Depuis peu, des débats se nourrissent quant à l’abandon du présidentialisme comme régime politique. Pour embrasser le régime parlementaire. Ce changement de paradigme peut-il aider dans la consolidation de la démocratie en Afrique de l’Ouest ? Pour le Chercheur et Analyste géopolitique, Komlan Avoulete, même avec le régime parlementaire d’importants défis doivent être relevés. Des résultats positifs ne pourront être observés que lorsque les présidents auront pris conscience de leur responsabilité argumente l’analyste géopolitique.
Bénin Intelligent : À la veille du sommet de la Francophonie de 2014 à Dakar, François Hollande, alors président de la France, affirmait que “Les Africains sont attachés à la démocratie”. Selon vous, cet attachement des Africains à la démocratie est-il toujours d’actualité en 2024 ?
Komlan Avoulete : Je suis convaincu que l’aspiration à la démocratie est profondément ancrée chez la majorité des Africains. Ils aspirent à vivre dans des sociétés où leurs droits et leurs voix sont respectés. Où les dirigeants acceptent le verdict des urnes et rendent des comptes sur leur gestion du pouvoir. L’élection du président Bassirou Diomaye Faye au Sénégal en est une illustration récente et éclatante. Son élection, à la suite d’un processus électoral libre et transparent, témoigne de la maturité démocratique du peuple sénégalais.
Les peuples africains, tant hier qu’aujourd’hui, aspirent à évoluer au sein de sociétés régies par les valeurs démocratiques. Des valeurs ayant rapport au respect des droits humains et des libertés fondamentales, l’organisation d’élections libres et transparentes. Puis l’existence d’un système pluraliste de partis et d’organisations politiques, et une séparation des pouvoirs.
Cette aspiration à une société libre trouve également un fondement dans les traditions ancestrales de nombreuses sociétés africaines. Dont les systèmes de gouvernance étaient caractérisés par des lois et des pratiques démocratiques comme la charte de Kouroukan Fouga. Aujourd’hui, encore en 2024, cette aspiration demeure vivace chez un grand nombre d’Africains, et continuera à façonner le continent dans les années à venir.
Pour certains analystes, l’instabilité politique et la crise démocratique observées dans les pays ouest-africains seraient dues à une conception minimaliste de la démocratie. Qu’en pensez-vous ?
Je dirais plutôt que cette instabilité politique et la crise démocratique résultent d’un double phénomène. Le premier est le refus constant de nombreux dirigeants africains de respecter les principes démocratiques. De nombreux dirigeants s’accrochent au pouvoir, le considérant comme une fin en soi. Ils refusent d’organiser des élections libres et transparentes, privant ainsi les populations de leur droit de vote. Ce qui entraîne des conflits internes. L’instauration de présidents à vie et une érosion de la confiance des populations envers la démocratie. Voilà pourquoi les coups d’État sont perçus comme la seule solution pour le changement. Même si ce changement est incertain.
La deuxième raison réside dans l’ingérence des forces extérieures. Notamment des pays occidentaux, qui privilégient le maintien de leur influence en sabotant les processus démocratiques dans certains pays africains. Ces acteurs encouragent ou acceptent des modifications constitutionnelles et des élections truquées, privant ainsi les populations de leur vrai choix et de leur droit à l’autodétermination. Le Cameroun, le Congo-Brazzaville et le Togo illustrent ces pratiques néfastes. La consolidation de la démocratie en Afrique passe par une prise de conscience des dirigeants africains de leur rôle crucial et par leur affranchissement de l’emprise des forces extérieures.
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Si la démocratie en Afrique est principalement perçue comme l’organisation des élections, ne devrions-nous pas plutôt parler de gouvernement représentatif que de démocratie ?
Je ne pense pas que la démocratie est principalement perçue en Afrique comme l’organisation des élections. Il est quand-même vrai que l’organisation d’élections libres et transparentes est un élément crucial de la démocratie. Pour répondre plus précisément à votre question, je dirai qu’un gouvernement représentatif implique que les citoyens élisent des représentants pour les gouverner. Par contre, il ne garantit pas nécessairement la présence d’autres éléments importants pour la survie d’une démocratie.
Un gouvernement représentatif peut exister sans un État de droit, sans libertés civiles ou sans séparation des pouvoirs. Beaucoup de pays africains qui s’autoproclament démocratiques ont plutôt la nature d’un gouvernement représentatif. Souvent, ils ne sont pas réellement élus par les citoyens mais par des magouilles électorales.
En revanche, une démocratie véritable implique nécessairement un gouvernement représentatif. Mieux, il va au-delà de l’aspect représentatif en intégrant l’ensemble des principes et pratiques indispensables dans une société démocratique. On peut citer par exemple: l’État de droit, des libertés civiles, la séparation des pouvoirs et la redevabilité des dirigeants.
La cause principale de la régression de la démocratie peut-elle également être “attribuée à l’absence d’alternance et au caractère présidentiel ou semi-présidentiel de la plupart des régimes en crise” ?
Je ne crois pas que le système politique soit le problème fondamental. On peut avoir un système présidentiel, semi-présidentiel ou parlementaire et faire briller la démocratie dans son pays. Le Sénégal et la Namibie illustrent l’idée avancée. La régression de la démocratie est due avant tout au refus de certains leaders d’intérioriser et de respecter les règles basiques de la démocratie. Comme la tenue d’élections libres et transparentes, le respect de l’État de droit et la séparation des pouvoirs. Faut-il le préciser, l’alternance politique est un élément crucial dans une démocratie. Sans changement de leadership, sans de nouvelles visions pour le pays et sans un renouvellement des idées, il devient difficile pour les populations de se sentir vivre dans un pays démocratique digne de ce nom.
