Le JNIM au Bénin et au Togo obéit à deux dynamiques. Le premier a rapport avec le débordement du péril sahélien. Le second, quant à lui, a trait aux différentes fragilités que présentent les pays Ouest-africains. En effet, depuis l’avènement des coups d’Etat au Sahel central, les fragilités sécuritaires régionales ne cessent de se durcir. Autrement dit, les nouvelles dynamiques politiques régionales ont favorisé la multiplication des incidents sécuritaires dans les zones côtières. Cependant, entre dynamiques sécuritaires explosives, fragilités socio-économiques et calculs politiques, quels sont les ressorts de l’offensive du JNIM ? Pourquoi cible-t-il particulièrement le nord Bénin et le nord Togo ?
Le JNIM au Bénin et au Togo, c’est presque une catastrophe. Au vu, bien sûr, des nombreux incidents auxquels ce dernier est associé. A l’unanimité, il est le groupe ayant occasionné le plus d’incidents dans les pays précités. Au-delà, entre 2021 et 2025, le JNIM reste le groupe à avoir étendu son influence dans la bande côtière. En effet, en dehors du Bénin et du Togo, le JNIM serait encore actif au nord du Ghana et de la Côte d’Ivoire. Même au Sénégal et en Mauritanie, le dernier rapport de Timbuktu Institute publié le 27 Avril 2025 évoque la possibilité mentionnée. « La région des trois frontières, située à la jonction du Mali, de la Mauritanie et du Sénégal, est devenue un théâtre d’opérations stratégiques pour le Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimîn (JNIM) » fait constater le rapport de Timbuktu Institute. Objectivement, le JNIM représente une menace pour les pays côtiers.
« Au Togo, au Bénin, et au Ghana, par exemple, les opérations du JNIM » atteignent le seuil « de plus 250 % de 2022 en 2024 » soutient Ingale Utkarsh Ajay dans The Growing Influence of Jnim in West Africa : Threats to Benin, Togo and Ghana. La montée du seuil de violence vers ces pays cités illustre l’ambition du Jnim. En réalité, « les jihadistes du JNIM » chercheraient « à étendre encore leur zone d’influence vers les pays côtiers sahéliens » depuis le Burkina Faso et le Niger, renchérit à titre de précision Hervé Briand, analyst sénior du sahel. De décembre 2024 à avril 2025 au Bénin, il ne s’est pas passé un mois sans attaques. Les unes, plus violentes que les autres, se succèdent sans de réelle perspective. En ce qui concerne le Togo, la situation n’est pas très différente de celle du Bénin.
En vérité, « la plus grande latence s’exprime en semaines et non en mois » au Togo, révèle Mathias Khalfaoui, consultant indépendant sur les questions de sécurité humaine en Afrique de l’Ouest.
Pourquoi le nord Bénin et le nord du Togo ?
Le JNIM au Bénin et au Togo : la question paraît simpliste. Mais dans le fond, elle présente des complexités. En effet, même s’il subsiste des variables endogènes et exogènes, toutes les deux sont liées. Dans cette logique, Mohamed Lamine Ouattara, expert en relations internationales, trouve que le débordement du péril sahélien vers le Bénin et le Togo s’explique par trois facteurs essentiels. En conséquence, il évoque « la porosité des frontières et leur faible contrôle ». Puisque les zones d’activité actuelles du JNIM couvrent essentiellement le complexe WAP (W-Arly-Pendjari). Ensuite, l’expert en relations internationales met l’accent sur « la faiblesse de la présence étatique ». Sans contradiction, Bakary Sambe, directeur de Timbuktu Institute, pense qu’il y a lieu d’établir une distinction. D’autant plus que, « il y a l’État qui est absent et l’État qui est présent », dit-il. Car « l’État répressif est très présent, alors que l’État protecteur est moins présent ».
En dernière, Mohamed Lamine Ouattara lie l’avancée du JNIM au Bénin et au Togo, à la « marginalisation de certaines communautés ». Il met également l’accent sur la pauvreté chronique et le chômage des jeunes. Ces faits évoqués suffisent-ils à expliquer l’avancée du JNIM vers le Bénin et le Togo ? Non ! D’abord, il est important d’insister sur le fait que la situation sécuritaire des deux pays se sont plus dégradées au lendemain des coups d’Etats au Sahel central. Mieux, avec plus de clairvoyance, Dr Bréma Ely Dicko, spécialiste de la Katiba Macina, argumente que le JNIM s’intéresserait au Bénin et au Togo pour deux raisons dans un entretien à Bénin Intelligent. La première serait la recherche de « grande sphère d’influence ». En second lieu, il fait cas de la pression que subissent les combattants du JNIM au Sahel central. Car, cette dernière est à l’origine des nombreux délogements des combattants du JNIM.
C’est tout ?
