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Rapport entre culture et développement de l’Afrique : Fond commun, voix discordantes avec Prof. Kakpo, Yebou et Père Gbédjinou

culture
  • Professeur Mahougnon Kakpo : « Le Fa constitue obligatoirement l’épistémè de l’ère culturelle Aja-Tado»
  • Père Rodrigue Gbédjinou : « Non, la culture est dynamique »
  • Raphaël Yebou : « Demandez aux prêtres de les baptiser sous ces prénoms (africains) »

Les professeurs Raphaël Yebou et Mahougnon Kakpo et le Père Rodrigue Gbédjinou ont défendu chacun, samedi 18 mars dans l’émission ‘’Aéropage’’ sur Radio Immaculée Conception, leur opinion sur le rapport entre le développement du continent africain et le retour à la culture. Dans la première partie (voir BI n°803), ils se sont attelés à la démarcation « possible, mais difficile » entre le culturel et le cultuel. Dans cette dernière partie, le débat très serré s’achève sur la question : comment communiquer aux jeunes d’aujourd’hui et acteurs de développement les richesses culturelles indispensables au développement ? Avec le journaliste Juste Hlannon à l’animation, plusieurs autres sujets intéressants ont fait irruption dans les discussions : le rôle des missionnaires catholiques dans la promotion/démolition des cultures africaines, le Vodun est-il polythéiste ?, l’enseignement des langues nationales, la devise de l’Université d’Abomey-Calavi en latin, chose jugée comme une ‘’connerie’’, le Fa et la laïcité de l’État.

Propos transcris par Sêmèvo Bonaventure AGBON

 

Juste Hlannon, RIC : Pensez-vous que le développement de l’Afrique serait-il tributaire du retour à la culture ?

 

Mahougnon Kakpo : Avez-vous jamais vu un peuple se développer sans sa culture ? Prenez la Chine, elle s’est développée sans sa culture ? sans la langue chinoise ? sans les religions de la Chine ? sans les manières d’être du Chinois ? Vous avez jamais vu un Chinois porter un autre nom que celui de leur culture ? non ! il n’y a qu’en Afrique que vous avez ça.

Regardez la Russie, vous reconnaissez le peuple avec sa culture. Prenez l’Occident en général. L’Occident s’est développé avec sa culture. Pourquoi l’Afrique ne se développerait-elle pas avec sa culture ?

Sans la culture, sans sa culture, l’Afrique ne peut jamais se développer. C’est-à-dire quoi, lorsque vous apprenez à l’enfant qui va à l’école que ses ancêtres sont des gaulois, vous lui inculquez quoi ? Lorsque vous lui apprenez que lorsqu’on le gifle, qu’il présente la seconde joue, vous lui apprenez quoi ?

Juste Hlannon : La tolérance !

Prof. Mahougnon Kakpo : La résignation, pas la tolérance. C’est la résignation, et lorsque l’enfant est élevé dans ce type de culture il devient amorphe, il ne peut plus rien faire, il se dit bon ! les autres vont apporter ou bien une transcendance un jour, va m’apporter ce dont j’ai besoin. C’est la paresse que vous lui inculquez.

Lorsque vous lui enseignez l’histoire qui n’est pas la sienne, lorsque vous lui enseignez que…Prenez aujourd’hui un enfant qui est au CM1 ou en 5ème, vous allez lui demandez quelles sont les religions qui existent. Il va vous citer les religions monothéistes et il va inclure le Vodun dans les religions polythéistes. Ce qui est une fausse conception du Vodun, qui n’est point polythéiste.

 

Juste Hlannon : La nuance, vous pouvez la faire rapidement ?

 

Prof. Mahougnon Kakpo : Quand vous dites qu’une religion est polythéiste, c’est-à-dire que c’est la religion qui ne reconnaît qu’un seul Dieu. Mais lorsque vous dites que le Vodun est une religion polythéiste, vous confondez ce que l’on appelle Dieu qui est ‘’Mahu’’, ce que nul ne peut surpasser, qui a tout créé et que rien n’a créé, qui connait demain, le présent, qui connait tout ; c’est ça l’Être suprême chez nous, le Dieu suprême.

Le Vodun, ce sont des énergies qui relèvent selon la cosmogonie Aja-Tado, qui renvoient ou qui émanent de la Grande énergie qui emplit l’univers. Donc qui est le grand Dieu qui emplit l’univers, parce que ce grand Dieu est une sorte d’énergie. Puisqu’elle a un taux vibratoire très élevé, l’Homme que nous nous sommes …ne peut pas subir ce type de vibration. Il y a donc des vibrations détachées par émanation qui constituent ce que l’Homme Aja-Tado appelle le Vodun. Ce Vodun là, ce n’est pas Dieu, pas du tout. Le Dieu suprême existe, et c’est lui Mahu.

Quand vous allez dans l’aire culturelle ‘’édé’’ ou chez les yoruba par exemple, c’est ‘’Olọrun’’, ou bien ‘’Oludumare’’. Ici dans le continent dialectal ‘’gbé’’, vous avez le ‘’Mahu, nu ye mahu gan’’. Ce qui est différent du polythéisme.

 

Juste Hlannon : Vous Père Gbédjinou, quel est votre regard ou êtes-vous d’avis que le développement de l’Afrique dépendra du retour à la culture ?

