigeants et membres de la Cour constitutionnelle, par une action opiniâtre et discrète d’élévation de leur conscience à travers la prière de la foi, l’exhortation et la persuasion, afin qu’ils puissent faire montre de discernement, de sens de justice et de responsabilité, de sagesse, d’impartialité, de réalisme et de bon sens dans l’exercice de leurs fonctions. Telle devrait être, à notre sens, la mission des autorités religieuses et morales dans notre Nation : faire en sorte que ces hommes et ces femmes qui exercent l’autorité et appliquent les lois au milieu de nous, puissent penser et agir comme le soleil ; le soleil qui envoie ses rayons vivifiants sur les bons et les méchants, les reconnaissants et les ingrats, sur la mouvance pro-gouvernementale, et la mouvance anti-gouvernementale, sur les rouges et les blancs, sur les verts et les jaunes; le soleil qui ne fait pas de distinction entre ses amis et ses ennemis. C’est à ce prix que nous bâtirons une Nation harmonieuse, fraternelle, solidaire, inclusive, paisible, prospère et républicaine, sur cette terre du Golfe du Bénin. »
Extrait de la déclaration
Fort de cette analyse politologique, elles « prient le Dieu de Jésus-Christ, de mettre en ces dirigeants et ces acteurs chargés d’appliquer le nouveau code électoral du Bénin, cette conscience élevée solaire et patriote, qui va vivifier la loi, pour que le Bénin qui va émerger des élections de 2026 soit une nation républicaine, forte, démocratique, pluraliste, unie dans la diversité, fraternelle, paisible et harmonieuse. »
Colère
Au niveau de l’Eglise protestante méthodiste du Bénin, où l’on grogne depuis contre le président Kponjesu Amos Hounsa accusé de mauvaise gestion financière et pastorale, cette déclaration gêne. Un fidèle n’a pas hésité à y voir un « équilibrisme opportuniste », qui colle à l’Epmb une étiquette de pro-gouvernement alors qu’elle devrait rester neutre. « Quand on refuse d’appeler l’imposture et l’infamie par leurs noms dans l’objectif de plaire à un pouvoir du moment, …je crois que l’œuvre pastorale devient une autre forme de manipulation de conscience des croyants », dénonce un fidèle méthodiste.
Le chef de l’État Patrice Talon a promulgué, lundi 18 mars, le nouveau code électoral. Le texte avait été déclaré conforme à la constitution en toutes ses dispositions. Cela fait suite à l’examen de huit recours formulés devant la Cour constitutionnelle par des juristes et des députés.
Dans la polémique sur le nouveau code électoral, la question du parrainage fait partie des points chauds de discorde. Selon des juristes, dont le recours en inconstitutionalité a été rejetté, l’obligation faite aux élus de ne parrainer que les candidats de leurs partis politiques, « instaure le mandat impératif en toute violation de la Constitution, au nez et à la barbe de tous».
Seuil de 20%
Mais à l’opposé, la Cour dirigée par Dorothée Sossa, partage la pertinence de la réforme du système partisan qui vise à favoriser l’émergence de partis politiques forts à ancrage national. A cet effet, elle estime, à travers la Décision Dcc 24-040 du 14 mars 2024, que la «ligne du parti doit l’emporter sur les ambitions individuelles». Autrement, «le détenteur du pouvoir de parrainer, étant d’abord le militant d’un parti politique, il conserve certes sa liberté, mais ne peut en jouir dans le cadre du parrainage, qu’en conformité avec la vision et les valeurs de sa formation politique», tranche le juge constitutionnel.
Enfin, autre disposition à polémique, le seuil des 20% à obtenir par les partis politiques dans chacune des 24 circonscriptions électorales avant d’être éligibles au partage des sièges. Disposition redoutée exclusive au sein de l’opposition, la mouvance s’inscrit en faux.
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