Contre le terrorisme au Niger, les militaires souhaitent instituer un fichier national. Ce dernier rend possible la perte de nationalité au Niger pour des faits de terrorisme. C’est à travers l’ordonnance 2024-43 que l’annonce a été faite. Cette ordonnance, bien qu’elle soit inscrite comme mesure de prévention et de contre-terrorisme inquiète. En vrai, le risque d’une violation des droits de l’Homme serait imminent expliquent des observateurs.
Au nom de la lutte contre le terrorisme au Niger, plusieurs politiques sont engagées par le Cnsp. Il y a par exemple la perte de nationalité qui est désormais chose possible. Ceci pour des faits de terrorisme. En fait, le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (Cnsp) a rendu public le 27 août, l’ordonnance n°2024-43. Ordonnance selon laquelle il serait désormais établi en République du Niger « un fichier des personnes, groupes de personnes ou entités impliquées dans des actes de terrorisme ». Aussi « dans toutes autres infractions portant atteinte aux intérêts stratégiques et/ou fondamentaux de la Nation ou de nature à troubler gravement la tranquillité et la sécurité publique en abrégée ‘’Fpge’’ ».
Ce fichier, pour Adinon Tchatcha, Juriste, est le bienvenu. Parce qu’il « est adapté au contexte d’insécurité accru au niveau régional » compte tenu de l’étendue du phénomène dans la région, dit le juriste. De plus, elle pourra aider dans la lutte contre le terrorisme au Niger. En réalité, cette mesure, si elle arrivait à être exécutée facilitera la création d’une base de données. Et ce, de potentiels entrepreneurs de violence. L’avènement du Cnsp au pouvoir en juillet 2023 a été motivé entre autres par la détérioration de la situation sécuritaire au Niger. C’est du moins ce qu’a informé le colonel Amadou Abdramane.
Voyage à vue ?
La prise de pouvoir par les forces de défense et de sécurité « avait pour objectif de mettre fin au régime que vous connaissez ». « En raison de la dégradation de la situation sécuritaire et de la mauvaise gouvernance » a affirmé ce dernier. Cependant, un an après le coup d’État du 26 juillet 2023, Komlan Avoulete, Analyste géopolitique, pense que l’ordonnance n’est pas de grande facture.
A l’opposé du Juriste, sur l’efficacité de l’ordonnance, le géopolitologue, voit « que ces mesures administratives ne suffiront pas à enrayer l’expansion des groupes terroristes ». Pour lui, l’impact de ces mesures « pourraient être » plus « ressenti » du côté de « leurs complices et leurs fournisseurs » que dans la résolution du conflit lui-même.
« Toute action visant à lutter contre le terrorisme doit être appréciée. Même si ces effets sont minimes » rebondit Adinon Tchatcha. Dans le même sens, mais à titre de rappel, Maixent Somé, analyste argue que : « le général Tiani navigue à vue. Son coup d’État n’avait rien à voir avec la lutte anti-terroriste. Il a fait un coup d’État car Bazoum s’apprêtait à le limoger du poste qu’il occupait depuis 12 ans et qu’il ne voulait pas quitter ».
Impacts directs et indirects
A considérer l’ordonnance 2024-43 comme faisant partie du plan national de lutte contre le terrorisme au Niger, il y a à dire qu’elle peut aider. Surtout dans « le renforcement de la lutte anti-terroriste » croit Jean de Dieu Sovon, Journaliste, Spécialiste des questions de droits de l’Homme. Pour lui, un tel fichier aura comme conséquence directe de « rendre la tâche moins rude pour les services de renseignements nigériens. Que cela soit bien sûr « dans le ciblage des présumés terroristes et l’interception de la planification des menaces ». Pour le journaliste, le ‘‘Fpge’’ aidera les autorités compétentes à « répondre de façon efficace et dans de brefs délais aux dangers ». L’avantage du fichier n’est pas contestable dans ce sens.
« Cette mesure envoie un signal fort quant à la détermination du gouvernement à lutter contre le terrorisme » au Niger reconnait Komlan Avoulete. Elle « renforcera la sureté de l’État. Car elle vise à faire de la prévention » ajoute Adinon Tchatcha.