 

Père Rodrigue Gbédjinou : Je suis d’ailleurs d’accord avec le professeur Mahougnon Kakpo que l’africain, le Béninois n’est pas polythéiste. C’est un monothéisme polylatrique, c’est-à-dire un monothéisme à plusieurs adorations. Ce qui distingue le polythéisme du monothéisme, ce n’est pas tant la pluralité, le nombre de dieux mais c’est beaucoup plus au niveau de l’invocabilité. C’est-à-dire que, celui qu’on ne peut pas atteindre on passe par des médiations. Or celui qu’on ne peut pas atteindre, dans le monothéisme chrétien, se révèle à nous.

Pratiquement tous les peuples ont fait le même parcours, et nous devons prendre garde de ne pas considérer comme spécificité africaine ce qui quelquefois ne l’est pas. Prenons le livre de la Sagesse par exemple. Nous pouvons voir que tous les éléments cités dans Sagesse 13 : 1 à 9 montrent la recherche des peuples : incapables d’aller vers Dieu ils se sont arrêtés aux créatures. Ils ont été sidérés par la beauté des créatures, ils ont été sidérés par la puissance de ces éléments, le feu, l’air, etc. Ils ont été charmés. Alors combien plus grand est celui qui les a créés ! Donc tous ces éléments que nous déterminons quelquefois comme spécificités africaines, tous les peuples les ont connus.

La culture n’est pas une réalité statique, et c’est ce qui se cache un peu dans ce que dit le professeur Kakpo. J’ai l’impression que la culture s’apparente à une réalité statique. Non, la culture est dynamique.

Les occidentaux se sont développés avec leur culture mais cette culture à un moment donné, a connu une mutation essentielle. Puisque comme nous à un moment donné ces occidentaux étaient dans l’animisme. Ce que nous déterminons aujourd’hui comme des supports d’énergie, ils les ont connus aussi. Les peuples sont passés par là. Alors, prenons garde de considérer que il y a une certaine spécificité qui relève simplement de nous.

Par rapport à la question de retour à la culture, je dirais plutôt comme le professeur, sans culture il n’y a pas d’identité. Et sans identité il n’y a pas d’avenir. Donc nos peuples pour se développer, ont besoin de leur vision du monde. Je suis heureux, le professeur Mahougnon Kakpo a été ministre. Nous devons essayer d’apprendre aux jeunes leur culture, leur histoire. Or, nous sommes tournés vers l’ailleurs, de l’ailleurs nous ne pouvons pas nous développer.

Néanmoins, moi je préfèrerais au terme ‘’retour’’, le ‘’recours’’ à la culture. Je suis dans ma logique que la culture est un élément dynamique.

 

Juste Hlannon : En quoi consisterait ce retour ?

 

Père Gbédjinou : Nous développer à partir des éléments de la vision du monde de chez nous, les éléments de chez nous, un recours à notre culture. Cette culture doit être une culture aussi ouverte. Un ‘’retour’’ pourrait signifier, un enfermement. Aimé Césaire de le dire ici : « Le développement ne nécessite pas un enfermement dans le passé ou une dilution dans l’universel », mais il faut nécessairement que tradition et progrès, modernité se donnent la main.

À ce niveau, il y a du travail aussi. Toutes les cultures ont des tares. Les nôtres ont leurs tares, celles occidentales également. Nous devons avoir donc le courage de pouvoir évaluer nos cultures. Un élément qui m’a paru très intéressant, c’est l’Homme, l’humanitas. En quoi ce que j’identifie comme culture élève l’Homme, le grandit ? L’Homme devient un élément capital pour cette culture. À ce niveau nous avons beaucoup de travail à faire. Prenons le cas un peu politique : nous allons voir que les dictatures qui ont retardé dans certaine mesure le développement de l’Afrique, prônaient un retour à la culture, l’authenticité ; ça peut être ambigu. Au niveau historique on le voit.

Aujourd’hui, aucun peuple ne peut se développer en recourant simplement à sa culture. Le monde est aujourd’hui ouvert et nous avons besoin des apports des uns des autres mais sans nous dénaturer. Nous devons partir de notre culture et si je ne pars pas de ma culture, je risque d’être phagocyté par les autres.

 

Mahougnon Kakpo : Je suis d’accord avec vous justement parce que, si aujourd’hui nous parlons de la globalisation, ou de la mondialisation c’est le fait que nous sommes dans un petit village. Mais pour que je puisse aller vers l’autre il faut que je vienne avec ce que je suis. Si je ne sais pas moi-même ce que je suis, ça signifie que je ne peux rien apporter à l’autre, que je ne peux même rien prendre de lui. Ou bien je deviens complètement lui et par conséquent, je ne suis plus personne du tout.

Mais pour pouvoir lui apporter quelque chose il faut d’abord que moi-même je sache qui je suis. Pour que je sache qui je suis il faut que je comprenne d’abord ma propre langue, il faut que le nom que je porte, que je puisse en comprendre les implications, les rituels qui se pratiquent chez moi, que je pratique cela ou pas, il faut que j’en aperçoive la philosophie. Sinon comment je peux me développer ?

L’architecture de l’habitat, il faut que je comprenne pourquoi chez moi les gens construisent leurs maisons de cette façon. Pourquoi ils s’habillent de cette façon-là. Si les gens ont fabriqué ailleurs la cravate, le manteau, des godasses, c’est compte tenu de leur environnement immédiat. Il faut que je comprenne ça pour savoir aujourd’hui comme je vis dans un tel environnement, comment je dois évoluer.