Pour Joël Andriantsimbazovina, directeur de l’École doctorale Droit et Science politique de l’Université de Toulouse I-Capitole, « Dans une région où les crises politiques et sécuritaires se succèdent, la transition vers des régimes parlementaires apparaît comme un palliatif au régime présidentiel. » Que pensez-vous de cet argumentaire ?
Je suis tout à fait d’accord. Il est inadmissible de prescrire du paracétamol pour une maladie grave comme la cataracte. La crise démocratique dans la région est profonde et un simple changement de gouvernement ne suffira pas à la résoudre. Comme disait le premier président de la Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny, “la paix c’est un comportement”. On peut dire la même chose de la démocratie. Tant que les dirigeants se placeront au-dessus des lois et refuseront de respecter les règles démocratiques, cette crise persistera et s’aggravera. Les coups d’État se multiplieront et les populations, attachées à la démocratie, se retrouveront aux côtés des putschistes. Simplement parce que ces dirigeants croient que leur ego est plus important que la vie et l’histoire de leur nation.
Cette situation pose une question essentielle : les Africains doivent-ils abandonner les systèmes politiques occidentaux et construire leur propre régime basé sur des valeurs ancestrales dans la gestion de leurs nations ? Je pense que la démocratie n’est pas une propriété exclusive de l’Occident. Elle est une valeur universelle à laquelle chaque peuple doit s’adapter en préservant ses racines culturelles. Le Japon est un exemple remarquable de pays qui a su concilier les principes démocratiques avec sa propre histoire et sa culture.
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Quand vous dites que « la démocratie n’est pas une propriété exclusive de l’Occident » à quoi faites-vous allusion ?
Je voulais juste dire que si les travaux d’Alexis de Tocqueville et d’autres grands penseurs ont apporté une contribution importante à notre compréhension de la démocratie, il est essentiel de reconnaître que ce concept ne se limite pas à un modèle unique occidental.
Certaines personnes en Afrique assimilent parfois la démocratie au modèle occidental, ce qui peut conduire à des malentendus. Pour moi, la démocratie est un système de gestion d’une nation qui reconnaît le rôle crucial des citoyens. Et la séparation des pouvoirs et les libertés civiles. Ce système peut-être adapté aux réalités spécifiques de chaque pays. En tenant compte bien sur de son l’histoire, des traditions et des aspirations futures de ces derniers.
Le régime parlementaire, pourquoi ?
Bien que la France, les États-Unis, la Corée du Sud et l’Inde soient tous considérés comme des démocraties, leurs systèmes politiques présentent des différences notables. Il est à cet effet impératif que les élites politiques africaines s’inspirent de ces exemples. Tout en développant un modèle de démocratie enraciné dans les réalités anthropologiques, culturelles et traditionnelles du continent.
Le “copier-coller” des règles et des lois des anciennes puissances coloniales sur des pays aux réalités socio-culturelles distinctes doit cesser. C’est seulement en adoptant une approche inclusive et adaptée que les pays africains pourront instaurer des démocraties authentiques. De même que se faire prendre au sérieux sur la scène internationale.
Pour vous, le changement du régime politique en termes de présidentialisme vers le parlementarisme signifie-t-il rupture avec l’Ancien Régime et plus de démocratie ?
Le régime politique le plus adapté dépend des spécificités de chaque pays et du contexte dans lequel il évolue. Le régime parlementaire présente des avantages considérables. Principalement avec le rôle prépondérant du Parlement dans le processus décisionnel. Aussi avec la possibilité de destituer le Premier ministre en cas de manquement à ses obligations.
Si vous faites allusion au récent changement survenu au Togo, je dirai que je n’en suis pas sûr. Le régime politique a changé, mais ce sont les mêmes personnes qui sont toujours au pouvoir et dans les institutions. Les autorités togolaises affirment que ce changement est indispensable pour renforcer la démocratie. Il est nécessaire d’observer attentivement l’évolution de la situation pour en mesurer les effets réels.
En tant qu’analyste, je crains que ce changement ne permette pas de résoudre la crise politique actuelle et que ce soient encore les populations qui en pâtissent. Il est difficile de prédire l’avenir avec certitude. Seule l’observation des faits permettra de déterminer l’impact réel de ce changement constitutionnel au Togo. Un changement qui débouche sur le régime parlementaire.
Comment voyez-vous l’avenir de la démocratie parlementaire en Afrique de l’Ouest ?
Tout régime politique comporte des avantages et des inconvénients. Le régime parlementaire peut apporter une certaine stabilité. Et ce, dans des pays où le régime présidentiel ou semi-présidentiel est miné par des crises et où la démocratie semble fragile. La crise de la démocratie en Afrique de l’Ouest est une non pas de système mais de personnes.
L’adoption du régime parlementaire par d’autres pays d’Afrique de l’Ouest peut être une piste de solution pour certains problèmes. Mais, il ne s’agit pas d’une solution miracle qui résoudra tous les maux. Il est important de s’attaquer aux causes profondes des crises démocratiques, qui sont aussi liées à des problèmes de gouvernance, de corruption et de respect des droits humains.
En résumé, la démocratie implique des élections libres et transparentes, le respect des résultats des urnes. L’alternance politique, le respect des droits des citoyens, la tenue de promesses, l’État de droit, la protection des libertés civiles, la séparation des pouvoirs et la redevabilité des dirigeants. Sans ces éléments fondamentaux, la démocratie en Afrique de l’Ouest ne sera qu’une illusion.
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