Le ‘‘Fpge’’ est-il sans conséquence ? Dans le contre terrorisme au Niger, non. « On pourrait assister à la violation des droits des personnes accusées d’actes terroristes » regrette Houlda Hounzandji, Juriste. Elle s’appuie en effet sur les quatre conventions de Genève de 1949. Ces dernières font partie des principes généraux de droit international humanitaire. Par ailleurs, comme atteinte aux droits des personnes accusées de terrorisme on peut citer : le droit à un procès équitable. Ou à la présomption d’innocence. Il y a également le droit à l’assistance juridique, à la protection contre la torture. Les traitements inhumains ou dégradants etc. Quand on sait que la perception du « terrorisme » fait toujours débat, le ‘‘Fpge’’ pourrait faire plus de mal que de bien. Dans ce sens où « la définition des “actes terroristes” et des “activités subversives” » peuvent occasionner des « dérives autoritaires » alerte le géopolitologue.
Caractère juridique controversé de l’ordonnance 2024-43
La légalité de l’ordonnance 2024-43 fait également débat. Surtout que cette dernière inclue la perte de la nationalité au Niger. D’emblée, Aimé Protais Bounoung, Spécialiste des questions relative à la paix et la sécurité, explique que la déchéance de nationalité est une réalité qui se pratique. Beaucoup plus dans les régimes identisés ‘démocratiques’ ». Toutefois, « à la lecture de cette ordonnance, il est clair qu’elle a tout sauf un caractère juridique » analyse Maixent Somé. Son avis n’est pas du goût du spécialiste des questions Bounoung.
Pour Aimé, « l’ordonnance du 27 août n’est rien d’autre qu’un instrument supplémentaire de cadre normatif de lutte contre le terrorisme dans ce pays ». Elle est « une pierre supplémentaire dans l’édifice juridique applicable en matière de lutte contre les infractions terroristes au Niger. Edifice encadré par l’ordonnance n° 2011-12 du 27 janvier 2011 (JOSP n° 03 du 11 mars 2011) et la loi n° 2016-22 du 16 juin 2016 complétant le code pénal (JOSP n° 05 du 15 mars 2017) ».
Mesure anti-terroriste ?
Clairement, l’objectif de cette ordonnance « n’est pas la lutte antiterroriste. Mais l’annihilation de toute opposition et de tout contrôle Étatique ou citoyen » commente Maixent Somé. Il suggère à cet effet une relecture scrupuleuse et attentionnée de l’ordonnance. Et ajoute qu’il « est exactement de la même nature que le Décret N°2024-273/P/CNSP du 04 avril 2024 soustrayant les dépenses de l’armée et de la Présidence de tout contrôle à priori ou à postériori ».
Cette ordonnance selon laquelle la perte de nationalité au Niger est désormais envisageable souffre d’incohérence préalable quant à sa gestion transparente. Dans cette optique, l’on peut prétendre que, « Tiani nomme de façon discrétionnaire les membres du ‘Fpge’. Lesquels fichent qui ils veulent, quand ils veulent et comme ils veulent. Et ils sont seuls juges en premier et en dernier recours. Il n’y a aucune instance d’appel ». « Ce type de fichier n’est pas une invention nigérienne » contredit Aimé Bounoung. A titre d’illustration, celui-ci évoque l’existence du fichier judiciaire national français des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT). Qui serait « tenu par le service du casier judiciaire sous l’autorité du ministre de la Justice et le contrôle d’un magistrat, chargé d’enregistrer les données des personnes ayant fait l’objet d’une condamnation pour terrorisme ou d’une interdiction de sortie du territoire en lien avec ces activités ».
Atteinte aux droits de l’Homme
Cette nouvelle mesure n’est pas sans impacts. A titre indicatif, Jean de Dieu Sovon explore que « l’impact de cette mesure sur les droits humains n’est pas à négliger ». Sa mise en œuvre sera sans doute objet de controverse et d’abus. En ce sens qu’on pourrait « assister à des surveillances excessives, des détentions arbitraires. Ou à des injustices en matière d’inculpation, de stigmatisation de certains groupes » renchérit Houlda Hounzandji. Concernant l’article 9 de l’ordonnance qui prévoit la perte de nationalité au Niger par exemple, Adinon Tchatcha y voit un bémol. Bien que l’ordonnance insiste sur le fait que la déchéance peut subvenir à titre provisoire ou définitive en cas de condamnation, le juriste trouve que cet article « pose des problèmes de compatibilité au regard du droit international ».
Ce qui risque sans nul doute d’aller en contradiction avec la convention sur la réduction des cas d’apatridie du 30 aout 1961. Convention que le Niger a signé et à laquelle, il est un adhérant.