 

Père Gbédjinou : Une petite boutade. Quand vous étiez ministre, j’aurais bien aimé que les conseils des ministres, nos ministres soient dans leurs vêtements de chez nous, conformes à leur culture.

 

Prof. Kakpo : Je ris souvent lorsque, on pose ce genre de question à un ministre. Un ministre, c’est un serviteur. C’est ce que le mot signifie étymologiquement. Vous servez qui, vous servez le peuple. Lorsque vous êtes ministre, cela signifie que quelqu’un vous a nommé. C’est celui-là qui a été élu par le peuple, c’est lui qui a la souveraineté, et c’est lui qui définit le programme d’action, c’est lui qui définit comment il observe les choses. Vous vous êtes obligé de servir. C’est ça le rôle du ministre tout en apportant ce que vous avez comme technique, comme compétence, vous accompagnez un programme d’action.

Vous parlez des conseils des ministres. Mais on n’a jamais empêché un ministre de s’habiller comme il veut, mais c’est que le ministre a un pouvoir de représentation. Quand on voit un ministre on voit l’État, on voit le gouvernement ; par conséquent le ministre ne peut pas s’habiller n’importe comment, tout comme le député non plus.

 

Père Gbédjinou : Le premier conseil des ministres de 1960, ils étaient habillés comme chez nous. Cette fonction de représentation doit renvoyer à notre peuple.

 

Juste Hlannon : Vous à présent professeur Raphaël Yebou. Le lien entre la culture et le développement du continent africain ?

 

Raphaël Yebou : Je trouve que poser cette question, c’est une situation grave. Mais le fait de la poser révèle qui nous sommes, à la vérité. Nous avons été coupés de nos racines, nous sommes des aliénés. Qui d’entre nous, si on considère ceux qui sont allés à l’école généralement, peut engager une conversation dans sa langue pendant 5 à 10 minutes sans y introduire un mot français ? On fait beaucoup d’effort pour y arriver.

Je crois que poser la question c’est se demander si l’africain peut se développer sans l’africain. Quelque chose comme ça ! Le béninois peut-il développer son pays sans le béninois ? Puisque la culture c’est l’Homme, nous devons commencer par le comprendre. On nous a dit pendant longtemps que nous n’avons pas de culture, donc pas de langue ; que nous n’avons rien, que tout nous vient de l’extérieur. Naïvement nous y avons cru.

 

Juste Hlannon : Qu’est-ce qui dans la culture constituerait la substance ?

 

Yebou : Mais c’est tout, moi je ne sais pas ce que voulez isoler. C’est tout ! Je rentre à la maison : on me dit « papa, bonne arrivée ». ça signifie quoi ? rien ! Par contre « papa wézon, o’zon » voilà ! C’est comme ça qu’on accueille un père chez moi. Le matin on dit : « o kwi ni sô ». Ce n’est pas “bonjour papa”. Bonjour papa ne signifie rien. Moi je réfléchis depuis quelques mois : quand on me dit « bonjour ! », je dis ça signifie quoi ? Cela ne me dit rien.

Juste Hlannon : ça n’a pas une résonnance dans votre aire culturelle…

Yebou : Rien, pas du tout. Donc nous devons amener les enfants à parler leur langue. Nous-mêmes nous devons travailler à corriger notre mentalité et comprendre que nous sommes des créatures de Dieu. Dieu nous a fait don de beaucoup de choses. Nous devons travailler pour avoir des résultats, c’est absolument important.

La question du développement repose sur la culture. On a présenté la culture comme la façon de voir le monde, la façon de voir les rapports aux choses, aux Hommes et à Dieu.

Vous avez parlé de tenues tout à l’heure. Vous avez raison. Je crois que, si un président vient au pouvoir et qu’au premier conseil des ministres, pas de cravates, pas de vestes, le président met du bazin bien cousu…Au bout de trois semaines tous vont changer de tenue.

Juste Hlannon : Le peuple va-t-il opérer le retour/recours ?

Yebou : Le peuple est en train de changer déjà. Moi je crois que la question du ‘’retour’’ est fondamentale. Je ne suis pas d’accord avec la question du ‘’recours’’, parce qu’on nous a déjà coupé des racines, nous devons retrouver les racines ; on ne les a pas. Quels sont nos repères quand on veut renvoyer à des références, à des auteurs, on pense à qui ? aux grecs, aux latins, c’est un problème.

Si vous allez à Cana par exemple, vous allez voir ce qu’on peut appeler les maisons de retraite, les palais de retraite des rois. Il y a celle du roi Tegbessou sur 46ha. La clôture est tombée mais il y a encore les vestiges. Pour le roi Guezo les murs sont encore debout, en 300 ans. Pour le roi Glèlè également.

Juste Hlannon : Qu’est-ce qui l’explique ?

Raphaël Yebou : Il faut voir la technologie à la base de ces constructions pour que, en trois cents ans après ces murs soient encore debout. Nous manquons de faire recours à ces technologies. Nous disons : ça c’est vieux que ce que le Blanc apporte. Puisque le Blanc a l’argent ; donner c’est asservir, on ne doit pas l’oublier.

Le Béninois entier doit s’engager dans ce développement et commencer d’abord par travailler sa mentalité, savoir qu’il est une créature de Dieu et il doit avoir des résultats comme créature de Dieu.

