Les changements climatiques maintiennent une relation avec le terrorisme. Reconnaître ce lien s’avère crucial pour élaborer une réponse globale et efficace face au terrorisme. Si les spécialistes et les experts ne s’accordent pas sur la nature directe de cette relation, ils recommandent tout de même de prendre en considération le fait que les changements climatiques peuvent être un facteur de conflits.
Les changements climatiques sont à l’origine de plusieurs inversions d’ordre socio-économique et anthropologique. Pour l’Africain, c’est un vieux phénomène. Précisément en Afrique de l’Ouest, les conditions climatiques connaissent une variation chronique et de grande ampleur depuis les années 1970. Elles sont caractérisées par une évolution extrême de phénomènes météorologiques. Par-dessus tout, elles agissent « comme un accélérateur de désordre dans des zones déjà en crise », écrit Christian Parenti dans “Tropic of Chaos : Climate Change and the New Geography of Violence” (2011).
En Afrique de l’Ouest francophone et au Sahel, cet argument préconisé par Christian P. est à prendre avec beaucoup de pincettes. C’est quasiment un sujet dont on ne discute pas, surtout lorsqu’on le lie au terrorisme.
En effet, les changements climatiques participent à l’émergence de groupes armés extrémistes. Autrement dit, en l’absence de politique viable d’adaptabilité face aux changements climatiques, des conflits de type terroriste pourraient voir le jour. Parce qu’ils « ont pour effet de contraindre à la pauvreté, à la rareté, aux mouvements de populations et à la radicalisation », raisonne Dr. Beaugrain Doumongue. Ces facteurs énumérés par Beaugrain Doumongue font partie des variables endogènes contribuant à l’émergence du phénomène terroriste. La perception développée convainc de l’existence d’un lien entre les changements climatiques et le terrorisme.
Cette hypothèse est-elle réaliste ou vérifiable ?
Le changement climatique et le terrorisme sont souvent perçus comme des menaces indépendantes. Mais leur intersection est de plus en plus reconnue comme un terrain fertile pour de futures instabilités. Comme l’indique John R. Wennersten dans « Rising Tides: Climate Refugees in the Twenty-First Century » (2017) : « Le changement climatique n’est pas seulement un phénomène environnemental, il est aussi un catalyseur géopolitique qui peut affecter la stabilité des nations ».
Précieux Christian Béhanzin, ingénieur socio-environnementaliste, ne nie pas la corrélation qui peut exister entre les deux phénomènes. Néanmoins, il explique que ce lien « n’est pas direct ». À titre explicatif, il défend que le changement climatique n’est jamais le seul facteur qui conduit à une escalade de la violence. » Car, il « agit toujours en interaction avec des facteurs politiques, économiques et sociaux, qu’il vient exacerber. C’est la raison pour laquelle il est aujourd’hui important de parler du changement climatique comme multiplicateur de menaces, afin d’éviter la dépolitisation des crises ».
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En fait, le terrorisme, pris conceptuellement, ne tire pas sa source directement de l’impact causé par les conditions climatiques changeantes. Il est l’œuvre de politiques publiques délétères, marginalisantes et divisionnistes. Certes, il existe un lien entre les deux phénomènes. C’est du moins ce que pense Stéphane Ondo Ze, Géographe. « Oui, il existe un lien entre les changements climatiques et la violence », affirme-t-il. Il n’est pas allé par quatre chemins pour le démontrer. « En réalité, les conséquences du changement climatique sont déjà en soi un facteur d’instabilité et de violence », dit-il.
Cette analyse selon laquelle il existerait un lien entre le changement climatique et le terrorisme est lucide, estime Beaugrain Doumongue, avec réserve toutefois. « Si l’on définit bien sûr la lucidité comme une vision claire et un refus de l’a priori spontané », il pourrait exister un lien consubstantiel, clarifie-t-il. Pour lui, il faut briser l’os « pour comprendre qu’il serait simpliste d’établir une relation directe de causalité entre les changements climatiques et le terrorisme au Sahel ». Cependant, il admet que « les changements climatiques représentent un facteur d’aggravation du phénomène terroriste, car ils en renforcent le terreau ».