Liberté individuelle
Plus loin, Adinon Tchatcha révèle qu’il « se pourrait que cette mesure cible les individus possédant la double nationalité ». L’atteinte aux droits de l’Homme est-elle une spécificité de cette ordonnance ? Aimé Protais Bounoung y répond par le négatif. « Toutes les lois, restreignent d’une manière ou d’une autre la surface des libertés individuelles et collectives. La loi légifère toujours contre quelqu’un ou quelque chose » rappelle le spécialiste des questions de sécurité.La mesure en elle-même est salvatrice. Bien qu’elle soit « ferme à la menace terroriste, elle doit-être accompagnée de garantie solide » juge Fhadel Alou, journaliste au Niger. Parce qu’elle risque de créer de frustration qu’une panacée contre le phénomène terroriste.
Comme cas illustratif, Jean de Dieu Sovon relate et évoque la situation de certaines communautés ou ethnies qui sont targuées d’être des terroristes. Pour lui, ces dernières « vont être de plus en plus victimes d’actes de stigmatisation ». De manière optimale « d’exclusion alors que la population devrait cultiver la cohésion sociale dans cette situation ou contexte de crise sécuritaire ». En cela, Komlan Avoulete trouve que « cette ordonnance revêt un caractère particulièrement vague ». Même si elle est « présentée comme un instrument de lutte contre le terrorisme » clarifie ce dernier.
Quid de la liberté d’expression ?
Peuvent être inscrits sur le ‘‘Fpge’’les personnes impliquées dans une « poursuite judiciaire ». De même qu’après « une condamnation judicaire » ou sur « demande des services de renseignements » lit-on dans l’ordonnance 2024-43. En effet, « ce fichier concernera plus largement ceux qui troublent l’ordre public ». Ou diffusent des données ayant pour ambition le même objectif. Face à cet état de chose, et dans de pareil contexte sécuritaire le journaliste spécialiste des questions de droits de l’Homme analyse que « les défenseurs des droits humains et les activistes » font partie des personnes les plus exposées. Ce n’est pas tout.
Grace à cette ordonnance, « la junte peut désormais commettre toutes les exactions et toutes les malversations qu’elle veut » dit Maixent Somé. Ce dernier se remémore de la particularité de la junte nigérienne. L’avantage avec le Cnsp dit-il « c’est que contrairement aux autre juntes, elle s’assume : suspension/abolition de la constitution ;pas d’Assises de la transition ; pas d’organe législatif de la transition ».
Liberté de presse
Le clair de l’objectif de cette mesure est de porter atteinte à la liberté d’expression. À passer par la perte de nationalité au Niger, Komlan Avoulete explique que « ses formulations floues offrent un prétexte idéal pour museler les opposants politiques, intimider les journalistes indépendants et restreindre la liberté de manifester ». Fhadel Alou, ne partage pas son point de vue. Pour le journaliste exerçant au Niger, « chaque citoyen est libre de s’exprimer ».
Toutefois, « toute personne impliquée de près ou de loin à des actes de terrorisme sera évidemment inquiétée » va poursuivre le journaliste. En détail, « cette mesure s’apparente à un outil de contrôle social. Permettant à la junte de renforcer son emprise sur le pouvoir et de réprimer toute voix discordante. Ainsi, les libertés fondamentales, telles que celles de réunion, de manifestation et d’expression, se trouvent considérablement réduites, au détriment d’un État de droit et d’une démocratie » défend Komlan Avoulete.
Garanties
Pour de meilleurs résultats, il y a nécessité que des garanties soient mises en place. Surtout pour prévenir les abus et protéger les droits des personnes concernées inscrites sur le ‘‘Fpge’’. Dans la même veine, Adinon Tchatcha suggère la mise en place d’une procédure de contestation de la liste du fichier comme inscrit au chapitre V de l’ordonnance. En vrai, il doit exister un moyen donnant « la possibilité de contester la liste auprès des autorités compétentes. Et de demander la suppression auprès d’un juge Étatique, le cas échéant à un juge supra-Étatique ». Peuvent être donc mises en place comme garanties « la transparence, un contrôle judiciaire indépendant. Il y a également la formation des forces de sécurité sur les questions de droits humains. De même que la création de mécanismes de recours accessibles. Sans oublier la supervision par des organismes indépendants de défense des droits humains » ajoute Houlda Hounzandji.
