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Berge lagunaire de Cotonou : Voisinage du marché Dantokpa, la grande menace (« Le vrai problème n’est pas résolu » selon Dr. Flavien Edia Dovonou)

Le gouvernement a récemment effectué une opération d’assainissement de la berge lagunaire de Cotonou en délogeant les populations qui s’y sont installées. Tout en saluant l’action, le spécialiste du management environnemental, Dr. Flavien Edia Dovonou estime que c’est un travail précaire de mettre de la terre jaune sur la zone sans préalablement déterrer les tonnes de déchets entassées pendant des décennies. En tant que spécialiste, il dit ce qui devrait être fait et propose des solutions durables.

Propos recueillis par Sêmèvo Bonaventure AGBON

 

Bénin Int : Bonsoir, docteur. Comment appréciez-vous l’opération d’embellissement de la berge de Cotonou initiée par le gouvernement ?

Dr. Edia Flavien Dovonou : Bonsoir cher ami.

C’est une grande joie pour nous de constater qu’enfin les autorités ont choisi d’embellir les berges de la lagune de Cotonou. C’est une opération salutaire qui viendra rehausser l’image de la ville de Cotonou, qui viendra assainir nos berges. Une berge est un espace de terre qui borde un cours d’eau ou un plan d’eau. Aujourd’hui nous constatons que nos berges sont en souffrance, tout simplement parce qu’elles ont été envahies pendant des années par des déchets solides de toute nature.

Le phénomène est d’autant plus criard que ces déchets ont commencé même par étrangler la lagune de Cotonou longue de 5km avec un largueur de 300m. Par endroit, la largeur est aujourd’hui inférieure à 300m du fait de nos comportements. Il faut dire que l’une des causes de ce phénomène, c’est le marché de Dantokpa, qui n’arrive pas à gérer efficacement ses déchets solides, qui pense qu’on peut les déverser seulement dans la lagune. Pendant des années, cet incivisme a gagné cet environnement et l’a rendu insalubre. C’est heureux que le gouvernement ait pris le taureau par les cornes. C’est une joie pour tout le monde, pour les habitants de Cotonou et les usagers de cet environnement. Parce que même les pêcheurs se plaignent. Les poissons ne peuvent pas vivre dans cette saleté qui règne dans cet endroit. Donc c’est une opération salutaire qui se déroule sur la rive gauche. Nous prions le gouvernement de faire la même chose sur la rive droite parce que la pollution provient des deux rives. Et si vous faites l’assainissement sur une seule rive, l’autre va continuer à polluer le cours d’eau. Donc nous les encourageons et leur demandons de poursuivre l’opération.

Dr. Flavien Edia Dovonou, environnementaliste, enseignant à l’Uac

La suite de l’opération vous convainc-t-elle ?

En matière d’assainissement il y a plusieurs options. Très souvent les gens préfèrent les options les moins coûteuses. Ils ne voient pas souvent les options gage de développement durable. Ce qui a été fait est un pas. Mais en réalité, c’est un camouflage, le vrai problème n’est pas résolu. Comme je l’ai dit, pendant des décennies, les gens ont entassé-là des déchets solides sur lesquels ils ont érigé des constructions. L’Etat vient de les déguerpir, c’est bien, mais les déchets sont encore là, intacts et continuent de se dégrader pour polluer l’environnement. Moi je pense alors que, si on doit régler le problème de façon durable on doit creuser, enlever tous les déchets entassés-là et après, amener de la bonne terre. Tant que ce n’est pas fait, cette zone restera une zone instable. Quand vous allez y construire des routes, demain elles vont s’affaisser. Quand vous aller construire des logements, des immeubles, des logements, …ces infrastructures vont s’écrouler tout simplement parce qu’elles ne reposent pas sur le bon sol. Donc c’est un travail précaire, provisoire qui a été : mettre de la terre jaune sur les déchets. Il faut aller loin en enlevant complètement ces déchets. Avec la terre jaune mise là-dessus, c’est bien beau mais quand il va pleuvoir l’eau va s’infiltrer dans le sol. Alors l’eau ira au contact de ces déchets et ce jus de déchet va polluer la nappe phréatique de Cotonou qui n’est pas à plus de 2m, 3m en profondeur.

Que faire de la berge de Cotonou (Dantokpa, Missebo) désormais libérée pour éviter sa recolonisation ?

A mon humble avis, la première opération devrait consister à clôturer cet espace avec du fil barbelé, tout au moins dans la zone du marché parce que c’est un endroit très animé. Deuxième chose, si le gouvernement a déjà des projets bouclés en main, c’est bon. Le cas contraire, je lui recommande de reboiser cet espace. Parce que Cotonou manque de poumon. Au Ghana, en Tanzanie, au Kenya, vous allez trouver en pleine ville des forêts qui jouent un grand rôle dans la purification de l’air. Cotonou n’en a pas. Montrez-moi une superficie de 500m2 entièrement reboisée dans Cotonou. Il n’y en a pas. Donc si nous pouvons déclencher dès les prochaines pluies une opération de reboisement de cette berge, ça va nous permettre de reboiser la ville, et de purifier l’atmosphère dans cette zone fortement polluée par les déchets solides, ce qui va s’aggraver dès les pluies parce que les eaux et les déchets ne font pas bon ménage. Il y aura des réactions et des émanations. Donc je recommande de reboiser fortement cette zone.