 

Prof. Mahougnon Kakpo : Prenez un exemple pour que vous puissiez apprécier réellement la profondeur de ce dont nous sommes en train de parler. Je remercie la Radio Immaculée Conception d’initier ce type de débat. Je suis d’autant plus content que c’est une institution de l’Église qui s’ouvre comme ça. Il y a 40 ans ce n’était pas possible.

Père Gbédjinou : C’était possible

Mahougnon Kakpo : Ce n’était pas possible, pourquoi ? Parce que lorsque vous alliez à l’église en ce moment-là ou lorsque on devrait baptiser un enfant, forcément vous lui donnez un nom qui est dans le calendrier ou un nom qui sonne chrétien, obligatoirement. Aujourd’hui cette obligation est tombée et lorsque vous allez au culte chrétien catholique aujourd’hui, vous avez les rythmes africains, béninois qui sont pratiqués. Avant c’était en latin.

Il y a cette ouverture dans l’univers dans lequel l’Homme religieux chrétien évolue. Ce qui est appréciable au niveau du christianisme chez nous aujourd’hui.

Père Gbédjinou : Je voudrais dire quelque chose par rapport à cette question. Pour moi ce n’est pas une ouverture si je prends l’évangile ; l’évangile a tenu compte des cultures. Si je prends Alexandre le Grand il a dit : « détruisez les idoles mais ne détruisez pas les temples… »

Mahougnon Kakpo : Et vous pensez que en disant « Détruisez les idoles… » vous allez pouvoir évangéliser les gens ? Mais regardez les termes péjoratifs qui existent dans notre langage aujourd’hui pour définir…[le Vodun, ndlr].

Père Gbédjinou : Quand il parlait des idoles il ne parlait pas de nous, il parlait d’eux.

Mahougnon Kakpo : Mais c’est aussi la même chose. Au XIXe siècle lorsque l’envahisseur est venu sur nos côtes c’est ce qu’ils ont fait. En disant quoi : lorsqu’on parle de Lɛgba, on parle du diable, lorsqu’on parle du Vodun on parle de fétiche, lorsqu’on parle du Bokɔnɔ on parle de charlatan, tout comme si le charlatan-là n’existait pas dans toutes les autres corporations. Il y a des médecins charlatans, il y a des prêtres charlatans, il y a des enseignants charlatans. Le charlatan c’est celui qui…

Père Gbédjinou : Chez nous aussi on dit le ‘’awonɔ’’

Mahougnon Kakpo : Non, non. À ce niveau-là il faut comprendre le terme que vous utilisez. Quand vous dites ‘’awonɔ’’ vous n’utilisez pas un mot du fongbé. C’est un mot yoruba : le ‘’awo’’, en yoruba c’est le secret, c’est le père du secret. Ce n’est pas ‘’awo’’, mensonge. En yoruba, on dit ‘’babalawo’’, le père du secret, le grand initié.

Père Gbédjinou : Au niveau historique, ce que j’étais en train de dire c’est que, ce n’est pas quand les missionnaires sont venus chez nous qu’ils ont eu un regard péjoratif sur nos cultures. Ils ont eu eux-mêmes ce même regard sur leurs propres cultures. C’est historique. Les textes existent.

Deuxième élément : l’ouverture a toujours existé. C’est vrai que les contingences de l’arrivée des missionnaires… Le missionnaire est fils de son époque, il est fils de sa culture aussi. Alors, ceux pour justifier l’esclavage, ils disaient : « ils [les africains, ndlr] n’ont pas d’âme, ce sont des sous-hommes ». Après, pour justifier la colonisation, ils disaient : « ils sont sans culture ».

Quand je suis d’une culture qui m’a façonné dans cette dynamique et je vais en mission, d’une manière ou d’une autre ça se ressent. C’est là où il y a eu quelquefois ou quelque part des ambiguïtés. Sinon, qui mieux que les missionnaires ont défendu nos cultures ? Vous avez parlé tout à l’heure de langue. Qui mieux que les missionnaires ont fait la promotion de nos langues ?

Prof. Kakpo : Ils [les missionnaires] n’ont pas fait la promotion de nos langues. Ils ont fait des travaux d’ethnologie. Vous savez que l’ethnologie, c’est une science coloniale, une science colonialiste. C’est-à-dire que les missionnaires ont apporté des informations au système colonial pour mieux coloniser les peuples.

Père Gbédjinou : Non, pas du tout. Ils n’ont pas servi des éléments aux colons, pas du tout. Parce que quand ils sont venus chez nous ils ont appris nos langues, ce sont eux qui les ont conservées, ils ont écrit sur nos divinités, ils ont fait la promotion de notre culture. Prenons Aupiais.

Et mieux ! j’ai parlé tout à l’heure de vêtements : à quoi on définissait le missionnaire ? à son ‘’bohunba’’ et sa croix là-dessus. Dans les lieux où ils sont restés ils n’ont jamais voulu déplacer l’enfant de sa culture. Ils ont voulu évangéliser en tenant compte des éléments culturels.

Prof. Kakpo : Je vous ai donné des exemples tout à l’heure. En vous disant qu’on refusait à ceux qui se faisaient baptiser de porter leur nom. On leur demandait de détruire leurs vodun.

Père Gbédjinou : Je vais vous expliquer ça. Quand il y a un choix, quand j’opte pour quelque chose je dis non à l’autre. On ne peut pas garder les deux.

Kakpo : Et ça là c’est ‘’ouverture’’ ?

Père Gbédjinou : Oui, je ne peux pas être à la fois républicain et progressiste.