Jean de Dieu Sovon, attire l’attention sur le fait que « la garantie de zéro cas d’abus et zéro cas de violations des droits de l’homme » serait illusionniste.
Inclusive
Pour des résultats positifs dans le contre terrorisme au Niger, « il faut un travail minutieux et méticuleux des dirigeants.». De même que de l’équipe mise en place pour gérer le ‘‘Fpge”. Au-delà de cet état de choses, Jean propose « une implication de tous les acteurs de la vie socio-politique nigérienne. Notamment, des acteurs politiques, des acteurs de la société civile et même les jeunes ». Conscient du fait que « le pilier fondamental de l’Etat de droit » repose aussi sur le maintien de l’ordre public dans le respect de la dignité humaine, Komlan Avoulete, suggère quelques perspectives.
Pour lui, les principes clés qui doivent configurer les garanties permettant de prévenir les abus et protéger les droits des personnes concernées sont : « la légalité de l’arrestation, fondée sur des motifs précis et connus de l’intéressé. Le droit à l’assistance d’un avocat dès les premières heures de la garde à vue. L’interdiction absolue de la torture et des mauvais traitements ; la présomption d’innocence. Le droit à un procès équitable, comprenant notamment le droit à un défenseur. Le droit de la défense de confronter les accusateurs, et le droit de faire appel ; ainsi que l’indépendance et l’impartialité des juges ».
Co-écrit avec Moucharaf SOUMANOU
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Encadré
Il faudrait garantir le respect des droits des personnes poursuivies. Dans le préambule de la Constitution du 25 novembre 2010, le peuple nigérien a proclamé son attachement aux principes fondamentaux contenus dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 qui contient des standards internationaux d’équité du procès (cf. article 8 à 11 DUDH). La Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples évoque, elle aussi, le droit à un procès équitable dans son article 7.1. Aussi, les droits des personnes poursuivies doivent être respectés à toutes les phases de la procédure, aussi bien au cours de l’enquête, de l’instruction, que du jugement, dans la mesure où les poursuites qui respectent les normes relatives aux droits humains ont beaucoup plus de chances d’être efficaces que celles qui ne les respectent pas. C’est ainsi que si des éléments de preuve sont obtenus par la torture ou de mauvais traitements, cela entraine l’annulation de la procédure ; ou encore lorsque des éléments de preuve sont obtenus en violation des droits à la vie privée, par l’interception illégale des conversations téléphoniques ou des courriels du suspect, ces moyens de preuve sont irrecevables.
La durée souvent longue des procès des infractions terroristes a été déjà évoquée dans la première partie. Cette durée s’explique par la complexité des infractions dont il est question et la nécessité de faire souvent appel à des experts pour réunir les éléments de preuve nécessaires. Pour autant, il est important, aussi bien pour les suspects que pour les victimes d’actes terroristes, que les procès terroristes se déroulent le plus tôt possible. Cela est d’autant plus nécessaire qu’en cas de témoignage, plus le témoin attend, plus il aura des difficultés à se souvenir des événements tels qu’ils se sont déroulés, voire même pourra les oublier. Pour cela, les autorités judiciaires doivent accomplir les actes devant aboutir au jugement de l’affaire dans des délais raisonnables et éviter tout retard inutile, surtout lorsque la personne poursuivie est en détention provisoire.
En tant que droit humain fondamental, le droit d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial, doit également être respecté lors des procès terroristes. Tiré du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’article 14-1 dispose que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».
Le droit d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial est également protégé par la Convention africaine des droits de l’homme (articles 7 et 26). L’indépendance du tribunal suppose que le pouvoir exécutif ne s’ingère pas dans l’administration de la justice. L’impartialité du tribunal suppose que la juridiction se prononce en se basant uniquement sur les éléments de preuve, mais aussi que les décisions rendues ne soient pas influencées par des considérations personnelles.
Or, s’agissant des juridictions spécialisées de lutte contre le terrorisme, la question qui peut se poser est souvent celle de leur impartialité. On se demande souvent pourquoi on confie à des juridictions spécialisées la charge des procès terroristes. Cela se justifie tout simplement par la gravité des actes terroristes, mais aussi en raison de la catégorie des personnes (supposées présenter une certaine dangerosité) qui sont impliquées dans ces affaires.
Aimé Protais Bounoung, Spécialiste des questions de paix de paix et de sécurité/ Expert en médiation de conflit