Le problème de pollution au niveau de la lagune de Cotonou rappelle le problème de gestion des déchets dans le marché de Dantokpa, non ?

Je crois que les marchands payent une redevance à la Sogema. Est-ce que cette société sait que ces taxes doivent aussi servir à enlever les déchets produits dans le marché ? C’est eux qui sont à la base de ce qui se passe sur la berge. La Sogema doit savoir qu’aucun déchet ne doit plus quitter le marché pour la berge. Car comme je le dis, le premier ennemi de cette lagune, c’est d’avoir comme voisin immédiat le marché de Dantokpa. Donc il faut revoir la gestion des déchets en provenance de ce marché.

Au Bénin, qu’est-ce qu’il y a lieu de faire pour ne pas toujours assister à ce genre de pollution ? Par exemple dans le cas de Cotonou

Les berges font partie intégrante d’un écosystème sensible. Un écosystème aquatique qui abrite la faune, la flore. Cette faune aquatique, c’est les crevettes, les crabes, les huitres. Le lac Nokoué, la berge lagunaire de Cotonou constitue un réservoir de protéine animale pour la ville de Cotonou et ses périphéries. Envoyer des déchets dans cet écosystème revient à polluer cette faune aquatique. Ainsi polluée, c’est une forme d’intoxication qui va se propager au sein de la population. Aujourd’hui nous avons la chance d’avoir une agence dénommé ‘’Adelac’’ (Agence de développement des lacs). Cette structure doit pouvoir délimiter tout ce qui est plan ou cours d’eau et bas-fonds. Parce que c’est par ignorance des limites de ces espaces que les gens s’installent de façon anarchique. Or ils font partie des domaines publics. Donc que l’Etat fasse un effort de délimiter les berges des lagunes, des lacs et le pourtour des bas-fonds. Deuxièmement, on doit sensibiliser les populations qu’on n’habite pas les zones humides. Si vous habitez ces milieux, vous allez perturber le fonctionnement hydrologique de l’eau, et vous vous exposerez aux maladies hydriques et aux insectes qui ne vivent que dans ces environnements. Ce sont par exemple les moucherons qui vont vous donner des maladies dermatologiques.

Qu’est-ce que l’Etat peut faire de ses zones humides ?

Les berges lagunaires sont régies par la Convention de Ramsar que le Bénin a ratifiée. Il est dit qu’on ne doit pas habiter à moins de 200m des cours et plans d’eau. Mais les gens n’ont pas respecté, c’est ce qui explique leur délogement.

Étant donné que c’est une zone publique, il y a deux possibilités. La première option c’est de faire passer par cette zone la voie de contournement est de Cotonou. Depuis Abomey-Calavi, elle va longer la berge avant de traverser le pont pour se rendre à Akpakpa. La deuxième option c’est de construire des galeries dans cette zone. Dans l’un ou l’autre des cas, si on veut faire un travail durable on sera obligé de déterrer les déchets parce que ce qui est là, ce n’est pas le bon sol qui est encore en profondeur. Tout dépend de l’aménagement qu’on veut faire. L’Etat sait ce qu’il doit faire pour la ville. Si c’est des routes, on doit enlever d’abord les déchets, si c’est des galeries je crois que ça rejoint la première option, à savoir qu’il faut rejoindre le bon sol. Ailleurs, les cours et plans d’eau sont recherchés, ce sont des zones très prisées. Malheureusement en Afrique ce n’est pas le cas. Si le gouvernement décide de valoriser ces berges, c’est la bienvenue, et nous allons lui demander de bien faire le travail, et non de faire un travail précaire qui vont s’écrouler d’ici dix ans.

Mot de la fin

Je remercie tous les acteurs de cette opération de libération de la rive gauche de la lagune de Cotonou. Et de leur rappeler qu’autant nous avons des déchets sur la berge autant il y en a dans la lagune qu’il faut draguer. Le sédiment de la lagune de Cotonou aujourd’hui, ce n’est pas du sable. C’est des déchets, des pneus, de la ferraille, des batteries, etc. Il faut sortir tout ça de l’eau. Je voudrais leur dire de ne pas s’arrêter en si bon chemin. Qu’ils fassent la même opération du côté de la rive droite. Parce que si on n’arrête la pollution d’un côté, l’autre côté va continuer et cela reviendra à la même chose. Donc pour une opération réussie, les deux berges doivent être libérées. Alors les jeunes peuvent aller jouer du football là, à la pétanque et on peut prendre là de l’air les soirs. Il faut aussi éclairer la zone avec des lampadaires solaires.

Merci.

 

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