Kakpo : Où est alors ce que vous appelez « défendre les langues, défendre les cultures » ? Vous ne pouvez même pas chanter dans votre propre langue à l’école. Vous ne pouvez même pas siffler dans votre langue à l’école. Vous avez connu le signal de la tête de chien qu’on mettait au cou ?

Père Gbédjinou : Ceux qui ont promu ça étaient beaucoup plus les africains.

Kakpo : Mais c’était à l’école coloniale.

Père Gbédjinou : Il faut qu’on rende un grand hommage aux missionnaires.

Kakpo : Quels missionnaires ? C’est ceux-là qui ont détruit nos cultures.

Père Gbédjinou : Ce sont eux qui les ont promues. Il y a eu des erreurs.

Kakpo : Non. Faites la statistique et vous allez voir combien ils étaient…

Père Gbédjinou : Par rapport aux noms, on n’a jamais dit à quelqu’un de renoncer à son nom.

Kakpo : Si ! Ce n’était pas donné, ce n’était même pas permis.

Père Gbédjinou : On n’a jamais dit à quelqu’un de renoncer à son nom. On a donné un prénom chrétien parce que, dans cet univers quelqu’un qui est un référent, quelqu’un qui a mené la vie chrétienne et qui peut être considéré comme un exemple pour cette personne. Mais on n’a jamais dit que le nom chrétien l’emporte.

Raphaël Yebou : Et c’est là l’erreur. Parce que vous donnez deux visages à la personne. Vous dites : il a un prénom chrétien, celui qui est en vue. Son prénom africain on le traite de prénom de seconde zone. Ce n’est pas normal. C’est à partir de là que les gens ont compris que, quand on est avec eux on porte par exemple le prénom David mais quand je rentre je suis Mahuna.

Père Gbédjinou : Je vous ai expliqué la dynamique, c’est en termes de référence.

Kakpo : Je comprends le Père hein, il joue son rôle.

Père Gbédjinou : J’ai aussi envie de vous dire que je vous comprends. (Rires).

Il y a un élément que je voudrais quand même relever concernant le développement à partir du recours à nos cultures. Il y a un travail que nous devons avoir le courage d’opérer par rapport à nos cultures. Toutes les cultures ont leurs tares. Deuxième élément : comment nos cultures étaient de telle manière qu’elles aient pu être facilement victimes d’un assaut ? Il faut aller rechercher les raisons internes de notre défaite en nous-mêmes.

Kakpo : Notre culture n’a jamais été vaincue. Si elle l’avait été on ne serait plus là en train de parler par exemple de Vodun, de nom africain aujourd’hui. Les missionnaires ont tout fait pour détruire les cultures africaines surtout ce qui a rapport à la religion mais c’est là que, ils ont le plus échoué. Parce que aujourd’hui tout le monde fait semblant mais tout le monde fait le Vodun sans le savoir.

Père Gbédjinou : Non

Kakpo : Vous êtes prêtre, votre réaction ne me surprend pas.

Père Gbédjinou : Je pourrais dire aussi que votre réaction ne me surprend pas parce que vous êtes prêtre de Fâ.

Kakpo : Le prêtre du Fa est différent du prêtre du Vodun. Le Fa n’étant pas le Vodun, vous pouvez être prêtre du Fa sans être prêtre du Vodun et vice versa. Moi je suis les deux. C’est là encore ce qui complexifie la chose. C’est là aussi l’avantage de la lucidité que j’observe vis-à-vis de la chose discutée.

Lorsque chez nous une mère conçoit, tombe enceinte comme on dit, il y a un processus rituélique pour accompagner, pour identifier la plaque de vie, la carte de vie de l’enfant qui va naître. Cela vous vous n’êtes même pas encore là hein ! Vous n’avez même pas encore la conscience d’être mais cela vous implique. Ce sont des choses qui avaient été faites sans vous et qui vous impliquent. Lorsque vous naissez il y a des choses qui ont été faites et vous êtes là-dedans. Même si vous sortez après avoir pris conscience de votre être au monde, vous sortez pour dire je ne suis plus dans ces affaires-là, d’autres le font pour vous.

Quand on va dans la case d’Asɛn (là où il y a les mânes des ancêtres) et on dit : « tous les enfants de la famille, il faut veiller sur eux. Si quelqu’un pense mal d’eux il faut sévir contre celui-là », vous êtes dedans. Que vous ayez choisi d’être dans cette pratique ou non vous êtes dedans, vous êtes impliqué tant que vous êtes dans l’univers du Vodun, que vous veillez ou pas.

En réalité c’est ça ce qui se passe dans le Bénin aujourd’hui, dans l’univers Aja-Tado. C’est comme ça que ça se passe.

Père Gbédjinou : Le professeur Mahougnon Kakpo disait tout à l’heure qu’il était très heureux de cette ouverture de l’Eglise. Les premiers à combattre cette ouverture, c’est les gens même de la tradition. Quand le Père Julien Kpenoukoun élaborait le ‘’Aluwasio’’ à partir des rythmes de chez nous, il a été pratiquement menacé parce qu’il aurait pris des éléments d’un univers, d’une culture qu’il veut porter à l’univers religieux. Il y a eu tout un débat la fois dernière par rapport aux jumeaux.

J’avais dit tout à l’heure que nous devons avoir le courage. Je salue la grande lucidité du professeur Mahougnon Kakpo, c’est ce qui nous permet de discuter. Il y a deux éléments et nous devons faire un travail. Le premier, c’est l’élément de la peur qui est un frein pour le développement. On dirait que notre culture est une culture de peur. J’ai mis ça au conditionnel.