Politiques environnementales
Pour une construction de paix durable, il importe de combiner un répertoire d’actions contre le terrorisme, vu la complexité de la menace. Les changements climatiques impactent négativement la sécurité humaine, d’abord sur la disponibilité des ressources naturelles, la biodiversité et la productivité agricole. Mais aussi sur le faible niveau de résilience des populations, ce qui amplifie d’ailleurs les conséquences des changements climatiques. Dans ce sens, Stéphane Ondo Ze soutient que lorsque « les sécheresses, inondations et autres phénomènes rencontrent des groupes humains vulnérables, car en proie à la guerre, à la mal gouvernance ou à la pauvreté, leur impact dévastateur prend une tout autre ampleur ».
Beaugrain Doumongue renchérit : les changements climatiques « laissent aux facteurs tels que la pauvreté, le chômage, les instabilités politiques, les inégalités socio-économiques, la faiblesse des institutions étatiques, la corruption, les conflits ethniques et religieux ainsi qu’aux influences extérieures de toutes sortes, le soin de venir en tête des raisons premières du terrorisme ».
Lorsque les effets des changements climatiques deviennent plus insistants, ils accentuent une certaine pression sur les institutions publiques et politiques. De ce fait, ils handicapent la capacité des institutions à fournir des services publics adéquats. En conséquence, cet état de choses alimente les réprobations et la suspicion vis-à-vis du pouvoir politique. Ceci « pourrait accroître le risque d’affaiblissement des structures et induire une perte de légitimité des autorités étatiques ou même de l’État, dans les zones fragiles sévèrement touchées », déplore Précieux Béhanzin. D’où la nécessité de développer des politiques environnementales cohérentes répondant aux conditions climatiques changeantes, parce qu’elles sont en mesure de contribuer au développement économique et social.
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Prospective
Pour Stéphane Ondo Ze, il faut le triptyque « environnement, économie et société du développement dit durable » pour une action efficace. Cette perception du contre-terrorisme se base sur des données de terrain selon lesquelles les changements climatiques ont un impact significatif sur la résolution de conflits à configuration terroriste. En réalité, les changements climatiques induisent des situations qui mettent à mal la cohésion sociale, ce qui est révélateur de conflits. En prenant appui sur la géopolitique de l’eau, Malek Zitouni expose que cette dernière, comme celle de l’énergie, « couve ça et là des conflits latents dont le stress hydrique [qui] peut mener à des conflits violents ».
Raison de plus pour que les gouvernants s’activent sur l’élaboration de politiques réalistes et réalisables, prenant en considération les préoccupations des uns et des autres. Surtout de ceux qui vivent en milieux ruraux, car ce sont les plus exposés aux impacts négatifs des changements climatiques, et même au terrorisme, lorsqu’on observe la structure des mouvements terroristes du Sahel en Afrique de l’Ouest. Cependant, Stéphane Ondo Ze pense que pour une efficacité des politiques environnementales sur le long terme, elles « doivent être mises en œuvre dans le cadre d’une approche globale ». Cette approche à laquelle il fait référence concerne « des mesures de sécurité, de promotion de la bonne gouvernance, et de développement économique et social. »
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Défis
Les politiques de résolution de conflits de type terroriste doivent s’appuyer sur les conditions climatiques en tant que racines des conflits. Intégrer les politiques de changement climatique dans les stratégies antiterroristes est indéniable. En considérant les principaux défis des gouvernements de la sous-région, qui oscillent entre l’instabilité politique et la mauvaise gouvernance, Ondo Ze croit qu’il serait difficile de planifier et de mettre en œuvre des projets à long terme. C’est pourquoi, il est nécessaire d’avoir une philosophie de développement dans les États.
Toutefois, il est à souligner qu’une bonne mise en œuvre de politiques environnementales ne peut être conçue sans certains fondements essentiels. Ces dernières doivent être basées « sur … une concertation multi-acteurs, et inclusive » argumente Beaugrain Doumongue. Pour plus d’impact, ce processus devra nécessairement être adapté aux besoins et aux priorités des populations locales.
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