Probablement pas. D’ailleurs, Wassim Nasr, journaliste et spécialiste des mouvements djihadistes rappelle qu’il existe « plusieurs politiques ou stratégies » mises en œuvre. En fait, ce qui se passe aujourd’hui au nord Bénin et au nord Togo, est à l’image de ce qui, par le passé, a eu lieu dans le nord du Mali. Puisque, les dynamiques contextuelles se ressemblent tant dans l’évolution du JNIM que dans les réponses étatiques. « On sait que dans les zones du Togo, du Bénin et de la Côte d’Ivoire, il y a aussi les mêmes terreaux favorables qui ont permis l’enracinement des groupes terroristes dans le Sahel » relativise Dr. Bréma Ely Dicko. De façon caricaturale, Wassim Nasr abonde dans le même sens.
Toutefois, il insiste sur le fait que le JNIM est dans l’intention de dupliquer ce qu’ils « ont fait du nord vers le centre du Mali. Puis, du centre Mali vers le Burkina Faso, et du Burkina Faso maintenant vers le Bénin et le Togo ».
Parmi les pays côtiers francophones, le Togo et le Bénin restent durement touchés par le terrorisme. En particulier par le JNIM. De 2023 à 2025, par exemple, à part les foyers de tensions classiques de la région, seuls le Bénin et le Togo figurent dans le Top 30 des Etats les plus touchés par le terrorisme dans le monde selon le Global terrorism index. Selon les rapoorts du Global terrorism index, sur 169 pays, le Bénin, de la 28e place en 2023 s’est retrouvé à la 26e place en 2025. Quant au Togo, passé de la 27e place en 2023, il occupe en 2025 la 24e place. Petite nuance ! Le Togo enregistre plus d’attaque que le Bénin. Toutefois, en termes d’incidents sécuritaires, le Bénin surpasse le Togo. Les attaques du 8 Janvier et du 17 avril au nord Bénin qui ont fait plus de 80 morts illustre l’argumentaire avancé.
Bénin, Togo : la brèche côtière
A la question de savoir pourquoi le JNIM tape aussi fort dans le nord du Bénin ? Dr Aziz Mossi, spécialiste de la radicalisation et de l’extrémisme violent a déclaré au micro de RFI que ledit groupe chercherait « plutôt un ancrage local au niveau du Nord du Bénin… ». Cette stratégie s’inscrit dans la logique de « contrôler sans gouverner », selon Dr. Aziz Mossi. En effet, le JNIM « essaie de contrôler à la fois les communautés qui sont dans cet espace ». Aussi, il ambitionne « de contrôler l’espace géographique pour avoir la possibilité de se mouvoir comme ils peuvent le faire. Et puis traverser le territoire béninois pour se retrouver aussi du côté du Nigéria ou même du côté du Togo » estime le spécialiste de la radicalisation. Cette analyse du spécialiste de la radicalisation et de l’extrémisme violent met en évidence la géographie.
La superficie du Togo et du Bénin est parmi les plus petites des Etats côtiers. En matière de vulnérabilité, les deux pays présentent encore plus de fragilités que les autres à la date d’aujourd’hui. Cela est dû principalement à leur position géographique qui les désavantage. La présence accrue du Jnim dans la frange septentrionale des deux pays suit un but. Il est aussi très récent. Au départ les actions du Jnim dans « les provinces de la Kompienga et de la Tapoa visait avant tout à soutenir leurs opérations au Burkina Faso » éclaire le rapport de décembre 2022 de Clingendael. L’objectif n’était visiblement pas de menacer la stabilité du Bénin. D’ailleurs les premières attaques contre les installations des FAB et de l’APN le long des parcs nationaux ont débuté en Janvier et Février 2022. En avril de la même année, le Jnim a redéfini ses objectifs.
La brèche dans la tempête
Le Jnim concentre ses activités sur le Bénin, le Togo et la Côte d’ivoire pas seulement pour encercler le Burkina Faso. Le Bénin et le Togo sont confrontés au Jnim à cause de la pression des armés du Sahel Central. Il n’y a pas que cela évidemment. Car « le tout terrorisme, même international, a cependant des racines locales. Il se nourrit avant tout des problèmes propres à un pays ou à une région du monde. » (Cilliers 2004). De cette affirmation, il faut rappeler que plusieurs dynamiques socio-historiques expliquent la présence du JNIM au Bénin et au Togo. Pour l’heure, en tout cas, les populations de la frange septentrionale des deux pays ne leur sont pas hostiles. Contrairement aux populations qui se trouvent plus au sud, vers la côte. C’est d’ailleurs ce qui justifie leur implication de plus en plus accrue dans ces zones.