Kakpo : Même si c’est au conditionnel je ne peux pas accepter ça. Notre culture n’est pas une culture de la peur.

Raphaël Yebou : Il y a quand même beaucoup de courageux, beaucoup de génies qui viennent…Il ne faut pas dire ça de notre culture. Rien ne fait peur.

Kakpo : Peut-être qu’on ne parle pas de la même culture

Gbédjinou : Il y a un élément de peur qui est transversal et structurant. Deuxième élément : la devise de notre Université d’Abomey-Calavi, c’est Mens agitat molem

Kakpo : Qui est une connerie. Parce que c’est dans une langue que personne ne comprend, que nos étudiants ne comprennent pas. Que même nos enseignants ne savent pas. C’est une connerie, on doit changer cette devise-là. La devise c’est le principe de base, c’est ça qui conduit l’enfant mais si l’enfant vient et ne comprend pas ce que vous dites.

Gbédjnou : On peut lui expliquer ça

Yebou : Disons lui ça dans la langue qu’il comprend

Kakpo : C’est une connerie. La devise en latin ou dans n’importe quelle autre langue en dehors de…

Gbédjnou : Vous voulez mettre la devise en Fon ?

Kakpo : Mais bien sûr. Pourquoi pas ?

Yebou : Ceux qui sont à l’université vont au marché, non ? Au marché c’est peut-être le baatonu qu’ils parlent.

Gbédjinou : Je suis un peu surpris, parce que depuis qu’on a un débat ici dans ce pays, quand est-ce qu’on a défini les diverses langues à enseigner ? Quand vous parlez d’extériorité…

Kakpo : ça aussi c’est une connerie que ne pas enseigner dans les langues de notre pays.

Yebou : Nous faisons des travaux sur nos langues à l’université. Beaucoup de travaux se font.

Gbédjinou : Ce que je voulais dire par Mens agitat molem, c’est que l’esprit meut la matière. Que ce soit chez les grecs ou chez les latins, l’esprit meut la matière.

Kakpo : Mon Père, vous pensez que c’est normal que la devise d’une université soit dans une langue que personne ne comprend ?

Gbédjinou : C’est le français qui nous permet de communiquer. Ce français là c’est du latin. Les humanités…

Kakpo : Justement vous avez utilisé le terme que j’attendais. Vous avez parlé des humanités. Quand vous parlez des humanités nous, mon collègue Yebou et moi, nous sommes d’une faculté des humanités. Mais quand nous parlons des humanités avec les conneries de programmes que nous avons, on parle des humanités gréco-romaines, des humanités françaises.

Gbédjinou : Nous pouvons faire les humanités Fon,

Kakpo : C’est ça que nous devons faire, c’est ça que nous avons commencé par faire maintenant en Lettres modernes. Mais quand vous allez mettre la devise de l’université dans une langue morte, dans une langue que plus personne ne parle au monde, dans une langue que personne ne comprend dans l’université en question, dans une langue qui n’est même pas enseignée dans l’université en question, qu’est-ce que vous voulez enseigner aux enfants ?

Gbédjinou : Ils peuvent avoir un peu de culture générale

Kakpo : Quelle culture générale ? on parle de cultures spécifiques avant d’aller vers la culture générale. Voilà que l’enfant, l’étudiant ne comprend même pas sa culture spécifique.

L’homme se détermine à partir du nom qu’il porte. La semaine dernière j’ai échangé avec mon collègue après une soutenance et je lui ai demandé : ton nom « Yebou » là signifie quoi ? Quand il m’a expliqué ça j’ai compris davantage la philosophie qui le sous-tend.

Père Gbédjinou, nous avons parlé de votre nom tout à l’heure ; mais c’est une philosophie, une vision du monde.

Quand quelqu’un s’appelle Jean, Irénée, Victor…de vieux prénoms que plus personne ne porte même en occident aujourd’hui.

Gbédjinou : Victor veut dire vainqueur, il y a une philosophie derrière.

Kakpo : Mais le porteur ne comprend pas. Lorsque nous avons institué à l’université surtout au Département des Lettres modernes des recherches sur le Fa, les recherches sur nos traditions, mais allez voir l’engouement qu’il y a au niveau de nos étudiants aujourd’hui.

La plupart des thèses que nous faisons soutenir, la plupart des mémoires que nous faisons soutenir, c’est sur ces problématiques-là.

Gbédjinou : Les recherches portent-elles sur la littérature du Fa ou sur la pratique du Fa ?

Kakpo : Aussi bien la littérature que la pratique.

Gbédjinou : Vous leur enseignez la pratique ?

Kakpo : Mais, bien sûr.

Gbédjinou : Dans une université qui est laïque, multiconfessionnelle, on ne peut pas enseigner la pratique du Fa.

Kakpo : Donc vous ne savez pas ce qu’on appelle le Fa.

Gbédjinou : Le Fa vous fait entrer dans un univers religieux.

Kakpo : Non. Lorsque vous prenez le Fa, celui qui n’est même pas du Bénin, de l’aire culturelle Aja-Tado peut apprendre le Fa. Le Fa s’étudie et s’apprend et est même plus difficile à apprendre que la formation d’un médecin. Pour former un praticien du Fa c’est plus complexe et plus difficile que la façon dont vous formez un médecin. Donc celui-là il n’a même pas besoin d’être dans un univers religieux.

