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Codjo Orisha, politologue à propos du discours de Macron : « On note juste un changement de forme »

En prélude à sa nouvelle tournée sur le continent africain, précisément en Afrique centrale, le président français Emmanuel Macron a délivré lundi 27 février à Paris, un discours dans lequel il développe les grands axes du nouveau partenariat Afrique-France. Le politologue Codjo Orisha observe que « le président français a fait un excellent discours ». Toutefois, il « note juste un changement de forme (pas parfaite) avec un fond qui reste le même. Ce qui est exaspérant ». Codjo Orisha relève par ailleurs, « une tendance à s’approprier un certain droit de regard sur les politiques africaines » et insiste qu’ « il appartient aux Africains de mieux prendre en main leur destin ».

Propos recueillis par Sêmèvo Bonaventure AGBON

Bénin Intelligent : Comme le journal français “Libération” avez-vous aussi l’impression que ce discours c’est des «nouveaux mots mais même ADN» ?

Codjo Orisha, politologue : Oui absolument ! Toutefois, il faut reconnaitre que le président français a fait un excellent discours. Il défend les intérêts de la France et non ceux de l’Afrique. Ainsi, on observe dans sa nouvelle stratégie pour l’Afrique cette même tendance à s’approprier un certain droit de regard sur les politiques africaines. Cela est d’autant plus flagrant quand il estime que la nouvelle politique africaine n’a pas vocation à ne pas être de « gouvernement à gouvernement », mais qu’elle prendra aussi en compte bien d’autres acteurs en occurrence, la société civile.

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Ce type de discours quand bien même il se veut nouveau et annonciateur de nouvelles perspectives en matière de relation doit être compris sous le prisme de la France, « grande puissance », cherchant à remettre l’église au centre du village, mais bien sûr avec sa case qui y est plus proche.

En Afrique, surtout francophone, on note juste un changement de forme (pas parfaite) avec un fond qui reste le même. Ce qui est exaspérant. Mais on peut toujours patienter et essayer de voir Paris à l’œuvre. Dans l’un ou l’autre des cas, il appartient aux Africains de mieux prendre en main leur destin afin d’éviter que des pays tiers s’approprient certaines de leurs préoccupations qui sont du ressort des attributs de souveraineté. Certaines citées par monsieur E. Macron sont particulièrement importantes. C’est le cas de l’éducation, des problématiques liées à la jeunesse ou encore de la sécurité.

Macron annonce que les bases militaires françaises, à l’exception de celle de Djibouti, tournée vers l’océan Indien, vont être désormais non pas fermées mais «transformées», «cogérées avec nos partenaires africains». Qu’est-ce que cela vous inspire concrètement et cette approche va-t-elle véritablement changer la donne ?

Une base militaire est un instrument de projection de puissance. Et la France n’est pas la seule Nation à en posséder en Afrique. Des États-Unis à la Russie en passant par la Chine, le Japon, la Turquie ou encore l’Inde, l’Afrique accueille les installations militaires de diverses puissances grandes et moyennes. Et c’est ce qui complexifie le démantèlement des bases françaises sur le continent.

Afrique
Macron redéfinit un nouveau partenariat Afrique-France

 

C’est pour cette raison que pour l’Élysée, il faut « changer de physionomie et d’empreinte » en passant par une « africanisation » de certaines installations et à une mutualisation de la gestion d’autres. Mais cela sera-t-il suffisant ? À l’heure où le continent est l’objet de convoitise de part et d’autre, Paris espère ainsi avoir trouvé sans doute la solution appropriée pour ralentir le désamour que sa politique suscite en Afrique francophone.

La nouvelle donne franco-africaine ou la redéfinition de la politique africaine de la France désormais annoncée par Macron, illustre-t-elle la peur, hantise ou l’obsession de l’influence russe en Afrique qu’elle cherche à stopper ?

L’obsession qu’éprouve la France à l’égard de la Russie est réelle. Cette dernière a bien précipité son éjection de la Centrafrique et du Mali. Toutefois, on ne saurait résumer la volonté d’une grande frange des populations africaines de reléguer les relations traditionnelles entre la France et l’Afrique (francophone surtout) aux oubliettes à la seule présence de la Russie en Afrique. Les choses sont bien plus complexes. C’est la politique française sur le continent notamment dans la sphère francophone qui suscite le plus de rejet.

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La France ne peut donc ni stopper la Russie ni stopper ce vent presque nationaliste qui se répand à travers son ancien pré carré. Pourquoi ? Le mouvement anti-politique française est à intégrer également dans une lutte entre un mondialisme avec un centre en Occident et sa périphérie dans les autres parties du monde et un souverainisme dont Moscou se fait désormais « le chantre » en faisant la promotion d’un monde multipolaire.

Alors M. Codjo Orisha, faut-il conclure que depuis le discours de 2017 à Ouagadougou qui affichait aussi la même volonté de renouvellement des relations franco-africaines, rien n’a véritablement changé ?

Vous l’avez bien compris ! Rien n’a changé quand bien même le président français se vante d’avoir touché le tabou du Fcfa. En réalité, pourquoi les choses devraient-elles changer ? C’est aux Africains de changer les choses. Et de ce côté, on peut dire que le désir de changement est vivace, mais les actions pour y arriver sont encore timides surtout au niveau des dirigeants. À ce titre, vous comprenez bien que la France suit et essaie de réadapter sa politique en surfant sur cette dynamique.

Macron refuse de voir en l’Afrique un terrain de “compétition”, est-ce sincère de sa part ? L’Afrique peut-elle réellement cesser d’être un terrain de compétition des grandes puissances ?

L’Afrique est bel et bien un terrain de compétition. C’est peut-être de la rhétorique. La France se met donc en ordre de bataille et c’est qui justifie d’ailleurs cette nouvelle stratégie africaine qui n’est d’ailleurs pas la première. À ce propos, la principale question qu’il faut se poser c’est : comment l’Afrique se voit-elle ?

Macron a nommément évoqué la relation de la France avec l’Algérie et le Maroc, qu’il promet de renforcer au-delà des “polémiques” actuelles. Une fixation sur ces deux pays est-elle opportune ?

Oui. Le Maroc et l’Algérie ont également connu la colonisation française. Mais ces deux pays n’ont pas les mêmes griefs contre l’ancienne métropole. De multiples scandales et incompréhensions ont émaillé la relation privilégiée qu’entretiennent les deux États avec la France. Mais en même temps ce sont de très grands partenaires économiques.

La France est le premier pourvoyeur d’IDE au Maroc (on compte dans ce pays près de 1000 filiales d’entreprises françaises), tandis qu’elle est le deuxième partenaire économique de l’Algérie auprès de qui elle achète une part non négligeable d’hydrocarbure. Ce dernier aspect est très important dans la mesure où la guerre en Ukraine amène l’Europe à trouver des débouchés pour ses besoins en gaz et en pétrole. En outre, l’Algérie est un allié de la Russie en Afrique, il faut la ménager.

Enfin, l’annonce d’une loi encadrant de “nouvelles restitutions” d’œuvres d’art à l’Afrique. Bonne nouvelle selon vous M. Codjo Orisha ?

C’est une bonne nouvelle ! mais il est également essentiel que nos États fassent plus d’efforts dans le sens de la réception et de la conservation de ce patrimoine.

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