D’ailleurs, on note un acharnement violent sur les positions des forces de défense et de sécurité. Cela a pour objectif de conquérir les cœurs et les esprits. A ce propos, Bakary Sambe pense que le JNIM serait à la « recherche de couveuses locales. C’est-à-dire « des alliances qui lui facilitent le repli et le renseignement ». Il faut à tout prix éviter ce scénario. Car plus le JNIM prospère dans cette stratégie, plus le risque que le Bénin abrite une base arrière du JNIM se précisera. « Lorsque le JNIM s’implante véritablement au Bénin et au Togo, ça va être des jeunes, des Togolais et des Béninois qui vont être identifiés. Pour ensuite former des ‘Maqsad’ et plus ça s’étend dans le pays, plus ils vont former des unités combattantes » averti Dr Bréma Dicko. La présence du JNIM au Bénin et au Togo se précise, plus le temps passe.
La menace du nord
Les zones géographiques ou les localités des deux pays qui sont les plus touchées se localisent pour la plupart au nord. Entre autres, au Bénin, on note des attaques dans les environs des Parcs W et la Pendjari, zones proches de la frontière avec le Burkina Faso et le Niger. Du côté du Togo, on note également la Région des Savanes, notamment les préfectures de Kpendjal et Kpendjal-Ouest qui sont plus touchées. Entre les deux régions touchées que cela soit au niveau du Togo ou du Bénin, l’autre fait plus flagrant est leur proximité géographique. Il en est de même pour les deux groupes opérant à cheval entre le Bénin, le Togo et le Burkina Faso. En fait, bien que les combattants du JNIM opérant dans le nord du Bénin et le nord Togo soient de la même origine, ils sont différents. Les unités du JNIM sont d’origine Burkinabè.
Les deux unités du JNIM qui menacent la stabilité au Bénin et au Togo sont respectivement la Katiba Hanifa et la Katiba Sékou Mouslimou. Ces deux Katibas portent le nom de leur chef, soit Abou Hanifa et Sékou Mouslimou. Pour Mathias Khalfaoui, la Katiba Mouslimou « se trouve principalement dans les provinces de Kompienga et du Koulpélogo ». Quant à la Katiba Hanifa, « elle est située principalement dans la province de Tapoa », selon le même auteur. La katiba Mouslimou, « basée à Kompienga, a pour zone d’influence le parc Pendjari, le département de l’Atacora et le Togo. La katiba Hanifa, située à la frontière entre le Niger et le Burkina Faso, a pour zone d’influence la province de Tapoa et le parc W Bénin ». Le chef Abou Hanifa est d’origine burkinabé. « Son adjoint Abdoul Hakim est lui béninois » nous confie Hervé Briand, Analyst Sénior du Sahel.
La katiba Hanifa et Mouslimou
Les deux katibas opèrent sur des surfaces interconnectées. Cette proximité n’a pas encore pour l’heure créer des incidents entre les deux groupes. D’ailleurs selon les témoignages rapportés par Kars de Bruijne dans le rapport de Clingendael 2022 des possibilités de voies d’accès ont été sondées. Ces possibilités scrutent les voies d’accès entre le Bénin et le Togo à travers Toutourgou et Lalagiga. Aussi, il y a la possibilité de rejoindre le Bénin par « Koualou ». Outre les attaques sur les couloirs de transit commerciaux de la région, le groupe Hanifa est reconnu comme un groupe extrêmement violent. En effet, il est spécialisé dans les attaques contre les positions des forces de défense et de sécurité. La récurrence de ses attaques sur les positions des forces armées béninoises et dans le sud-est du Burkina Faso confirme cet état de chose.
« Les morts liées à des groupes islamistes militants (probablement la Katiba Hanifa) dans la région Est du Burkina Faso – qui comprend le complexe WAP et borde le Niger, le Bénin et le Togo – ont presque triplé au cours des deux dernières années pour atteindre 1 472 morts » documente à cet effet le Centre d’études stratégiques de l’Afrique. S’il en est ainsi, c’est parce que le groupe est « dans la logique de se présenter comme le protecteur des communautés marginalisées ou ostracisées afin de les séduire, les recruter et les dresser contre les États centraux » déduit Bakary Sambe. « Au Mali, c’était le même modus operandi » assure Dr. Bréma Ely Dicko. De plus, celui-ci indique que « la deuxième étape consistera à trouver des leaders locaux qui vont répandre leur message et élargir leur base ».
Pour contenir l’avancée de cette Katiba qui aujourd’hui constitue une menace pour le fuseau nord et le fuseau nord-ouest Bénin, plusieurs stratégies sont à prisées. Toutefois, la première des choses à prendre en considération serait la compréhension des dynamiques socio-historiques et contextuelles. Car « beaucoup d’éléments historiques participent à l’enlisement des conflits » pense le spécialiste de radicalisation et de l’extrémisme violent, Dr. Aziz Mossi. Visiblement, la question du JNIM doit être traitée comme un phénomène social. Le dialogue se présente aussi comme une alternative. Mais à quel moment discuter avec le JNIM ? Discuter avec le JNIM signifie-il faire fi de la force militaire ? Entre le JNIM et l’Etat islamique lequel des deux groupes représente une véritable menace pour les pays ouest-africains ?
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