Vous savez que le Fa est à l’origine de l’ordinateur ? Vous savez que le Fa est à l’origine de l’ordinateur quantique ? C’est ce que la pensée occidentale et surtout les missionnaires ont dit de notre, de nos cultures, c’est ça qui a arriéré nos enfants de nos cultures. Nous devons accepter et comprendre que nous avons nos humanités aujourd’hui. Et quand nous parlons de développement, il ne saurait avoir de développement sans le retour à l’épistémè africaine. L’épistémè africaine surtout dans l’aire culturelle Aja-Tado passe forcément par le Fa, ça passe forcément par le Vodun.

Le Fa d’abord détermine l’aire culturelle Aja-Tado qui passe par Lagos, Cotonou, Lomé, je vais à Accra…, j m’arrête vers un peu avant Dassa-Zoumè et sur ce type de parallèle, c’est ça l’aire culturelle Aja-Tado. Qu’est-ce qui caractérise cette aire là en dehors du Fa, en dehors du Vodun aussi bien en partant de Lagos où vous avez les Orisha, qui au Bénin prennent le nom de Vodun, quand ça va à Lomé ça prend le nom de Vodun ; à Accra ça conserve le même terme, qu’est-ce qui nous caractérise aujourd’hui ? Vous pensez que vous pouvez comprendre l’épistémè de ce peuple là en dehors de cette humanité ? Le Fa constitue obligatoirement l’épistémè de l’aire culturelle Aja-Tado.

Père Gbédjinou : La littérature, d’accord ; mais on ne devrait pas enseigner la pratique du Fa à l’université.

Kakpo : Pourquoi vous dites ‘’devrait’’ ? C’est prescrit dans quoi ? C’est dans la Bible que c’est prescrit qu’on ne ‘’devrait’’ pas ? Parce que vous voulez le décréter là. C’est le comportement, excusez-moi, déformé des missionnaires ça. Quelques agrégats de cette histoire malheureuse que nous avons connue.

Gbédjinou : Quand je dis qu’on ne devrait pas enseigner (le Fa), la phrase doit finir.

Kakpo : Pourquoi vous voulez décréter ?

Gbédjinou : Je ne décrète pas. Je dis que si ça a rapport à l’univers religieux on ne devrait pas l’enseigner dans une école laïque.

Kakpo : Vous savez que moi j’ai enseigné la Bible à mes étudiants dans un enseignement intitulé ‘’Introduction à la littérature classique du XVIIe siècle français’’ ? J’ai enseigné la Bible.

Gbédjinou : Vous l’avez enseignée comme on enseigne Maïmouna [titre d’un roman d’Abdoulaye Sadji, ndlr], vous ne l’avez pas enseignée comme on enseigne un livre religieux.

Kakpo : Je ne l’ai pas enseignée comme un livre religieux. Quand je parle de la pratique, la pratique du Fa c’est quoi ? Le système de divination, puisque le Fa en tant que système divinatoire c’est la plus infirme partie de ce que comporte le Fa. J’enseigne le système. Le système, c’est les signes, les Fa-Du, ce que constitue un Fa-Du qui est un langage du Fa. Ce Fa-Du là comporte plusieurs autres langages : le Fa gbésisa, le Fahan, le Fagléta. Nous enseignons ça. C’est ça que vous vous appelez la littérature. Moi je n’utilise pas le terme de littérature…

Gbédjinou : C’est ça moi j’appelle littérature. Si c’est la pratique, c’est-à-dire enseigner les étudiants à devenir des prêtres de Fa…

Kakpo : Non, pour devenir prêtre du Fa vous sortez de l’université et vous venez dans le cabinet, c’est ça.

Gbédjnou : Mais c’est dangereux parce que là vous préparez des gens de l’université à votre cabinet.

Kakpo : Mais bien sûr. C’est un métier. Vous avez aujourd’hui des docteurs qui chôment, vous avez aujourd’hui des gens qui ont le master qui chôment. Mais vous avez dans le monde aujourd’hui comme vous avez en occident des gens qui sont chiromanciens, des cartomanciens, des médiums… Ils ont appris ça où ?

Juste Hlannon : Dans leurs universités.

Kakpo : Ils mangent avec ça non ? Ils gagnent leur vie avec ça.

Gbédjinou : L’université qui est basée sur la multi confessionnalité ne peut pas enseigner ça.

Kakpo : Quand je dis qu’ils viennent au cabinet, le cabinet n’est pas dans l’université.

Gbédjinou : Là où il y a le danger, pour avoir une emprise, celui qui leur enseigne ça leur offre l’opportunité du cabinet. C’est dangereux.

Kakpo : Non, ce n’est pas obligé du tout.

Gbédjinou : L’université est laïque. Nous ne pouvons pas préparer des gens à l’université…

Kakpo : Quand le prêtre vient enseigner à l’université dans sa soutane, vous ne trouvez pas que c’est dangereux, vous ne trouvez pas que c’est des éléments religieux qui ne devraient pas intervenir dans une université laïque ?

Gbédjinou : Non, puisque il circule dans sa soutane.

Yebou : Il circule dans sa soutane mais dans l’université.

Kakpo : Comme les autres aussi peuvent venir avec leur accoutrement religieux.

Gbédjinou : Je ne viens pas enseigner à l’université les éléments de foi et dire après si vous voulez vous initier venez chez moi. Ce serait faussé l’esprit de l’université.

 

Juste Hlannon : Nous sommes à 5 min de la fin de ce débat et je vais faire un dernier tour de table. Je voudrais que nous nous penchions sur ce que j’ai prévu comme dernière question, à savoir comment communiquer aux jeunes d’aujourd’hui et acteurs de développement les richesses culturelles indispensables au développement chez nous ici ?

 

Professeur Mahougnon Kakpo : C’est l’enseignement, l’éducation. Il faut que, à la maison, avec les enfants nous parlions notre propre langue d’abord.

Yebou : Absolument.

Kakpo : Moi si je ne parle pas ma langue avec mes enfants ils n’ont pas la possibilité de comprendre cette langue-là après. Personne d’autre ne pourra leur parler cette langue. Les autres éléments de l’atavisme que nous avons, la plupart des soi-disant cadres ou intellectuels empêchent leurs enfants d’aller dans leur propre village, ils n’amènent pas leurs enfants au village sous prétexte qu’il y a les sorciers là-bas, ils vont les tuer. Tout comme si le sorcier a besoin de se déplacer s’il veut t’atteindre.

Yebou : Comme s’il n’y a même pas de sorciers dans leur quartier [en ville, ndlr].

Kakpo : Lorsque vous n’amenez pas les enfants au village, lorsqu’ils ne voient pas les parents ils ne peuvent pas apprendre. Lorsque vous-mêmes ne leur parlez pas leur langue ils ne peuvent pas comprendre, apprendre ça. Lorsque nous n’enseignons pas nos propres langues à l’école, lorsque nous ne mettons pas au programme les éléments de nos propres cultures, lorsque nous ne réécrivons pas l’histoire qui est enseignée actuellement aux enfants, c’est grave.

 

Juste Hlannon : Et vous, professeur Yebou. Comment communiquer aux jeunes d’aujourd’hui et acteurs de développement les richesses culturelles indispensables au développement chez nous ici ?

 

Yebou : Il ne faut pas attendre l’État. Chaque parent doit faire le travail. D’abord, savoir que lui-même il est une créature de Dieu et qu’il doit en tant que tel pratiquer la langue qui est un trésor que Dieu lui a donné. Donc commencez par parler les langues avec les enfants. Et donner à nos enfants des prénoms dans nos langues, c’est important. Demandez aux prêtres de les baptiser sous ces prénoms dans nos langues.

 

Mahougnon Kakpo : Avant que le Père Gbédjinou ne parle, j’ai écrit un ouvrage intitulé ‘’Introduction à une poétique du Fa’’ et avant ça j’ai publié ‘’Les épouses du Fa’’. Ce livre a été préfacé par le Père Jacob Agossou. Vous lisez avec quel plaisir il a pu écrire ça.

Lorsque à l’université je tirais mes enseignements du livre ‘’Introduction à une poétique du Fa’’, il y avait un étudiant que j’avais l’habitude de voir au cours et à un moment donné je ne le voyais plus. Quand il venait il était dynamique, il posait des questions si bien que je l’avais remarqué. Il ne venait plus. Pourquoi ? Ses camarades m’ont dit qu’il a abandonné. J’ai dit pourquoi ? Parce que, il est avec un pasteur qui est son tuteur. Il a demandé au pasteur de lui donner les sous pour acheter les livres. Le pasteur a demandé quel livre ? Il a dit : « Introduction à une poétique du Fa ». Le pasteur a dit : quoi ? Tu vas acheter quoi ? dans la maison de qui ? Le Fa ? » Puis il l’a chassé. Il l’a chassé.

Vous voyez l’inculture qui caractérise certains d’entre nous ? Il chasse l’enfant comme ça. Non seulement il l’a empêché d’avoir le livre mais ensuite, il l’a chassé.

Père Gbédjinou : Vous l’avez retrouvé, l’enfant ?

Kakpo : Non, j’ai demandé à ses camarades de me l’appeler, de me le retrouver, ils ne me l’ont plus retrouvé. Malheureusement, vous voyez il y a des torts que nous faisons faute de tolérance.

 

Juste Hlannon : À vous Père Gbédjinou

 

Gbédjinou : Je voudrais dire que je suis très heureux de ce débat. L’échange est très fraternel et amical. Ce que nous devons enseigner à nos jeunes, nos enfants d’abord c’est l’éducation, l’éducation aux valeurs. Toutes les cultures portent des valeurs ; partir de nos valeurs. Mais les cultures portent aussi des antivaleurs. Ces antivaleurs nous devons avoir le courage de les épingler aussi et de les travailler par ce que j’appelle la ‘’ratio’’ (raison).

Les valeurs à communiquer aux enfants comme vous l’avez dit : leur nom, le sens de leur nom, pas forcément pour autant les implications. Vous voyez je ne suis pas tellement d’accord avec le professeur (sourire).

Yebou : Les noms au moins

Gbédjinou : Les noms et leur sens.

Kakpo : C’est tout ce que je dis non !

Gbédjinou : Et l’élément majeur, là où je rejoins le professeur Kakpo, c’est l’Homme, l’humanitas. Le gbɛtɔ. Une culture s’évalue par sa capacité et sa qualité de magnifier, de faire grandir l’Homme. À ce niveau nous devons évaluer aussi nos cultures africaines comme les cultures occidentales qui ont des tares. Nous aussi nous avons des tares, il faut que nous ayons le courage de l’avouer et de travailler avec la raison droite.

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